Médias au service des puissants
Par Mesloub Khider – Les médias «produisent» et commercialisent une marchandise singulière : l’information. Celle-ci doit rapporter revenus et profits aux multinationales des communications. La petite bourgeoisie des médias œuvre dans cette superstructure, et sa fonction consiste à réguler le fonctionnement de ce système d’endoctrinement idéologique. Il s’agit, pour ces scribes, de formater l’opinion publique citoyenne afin d’assurer sa soumission pour tenter de désamorcer les récriminations politiques et annihiler les velléités subversives populaires. S’il faut faire la démonstration de la dévotion servile des médias témoignée aux patrons et à l’Etat, le traitement informationnel du mouvement des Gilets jaunes de France aura été la parfaite illustration.
De toute évidence, cette posture obséquieuse des médias révèle l’asservissement total des appareils idéologiques au capital. Depuis l’école, en passant par le cinéma et la littérature, jusqu’aux médias audiovisuels, internet et les médias sociaux numériques, tous ces appareils idéologiques de façonnement des esprits sont totalement monopolisés par le capital pour lui servir d’instruments de propagande.
En France, la majorité des médias est la propriété d’un petit nombre de grands groupes financiers, comme dans la majorité des pays du monde entier. La petite bourgeoisie, sectatrice dévote de l’idéologie de la liberté d’information, a tendance à expliquer le dévoiement et la soumission des plumitifs journalistiques par la concentration des entreprises médiatiques : «Dix milliardaires ont pris le contrôle d’une grande partie des médias français. Ces oligarques, venus du BTP, de l’armement, de l’industrie du luxe et de la téléphonie, ont accaparé les grands quotidiens nationaux, les chaînes de télévision et les radios, pour assoir leur influence. Avec à la clé, conflits d’intérêts, censures, pressions, licenciements, ingérence malsaine […] Cette concentration des moyens de production de l’information entre les mains de quelques-uns met en péril l’indépendance de la presse dans notre pays. Et porte ainsi atteinte au fonctionnement démocratique (sic). Comment garantir la liberté de l’information et le pluralisme de la presse ?» s’indigne un scribouilleur effarouché.
Or, comme on va le démontrer, ce n’est pas la monopolisation des médias par quelques groupes capitalistes qui explique l’aplatissement professionnel des journaleux.
De fait, les médias opèrent ouvertement comme des organes du pouvoir financier et de l’Etat. Pour preuve : au cours de la révolte des Gilets jaunes, les médias français ont ignoré délibérément la violence sociale permanente imposée par les difficultés économiques, la violence entrepreneuriale des patrons, la violence des forces de l’ordre nazifiées perpétrée lors des manifestations, la violence du «terrorisme social» infligée à l’ensemble des travailleurs par l’Etat capitaliste despotique. Pour ces médias aux ordres, cette violence n’existe pas. Les plumitifs du capital sont conditionnés à ne voir que la violence circonstancielle et résiduelle, matérialisée par la destruction de quelques vitrines de restaurants, de magasins ou de banques, les incendies de voitures, les tags sur les murs. Cette focalisation médiatique sur cette violence réactionnelle dérisoire a pour dessein d’escamoter les violences étatiques, politiques, économiques et sociales, et corrélativement d’inverser les responsabilités et les culpabilités.
Il faut relever que ce comportement des serviles officiants médiatiques n’est pas télécommandé d’en haut, depuis le propriétaire milliardaire jusqu’au banal chef de service journalistique. Il est l’œuvre d’individus totalement acquis à la défense de l’ordre existant dominant. Pour décrocher un emploi dans ces entreprises de fabrication de la marchandise informationnelle maquignonnée et corrompue, ne serait-ce que comme pigiste, il faut avoir le profil de l’emploi : posséder la foi démocratique capitaliste, croire aux mascarades électorales, partager les valeurs bourgeoises libérales, être pétri de la fibre patriotique. En résumé, avoir une personnalité servile et une âme vile. Aussi, assuré de recruter des agents formatés selon ces valeurs dominantes, libérales, bourgeoises, quel besoin le milliardaire propriétaire de médias aurait-il de manœuvrer ses valets journalistiques ? Ils lui sont instinctivement dévoués. Souvent, avec un zèle fanatique. Qui plus est, il est de peu d’intérêt de constater que dix milliardaires contrôlent 80% des moyens d’information-propagande en France (comme dans d’autres pays). Seraient-ils cinquante, le résultat serait le même. Et rien ne changerait en termes d’autocensure que s’imposent journalistes et directeurs de rédaction pour conserver leur emploi. Ce qui importe d’observer, c’est dans quel secteur économique ces milliardaires ont investi leur capital. Ce sont des marchands d’armes, des magnats de la construction, des marchands de produits de luxe et de la grande distribution.
Quoi qu’il en soit, avec la révolte des Gilets jaunes, les derniers mensonges sur la prétendue liberté de la presse ont volé en éclats. Et les journalistes, définitivement éclaboussés. Le peuple ne croit plus ces menteurs professionnels stipendiés. Les médias eux-mêmes ont pris conscience de cette discréditation, disqualification, cette débâcle éthique, déontologique. Il est à souligner, au passage, qu’on assiste au même phénomène de discréditation en Algérie. Les médias algériens, ces caméléons dénués de moralité, après avoir longuement servi obséquieusement le prétendant pharaon Bouteflika, ensuite épaulé un moment le Hirak à ses débuts, se sont mis promptement au garde-à-vous informationnel pour s’enrôler au service de l’état-major de l’armée, en particulier du défunt Gaïd-Salah, avec une ardeur courtisanesque inégalée, en vue de mener contre le peuple algérien révolté une guerre de désinformation et de propagande.
Voilà une conséquence majeure salutaire de la révolte des Gilets jaunes (comme du Hirak algérien). Cette crise de confiance s’explique, selon la majorité des Français, par le manque d’indépendance des journalistes vis-à-vis du pouvoir politique et économique. Environ deux tiers de l’opinion publique jugent que les journalistes ne sont pas indépendants, ni du pouvoir politique ni du pouvoir économique. Depuis quand un salarié est-il indépendant de son employeur ? En vérité, dans le système capitaliste, tout salarié est asservi à son patron, autrement dit c’est un esclave rémunéré, et à ce titre ne dispose d’aucune liberté au cours de sa phase d’exploitation, c’est-à-dire son temps de travail aliéné. Il est corps et âme dévoué à son maître à qui il doit docilité, obéissance, soumission. Une fois franchi le portail de l’entreprise, tout salarié perd sa liberté (de pensée, de conception, d’élaboration, de programmation, de décision : facultés totalement monopolisées par Son patron).
«La confiance dans les médias à son plus bas historique en France», avait titré la chaîne de propagande BFMTV. Le journal Le Monde, l’organe officieux de l’Etat impérialiste français, avait écrit au moment de la révolte des Gilets jaunes : «Selon les trois quarts des sondés, les journalistes sont jugés trop dépendants du pouvoir politique. Une critique entendue fréquemment au sein du mouvement, qui préfèrent les live sur Facebook pour contrôler leurs propos et se méfient des porte-parole, comme de toute médiation.» Même l’audimat de la télévision est en chute libre. Média jusque-là préféré des Français pour s’informer, la télévision recueille un niveau de confiance de seulement 38% (-10 points en un an). La presse écrite s’effondre à 44% (-8 points). Pareillement, les réseaux sociaux subissent la même érosion en matière de confiance. En effet, on pouvait penser que les activistes font confiance à internet, à Facebook, à Google, aux médias du net. Mais la même suspicion de collusion avec les puissances d’argent s’exprime à l’égard des organes dominants de la Toile.
Preuve du pouvoir de nuisance des médias consécutivement à toute révolte populaire : les calomnies colportées sur les Gilets jaunes. A l’instar de toute la presse française, Le Monde a propagé sans discontinuer la fable selon laquelle les Gilets jaunes étaient affiliés idéologiquement à l’extrême-droite. Mais ce mensonge n’ayant pas eu l’effet escompté, les médias français ont agité le sempiternel épouvantail lucratif de l’antisémitisme. Le Monde des 20-21 janvier 2019 avait titré : «Les Gilets jaunes, terrain d’influence pour la nébuleuse complotiste». On pouvait y lire : «Des figures conspirationnistes de l’ultra-droite se servent du mouvement», «les dérapages se sont multipliés depuis le début du mouvement», «la colère contre les institutions démocratiques est le résultat d’une entreprise idéologique», «ces obsessions complotistes antisémites autour de Macron et de la banque Rothschild s’affichent désormais dans les cortèges», «en se servant du mouvement né le 17 novembre pour démultiplier leur influence, les complotistes et antisémites liés à l’extrême droite gagnent en visibilité depuis plusieurs semaines». Et de conclure : «Le jour de l’acte X, des figures complotistes et antisémites et d’extrême-droite se sont finalement donné rendez- vous». Ainsi, parce qu’il avait osé défier courageusement la classe dominante, le mouvement des Gilets jaunes a été outrageusement calomnié. Pour accréditer l’imposture de l’antisémitisme, les médias avaient brandi des images d’un fait divers où un dénommé Finkielkraut, philosophe de son Etat bicéphale, avait été traité de sioniste par un manifestant. Aussi, pour accuser l’auteur de l’apostrophe d’antisémitisme, les médias français avaient prétendu que la qualification de sioniste serait assimilable à de l’antisémitisme.
Pour mieux éclairer notre étude, décortiquons la mission politique, idéologique et sociale des médias mainstream. Le rôle des médias bourgeois, de gauche comme de droite, est crucial dans nos sociétés urbanisées – multiethniques – criminalisées – pathologisées – communautarisées –, densément peuplées, soumises à de fortes tensions économiques (chômage et pauvreté), sociales (réduction des services sociaux), criminelles (drogues, délinquance, vols et crimes contre la personne). Au milieu de cette confusion sociétale, les médias sont une source d’insécurité et de chaos supplémentaire, en même temps d’agent d’endoctrinement et d’obscurcissement de la réalité, l’une de ces fonctions rendant les autres possibles et nécessaires.
De manière générale, l’activité médiatique comporte de multiples facettes. D’une part, les médias diffusent une vision du monde – celle de la classe dominante –, c’est leur première activité primordiale. Par cette activité, ils conditionnent la conscience collective et individuelle à accepter ce monde capitaliste tel qu’il est, avec ses valeurs marchandes, son esprit de prédation, son culte de la compétition et de la performance, son apologie de l’idéalisation des célébrités riches, imitées et jalousées par les petits-bourgeois envieux, anxieux, aigris, dévorés par l’ambition de se hisser un jour, à leur tour, croient-ils, au paradis des parvenus.
De surcroît, les médias à la solde ont pour mission d’exhiber sans vergogne les bas-fonds du monde sombre, l’envers de la belle société civilisée normée : le monde du lumpenprolétariat, des SDF, de la pauvreté et de la petite criminalité louche, le monde interlope du vol à grande échelle, du blanchiment d’argent, du crime organisé, qui alimente les rubriques faits divers. Cette outrancière médiatisation de cette criminalité protéiforme vise à susciter la psychose insécuritaire mais, surtout, à accréditer le mythe de la fonction protectrice de l’Etat capitaliste mis au service de toute la population : l’Etat démocratique, avec ses forces de répression, ses palais de justice, ses prisons et son armée, assure votre protection, braves citoyens (sic), propagent à longueur de diffusion informationnelle les médias.
L’autre activité principale des médias bourgeois consiste à soutenir les contestations sociétales contre le système (cela est permis et encouragé à titre individuel), mais en respectant les règlements et les lois – c’est-à-dire l’ordre public, autrement dit la dictature du capital. Les médias dominants couvrent chaque jour les multiples lilliputiennes protestations parcellaires féministes, syndicalistes, environnementalistes, gauchistes, communautaristes, etc. Tous les pleurnichards gémissant contre les injustices sociales sont reçus et encouragés par le pouvoir. Et ils obtiennent parfois une loi sympathique pour récompenser leur bonne conduite pacifique, une taxe sur les carburants frappant les pauvres gens.
La énième activité des médias consiste à exhiber la vie somptueuse des gens riches et célèbres. Il s’agit d’étaler leur fortune, leur aisance et l’abondance de leurs biens obtenue grâce à leurs «efforts» exceptionnels, personnels et professionnels, ayant permis leur ascension sociale et leur intégration dans le système capitaliste, ce magnifique système économique offrant à chacun la chance de s’enrichir, comme par hasard toujours les mêmes : les déjà riches.
Enfin, l’activité fondamentale des médias du capital est de mystifier la réalité afin d’en rendre la lecture confuse, de rendre le monde (la société, l’économie, la politique, l’idéologie) incompréhensible. Les médias imposteurs accomplissent cette mission en présentant toute activité humaine, particulièrement les activités économiques, politiques, idéologiques, diplomatiques, judiciaires, militaires, comme étant le fruit soit du hasard, soit de tel ou tel individu – génial ou caractériel – (l’imprévisible Donald Trump ou l’irascible Kim Jong un, ou le doctrinaire Khamenei). Mais jamais comme le produit des lois incontournables de l’économie, de la sociologie et de la lutte des classes.
Quoi qu’il en soit, par le travail manipulatoire opéré par les médias inféodés au capital, la société est délibérément complexifiée, enrobée dans une opacité politique machiavélique. Ce travestissement de la réalité a pour dessein d’éviter que les «citoyens» accèdent à la compréhension authentique des lois dialectiques régissant l’ensemble de la société déchirée par des antagonismes de classe. En lieu et place, les médias proposent des rumeurs, des allégations, des «fake news» et des complots machiavéliques, ourdis dans l’antichambre des riches, conduisant chacun à spéculer sur tel ou tel dirigeant (le Jupiter arrogant, Theresa May la puddle larmoyante, Merkel la Reich-Woman, etc.). Les médias asservis au capital proposent de supputer sur les manies et les travers des célébrités. Ces journalistes appliquent au monde de la politique, de l’économie, de l’idéologie les recettes de la morale vulgaire, de l’idéalisme, de la psychologie de bazar. Ainsi, Macron serait un arrogant, expliquant son dédain pour le peuple. Remplacez Macron par Mélenchon ou par Marine Le Pen et vous changerez de régime, suggèrent les médias à l’étroitesse d’esprit criante de vacuité. Or, Mélenchon comme Marine le Pen appliqueront, en cas de leur élection, la même politique dictée par le capital. Voilà à quoi se réduit l’activité idéologique des médias de droite comme de gauche.
De manière générale, on distingue trois catégories de médias bourgeois. Pour accomplir ce travail de fragmentation sociologique (les médias subdivisent le lectorat en fonction de sa catégorie sociale), de mystification et d’enrôlement idéologique, les médias bourgeois se répartissent en trois catégories. En premier lieu, il y a la presse de divertissement. Ces médias «people» ont pour fonction de divertir et d’anesthésier le public en vue de lui permettre de s’évader dans les rêves d’un monde meilleur, qui sera accessible probablement dans une autre vie. La presse people est le nouvel opium du monde civilisé : cet «opiacé médiatique», consommé sans modération sur fond de publicités alléchantes de vies paradisiaques illusoires, remplace la religion.
En deuxième lieu, il existe la presse d’information au service du capital. Ces médias de «formatage» idéologique adjoignent à la fonction «people» des prétentions déontologiques à informer objectivement sur l’actualité et des ambitions savantes à analyser scientifiquement les informations. En vrai, ces médias ont pour mission de façonner l’opinion publique aux fins de susciter son adhésion aux différentes politiques des gouvernements mais, surtout, d’entretenir la résignation des classes populaires à leurs misérables conditions de vie. Pour ce faire, ces médias recourent aux services des experts, des analystes, des universitaires affidés afin d’emberlificoter l’opinion publique.
En outre, il existe une troisième catégorie de médias, destinés à l’élite intellectuelle, politique et patronale. Ces médias rigoureux méritent d’être lus, notamment par les révolutionnaires, car ils analysent consciencieusement la conjoncture économique, politique, internationale, militaire, aux fins d’informer «scientifiquement» la classe capitaliste et ses commis politiques. Ces médias «d’influence» donnent le ton aux grands patrons et orientent leurs décisions. Le grand capital et ses saltimbanques politiciens ne disposent pas d’une grande marge de manœuvre. Il faut le rappeler : les lois implacables de l’économie politique capitaliste s’imposent à eux comme à tout un chacun. Mais les puissants milliardaires et leurs fonctionnaires financiers disposent du pouvoir d’accélérer ou de ralentir l’évolution de la crise, voire de la prolonger, quitte à l’amplifier.
Un exemple parmi d’autres : le président de la FED américaine a décidé dernièrement d’abaisser les taux d’intérêt sur les prêts, provoquant ainsi l’expansion de la masse monétaire et par voie de conséquence l’endettement accru des particuliers, des entreprises et des gouvernements. De la sorte, il ne fait que retarder le krach boursier, mais en décuplant l’amplitude de la catastrophe, sans en dévier la course folle. Voilà les limites du pouvoir discrétionnaire des milliardaires et de leurs avoués étatiques. Dans le même ordre idée : la classe dirigeante algérienne en déclin a beau déployer des stratagèmes habiles pour tenter de se maintenir au pouvoir, son destin a été scellé par l’histoire récente du peuple algérien révolté. Sa fin est imminente.
Enfin, il existe également une autre catégorie de médias, que nous n’avons pas intégrée à notre taxonomie des médias, à savoir la presse révolutionnaire. En rupture radicale avec les catégories politiques de la pensée dominante et les valeurs marchandes de la société bourgeoise, cette presse est évidemment, de par sa faiblesse financière, très peu visible, voire méconnue. Parce qu’elle ne se plie pas aux règles médiatiques mercantiles, cette presse révolutionnaire est vilipendée, ostracisée et boycottée par les médias mainstream, mais également par la presse de gauche comme de droite.
M. K.
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