Le complotisme sert d’alibi aux Mollahs pour écraser l’intifadha et sauver leur régime
Par Mesloub Khider – Les classes dirigeantes, comme les médias à leur solde, n’appréhendent le peuple que comme une masse moutonnière dépourvue de conscience politique. Dans leur optique complotiste, le peuple ne s’éveille à la conscience, ne se détermine à lutter que sous l’instigation de quelque gourou meneur de foules ou de quelques professionnels spécialistes de la manipulation politique œuvrant au service d’occultes puissances «étrangères».
Ainsi, dès lors que les travailleurs investissent la rue pour revendiquer leurs droits à la vie, réclament l’amélioration de leurs conditions sociales, œuvrent à l’instauration d’une société humaine et égalitaire, ils sont aussitôt taxés d’être à la solde de pays étrangers. D’être manipulés par des forces nébuleuses. Etrangement, on n’accuse jamais la main invisible étrangère d’être responsable de l’habituelle résignation de ces mêmes travailleurs. De leur longue soumission, leur apathie. De leur effacement de l’histoire. On applaudit même leur résignation, leur passivité, leur asservissement. Signes de leur ferveur nationaliste. Preuves de leur fidélité au pouvoir dominant. Tant que le prolétariat demeure silencieux, oublieux de ses droits, il est acclamé pour son état d’accalmie. Dès lors qu’il se réveille de sa léthargie pour se lancer dans une synergie de luttes collectives, le prolétariat devient aussitôt objet de calomnies. Il est couvert d’ignominies, d’infamie.
L’Iran vient de nous offrir le dernier exemple sur le traitement différentiel de l’actualité saisie de manière policière par certains médias, et par le régime moyenâgeux des Mollahs. La théorie du complot a été de nouveau brandie en guise d’explication du soulèvement populaire et de légitimation de la énième sanguinaire répression.
En effet, en Iran, à la suite de l’annonce de la hausse du prix de l’essence, le moteur de la révolte sociale s’est puissamment embrasé. Dès la mi-novembre 2019, la rue iranienne a été le théâtre de manifestations violentes. Par milliers, les travailleurs iraniens ont envahi la rue pour dénoncer la chute de leur niveau de vie, protester contre la corruption, la dégradation des services publics, les fréquentes coupures d’eau et d’électricité.
Deux semaines durant, une centaine de villes ont été en proie aux émeutes. Les soulèvements ont été accompagnés d’incendies et d’attaques de stations-service, de commissariats, de centres commerciaux. Aux cris de «mort à Khamenei», ou «dehors les Mollahs», des mosquées et des écoles théologiques ont été incendiées, ainsi que de nombreux édifices publics, notamment des sièges de municipalités. Les manifestants iraniens ont également scandé «Ni Gaza ni Liban» pour dénoncer la dilapidation de l’argent dans les entreprises impérialistes iraniennes opérées par le régime des Mollahs.
Ainsi, les travailleurs iraniens sont descendus spontanément dans la rue pour dénoncer la cherté de la vie. Aussitôt ils ont dû affronter la répression policière et les milices paramilitaires islamiques. Ces dernières ont fait usage de balles réelles contre les manifestants. Selon certaines sources, les Mollahs auraient réussi à mater la rébellion en l’espace de quelques jours, mais au prix d’au moins 700 morts, 4 000 blessés par balles et 10 000 protestataires incarcérés.
Surpris par l’ampleur de la révolte sociale, le régime sanguinaire des Mollahs a instauré promptement un couvre-feu numérique, en procédant, dès le 16 novembre, au verrouillage d’accès à Internet dans l’ensemble du territoire iranien. Le président iranien, Hassan Rohani, s’est même fendu d’un communiqué pour dénoncer «un complot» de l’étranger, désignant nommément la CIA. Le régime a déclaré avoir déjoué un complot ourdi depuis l’étranger. Il a dénoncé un complot américain, sioniste ou saoudien. Quant à l’ayatollah Ali Khamenei, il s’est félicité d’avoir «repoussé l’ennemi». Voilà, le mot est lâché : le peuple iranien révolté est l’ennemi à abattre. Les classes régnantes dévoilent toujours leur véritable visage hideux et haineux au moment des soulèvements populaires.
Comme la révolte sociale a été cette fois vraiment politique, des femmes iraniennes se sont engouffrées dans la brèche pour revendiquer également la liberté d’ôter le voile religieux, cette sinistre bâche noire imposée par le régime moyenâgeux des Mollahs. Ce voile qui mutile leur personnalité. Ce voile qu’elles doivent porter comme l’étoile jaune de David imposée jadis aux Juifs, pour leur signifier leur singularité sexuelle, leur incongruité identitaire, leur infériorité sociale, leur stigmatisation «genrée», leur excommunication de la communauté humaine.
A l’évidence, ces derniers soulèvements populaires diffèrent des mouvements précédents, cantonnés aux protestations contre la tricherie électorale organisée par les deux factions bourgeoises iraniennes : la faction des dictateurs religieux islamiques et la faction des politiciens libéraux.
Cette fois-ci, les causes sont plus «prolétariennes». Cri de révolte du prolétariat le plus misérable du pays, celui qui survit dans les quartiers périphériques de Téhéran et surtout dans les petites villes, le soulèvement est parti surtout des villes de province (200 villes insurgées), comme en Russie en 1917. On oublie que les révolutions démarrent loin de la centralisation étatique, des grandes agglomérations ; les capitales sont en général très embourgeoisées. Le début du Hirak algérien a été impulsé à Kherrata, petite ville située dans la région des Babors, au même titre que le début de l’insurrection du 8 Mai 1945.
En outre, il est un autre signe frappant, inquiétant pour l’ordre mollah-rchique, que toute la presse occidentale n’a pas manqué de relayer : tout le monde a déploré l’absence de «dirigeants» ou même de «leaders» dans cette masse prolétarienne qui s’est attaquée violemment aux institutions de l’Etat.
Cette révolte, aussi soudaine qu’inattendue, spontanée, inorganisée, incendiaire, a inquiété toutes les chancelleries du monde capitaliste, tous les oligarques et despotes de la planète. Voilà que la misère sociale prolétarienne se pointe en fanfare et sans crier gare, sans craindre les balles – des centaines de tués déjà – ni les emprisonnements par centaines. Ce ne sont plus les simples étudiants petits-bourgeois mais bien les travailleurs iraniens qui sont entrés dans l’action, le combat.
Aujourd’hui, les enjeux de généralisation de la lutte sont autrement plus prégnants, avec des travailleurs en première ligne déterminés à en découdre avec les Mollahs. Ils ne veulent surtout plus vivre à genoux, prosternés, soumis à la dictature misérable islamique.
Une chose est sûre : une nouvelle manipulation de la CIA comme lors des «printemps arabes» est franchement à exclure, à moins qu’on ne considère la misère comme fruit vénal d’un complot.
Le récent assassinat surprenant du général iranien Ghassem Soleimani, intervenu comme par hasard en pleine période de soulèvement insurrectionnel populaire iranien et irakien, interpelle à plus d’un titre. Cet assassinat commandité s’apparente à un deal opéré entre les deux puissances prétendument ennemies, les Etats-Unis et l’Iran – le véritable ennemi des Etats-Unis c’est la Chine et il n’est absolument pas dans l’intérêt des Etats-Unis de se lancer dans une nouvelle guerre coûteuse financièrement et humainement dans cette région, mais de concentrer ses forces militaires en Asie, prochaine région d’affrontements armés.
En effet, tout se passe comme si, devant le rejet radical du régime des mollahs et du pouvoir irakien exprimé par les classes populaires insurgées, la révolte subversive populaire, le début de la dénonciation des divisions religieuses entre sunnites et chiites, l’effritement de l’idéologie nationaliste chauviniste, donc la menace d’une révolution populaire, les classes possédantes iraniennes semblent avoir consenti à sacrifier leur général – connu pour ses opérations commandos à l’extérieur de l’Iran – pour ressouder le «peuple» iranien dans une union sacrée, afin de dévoyer la contestation populaire vers la cible étasunienne, offerte comme exutoire dérivatif. Et les menaces de représailles iraniennes ne sont, en vrai, que des rodomontades théâtralisées.
Contrairement aux élucubrations apocalyptiques des médias, cet assassinat du général Ghassem Soleimani ne prélude absolument pas à une imminente guerre entre les Etats-Unis et l’Iran. Il constitue une tentative désespérée d’un régime théocratique aux bois d’étouffer la guerre de classe que lui ont déclarée les citoyens iraniens. Trump, conscient du danger insurrectionnel pesant sur les deux pays voisins en butte à des soulèvements populaires durables, de l’insécurité généralisée suscitée par les permanentes révoltes, pour sauver le régime des mollahs fragilisé et le pouvoir irakien vulnérable – mais surtout la vie de ses soldats –, s’apprête à retirer les troupes américaines de l’Irak afin de permettre à l’Iran de jouer seul le rôle de gendarme. Les Etats-Unis ne veulent pas assumer ce rôle de répression des révoltes sociales appelées à s’amplifier, s’enliser dans ce bourbier insurrectionnel social inextricable. Ce n’est pas la fonction des soldats américains d’assurer le service d’ordre. Les Etats-Unis préfèrent tactiquement déléguer ces basses œuvres de rétablissement de l’ordre à l’Iran, seul pays encore stable doté de forces policières et paramilitaires expérimentées dans les répressions des révoltes, comme il l’a démontré encore une fois le mois dernier avec le massacre de centaines de protestataires, l’emprisonnement de milliers de contestataires iraniens.
Contrairement aux divagations journalistiques calomnieuses, Trump n’est pas un président dément ou sot. C’est un homme intelligent. C’est un fin stratège. Il sait comment défendre les intérêts de sa classe dominante, de son pays.
Au reste, contrairement aux informations diffusées par de nombreux médias, on ne peut pas soutenir que la cause du soulèvement du mois de novembre 2019 est due à la seule «corruption» du régime, laquelle est réelle – 40 000 soudards dits «gardiens de la révolution», révolution bigote et spoliatrice des classes opprimées – s’engraissent sur 80 millions d’habitants. La cause en est l’état de crise économique systémique, le contexte de guerre permanent auquel est soumis le pays, sans oublier les aventures extérieures du régime des mollahs, impulsées dans le cadre de sa stratégie d’hégémonie régionale – le régime théocratique des mollahs débourse quatre milliards de dollars par an pour soutenir ses entreprises extérieures impérialistes. Et son budget de la défense officiel avoisine les 20 milliards de dollars, dont 50% sont alloués aux pasdarans, ces milices paramilitaires islamistes qui font subir au peuple iranien, soumis à une terrible misère, une féroce terreur.
De toute évidence, les jours de la «mollahrchie» chiite iranienne, dernière entité moyenâgeuse aberrante survivante, sont comptés – momentanément sauvée par l’assassinat opportun du général Ghassem Soleimani. Rien n’est impossible. Avec l’oppression islamiste qui vole en éclats, l’étiolement de Daech, les populations laborieuses iraniennes (et irakiennes) réclament la fin de la misère, la cessation de l’aliénation religieuse, l’instauration de la séparation de la religion de l’Etat, l’établissement de la démocratie et de l’égalité sociale. Tout est possible. En octobre 1917, en Russie, des travailleurs moins nombreux, suivis par des millions de paysans analphabètes, ont bien réussi à déboulonner l’aristocratie féodale tsariste.
Le peuple iranien relève la tête. Et sa frange la plus opprimée, la femme, ne va pas tarder à ôter l’obscur et infâme voile de sa tête, symbole de sa double oppression. Bientôt, après avoir éliminé du pouvoir les têtes enturbannées du régime théocratique, ces nouveaux hommes et femmes iraniens trôneront fièrement à la tête d’un pays moderne débarrassé de la dictature des mollahs, de l’oppression, de l’exploitation, de l’aliénation religieuse.
M. K.
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