«Kabyles», «islamistes» : amalgames inacceptables et raccourcis dangereux
Par Mouanis Bekari – «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde.» (Albert Camus). Une réaction à un commentaire sur la contribution intitulée Serment pour la fin de la servitude, illustre bien le propos de Camus. Car l’usage approximatif qui est fait de notions précises les rend propices à des interprétations dangereuses. Et d’abord par cette injonction introductive : «Les Kabyles ne doivent pas faire échouer la Révolution comme les islamistes en 1992».
Le programme des islamistes n’était pas de faire une révolution, mais d’ensevelir la nation algérienne sous un empilement de préjugés idéologiques d’autant plus mortifères qu’ils sont le produit du monstrueux accouplement qui tourmente le monde depuis si longtemps, celui du fanatisme et de l’ignorance. Les «Kabyles», comme l’auteur du commentaire s’est laissé aller à les appeler, n’ont jamais eu un tel programme. Mieux, leur ambition est l’exact contraire de celle que l’on pourrait subodorer à la lecture de cet exorde. Elle est de restituer à la nation la plénitude de ses dimensions et aucunement de l’expurger de celles qui n’auraient pas l’heur de convenir à une idéologie qui leur est étrangère.
Par quelle alchimie l’auteur du commentaire fait-il coïncider «Kabyles» et «islamistes» ? Et de quel droit ? Admettons, par commodité de langage, que les «Kabyles» soient une ethnie, «islamiste», quant à lui, renvoie à un courant de pensée politique qui s’abrite derrière l’islam pour faire prospérer des objectifs politiques. L’ethnie «kabyle» aurait donc une essence politique ? Je ne veux pas imaginer que tel était le propos du commentateur. Néanmoins, c’est bien celui qu’il laisse entendre.
De tels amalgames ne sont pas acceptables. Même la fustigation des «berbéristes», dont les élucubrations ressortissent au même registre que celui des «islamistes», ne peut faire l’économie des moyens qui différencie les uns et les autres. Je ne sache pas que les «berbéristes» aient appelé à l’anéantissement de dizaines de milliers d’Algériens, à la relégation de la moitié de la population et à l’allégeance aux roitelets d’opérette orientaux. Et si les «islamistes» sont honnis pour leurs crimes, les «berbéristes» sont moqués pour leur niaiserie. En particulier par les «Kabyles». Mais voilà que l’auteur du commentaire en fait à présent une race ! De surcroît arrogante et qualifiant ceux qui n’ont pas la chance d’en faire partie de «métis» et de «bâtards» ! Pour dire les choses calmement, le commentateur se trompe. Lourdement.
Les Algériens veulent une nation qui les représente. Dans leur entièreté et dans leur diversité. Qu’elle traduise et protège leur histoire commune, dans tous ses épisodes, depuis les ancêtres mythiques aux héros modernes. Et s’il est un enseignement à tirer du Hirak, c’est que les Algériens sont attachés à l’Algérie par un amour qui trouve sa source dans l’histoire du peuple algérien, dans les souvenirs partagés, dans les espérances communes, dans la loyauté envers les héros qui peuplent ses cimetières et envers ceux qui sont restés sans sépulture, et dans l’espoir qu’il fonde pour ses enfants.
M. B.
Comment (198)