Les caméléons
Par Abdelkader S. – Caméras, flashs, titres pompeux, commentaires déclamatoires. Les médias à la solde du pouvoir ont découvert comme par enchantement, ce jeudi, qu’il y avait des détenus politiques à El-Harrach. «Suivez en direct la sortie du moudjahid Lakhdar Bouregâa de prison !» se joutent sans vergogne ces chaînes de télévision qui ont reçu l’ordre de se braquer désormais sur ces «fantômes» qui, jusque-là, n’existaient que dans l’imaginaire des millions de citoyens qui battent le pavé depuis plus de dix mois et exigeaient leur libération immédiate et sans condition à chacune de leur manifestation.
Depuis ce jeudi, la direction du vent a changé et les girouettes ont tourné dans son sens. Comme d’habitude. Le pouvoir ordonnerait que tous les prisonniers libérés soient remis en prison et toutes ces télévisions se remettraient illico dans la position de l’autruche, la tête enterrée sous terre, ou des trois singes qui n’ont rien vu, rien entendu, rien dit.
Une des grandes réformes que le nouveau Président devra entamer en toute urgence est celle du secteur de la communication. Abdelmadjid Tebboune n’est pas dupe. Il sait à quel point ces outils de propagande versatiles peuvent lui être nuisibles si, par malheur, des cercles dont il ne maîtriserait pas les manœuvres venaient à les retourner contre lui. Il en a déjà fait l’amère expérience lors de sa campagne électorale.
Et même si le lynchage dont il a fait l’objet n’était qu’une mise en scène pour lui faire gagner une hypothétique sympathie d’une partie de l’opinion publique qui était acquise à la tenue de la présidentielle controversée du 12 décembre dernier, cela ne changerait rien au fait que ces outils malléables à merci sont une arme à double tranchant et qu’il faudrait qu’il fasse attention à ne pas trop s’y frotter au risque d’être sérieusement écorché.
Le journalisme n’a jamais été autant dévoyé, clochardisé, vidé de son sens et éloigné de sa noble mission que ces derniers mois. Il a besoin que les véritables professionnels honnêtes qui n’ont pas été contaminés par l’argent sale et les allégeances conjoncturelles intéressées reconstruisent une nouvelle corporation attachée aux valeurs du métier, celles d’informer et de défendre ses idées avec résolution et constance.
Un ancien homme d’Etat répondait à un directeur de journal connu pour sa basse flagornerie : «Nous ne vous demandons pas de nous caresser dans le sens du poil, mais de faire votre travail de façon professionnelle !» Lui est parti et le laudateur a gardé ses réflexes ataviques intacts.
Notre confrère Amar Belhimer a un rôle à jouer dans cette action titanesque de réorganisation d’un secteur réduit par les années Bouteflika à l’état d’instrument à vent et de machine à sous. Nous lui souhaitons bon courage dans la rude bataille qui est la sienne désormais.
A. S.
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