Faire contre mauvaise fortune bon cœur ?
Par Aziz Ghedia – Comme prévu, les élections du 12 décembre ont eu lieu. Les tenants du pouvoir – et à leur tête feu Ahmed Gaïd-Salah – sont allés jusqu’au bout de leur logique. Il n’y a pas eu, malheureusement, de «jamais deux sans trois» auquel une bonne partie de la «rue» algérienne croyait.
Certes, ces élections ont été boycottées par une grande partie des Algériennes et des Algériens. On sait que les chiffres finaux de cette mascarade électorale ont été gonflés à outrance. On sait que moins de 10% de la population algérienne en âge de voter a voté. On sait aussi que les jeunes Algériens qui, tôt le matin, se sont précipités vers les bureaux de vote sous l’œil propagandiste des caméras des chaînes de télévision du pouvoir, ne sont en réalité que des militaires en civil auxquels feu Ahmed Gaïd-Salah, l’ex chef d’état-major, avait intimé l’ordre non seulement de voter, mais de donner leur voix au candidat sur lequel l’institution militaire avait jeté son dévolu.
En fait, les Algériens ne sont pas dupes et ils savent beaucoup de choses concernant les agissements de ce système capable de tout pour se maintenir. Les Algériens, et en particulier ceux qui participent au Hirak depuis le 22 février 2019, sont arrivés à maturité politique et ne peuvent donc être roulés dans la farine comme au temps du parti unique. Si j’ai fait allusion au parti unique, c’est juste pour mettre en exergue le fait que l’éveil des Algériens remonte, en fait, à de bien longues années, mais la peur du retour à la décennie noire freinait en quelque sorte leur volonté de dénoncer le système Bouteflika poussé à son extrême caricature.
Puis ce qui devait arriver arriva.
Et, de notre point de vue, il ne s’agit ni d’un complot contre l’Algérie monté de toute pièce dans des officines étrangères ni d’un soulèvement populaire ayant un quelconque lien avec le fameux «printemps arabe». La goutte qui a fait déborder le vase, est-il peut-être utile de le rappeler, c’est cette tentative d’octroyer un cinquième mandat à un Président complètement effacé de la scène politique depuis plusieurs années. Sans cela, sans cette prédisposition de certains Algériens au culte de la personnalité – qui ont voulu faire de «Son Excellence» un président à vie –, on n’en serait pas là. Les choses auraient probablement pris une autre tournure. Sans cette bassesse politique qui consiste à louanger à outrance «l’homme fort» du moment, fût-il grabataire, juste pour garder ses privilèges, un autre Président, issu peut-être même des rangs du FLN, serait déjà à son huitième mois de gouvernance.
Mais comme «à chaque chose malheur est bon», il est de bon ton de considérer ce malheur comme une aubaine. Du pain béni pour une Algérie qui devrait, normalement, renaître. Pas de ses cendres, puisqu’il n y a eu ni destruction des infrastructures ni guerre fratricide comme l’avaient prédit certains responsables politiques au début du Hirak, mais de la volonté et de l’audace de ces hommes et de ces femmes que toutes les intimidations et toutes les menaces des forces de l’ordre n’ont pas réussi à faire renoncer à leur rêve. Ce rêve est en train, aujourd’hui, de se réaliser. Tout doucement peut-être, mais surement.
En effet, sous la pression de cette force fabuleuse du Hirak, beaucoup de choses ont changé. Beaucoup de ceux qui pensaient que l’Algérie, ses richesses et sa manne pétrolière étaient leur propriété privée et celle de leur progéniture, se retrouvent, aujourd’hui, derrière les barreaux. Le clan est presqu’entièrement anéanti. Que cela soit le fait d’un règlement de comptes entre clans au pouvoir ou l’aboutissement logique de la pression du Hirak, cela n’y change rien.
Après dix mois de Hirak, les élections du 12 décembre ont eu finalement lieu. La logique et le bons sens recommanderaient peut-être d’accepter ce fait accompli. En fait, le peuple algérien est sommé de «faire contre mauvaise fortune bon cœur».
Avec la nomination du nouveau gouvernement, l’Algérie vient de franchir une nouvelle étape de son histoire. C’est peut-être le début d’une nouvelle ère. C’est peut-être l’aube d’une nouvelle République, même si certains ministres sont des revenants, des ministres-résidus de l’ancien régime.
Plusieurs remarques peuvent être faites concernant ce gouvernement soi-disant de technocrates. Non seulement il y a eu reconduction pure et simple de certains ministres décriés par le Hirak pour leurs prises de position antérieures en faveur du cinquième mandat, mais il y a, sans doute aussi, du populisme, beaucoup de populisme dans la nomination de certains autres, à l’image de ce jeune de 26 ans. Ce choix a-t-il été fait intentionnellement par le nouveau Président juste pour montrer de façon on ne peut plus claire qu’il a respecté ses promesses et ses engagements électoraux ?
Toujours est-il qu’il y a du changement dans l’air. Un changement perceptible, même s’il reste beaucoup de choses à faire. Peut-être au prochain remaniement ministériel qui devrait intervenir le plus tôt possible car, avec un «attelage» pareil, la diligence Algérie n’ira pas loin.
Dans tous les cas, c’est ce sentiment que m’inspire, personnellement, l’évolution politique de ces derniers jours, notamment avec le début de la mise en œuvre de la condition phare des préalables exigés par le Hirak : la libération des détenus d’opinion.
A. G.
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