A qui appartient la Constitution ?
Par Mouanis Bekari – C’est donc un à un comité d’«experts» que la révision de la Constitution a été confiée. Certes, une lettre de mission a fixé les préceptes de cette révision et le souci de répondre à certaines exigences du Hirak y apparaît incontestablement. L’expression et les soutènements des principes énoncés dans cette lettre sont également de nature à rallier un grand nombre, ce qui, étant donné le déficit de légitimité qui obère l’action du Président, n’est pas à négliger. Mais le mode opératoire laisse perplexe. Alors que la lettre proclame que l’objet de la mission est de formuler des propositions pour une «nouvelle constitution qui prémunira le pays contre toute forme d’autocratie, garantira la séparation des pouvoirs, assurera leur équilibre, confortera la moralisation de la vie publique et protégera les droits et libertés du citoyen», le moyen privilégié pour ce faire laisse entendre que ces ambitions, d’essence politique, relèvent de l’expertise technique.
Pour une initiative qui prétend réhabiliter l’image du Président, c’est plutôt malhabile. Car, plus que la fonction matricielle de la Constitution, c’est la charge symbolique qu’elle recèle qui exige d’être revivifiée. L’ampleur et la multitude des méfaits commis durant vingt ans ont détérioré bien davantage que la santé économique de l’Algérie. Ils ont endommagé la constance du lien qui unit les Algériens et fonde la nation. Ils ont ébranlé la certitude instinctive que nos attaches puisent leurs racines dans une mémoire commune nourrie par une histoire partagée et un avenir collectif. La résurgence de controverses immatures est là pour l’attester. La révision projetée de la Constitution est donc le moment topique pour réaffirmer les principes qui constituent le substrat irréductible de la nation, au premier rang desquels la souveraineté du peuple.
Ce n’est pas l’affaire d’experts mais celui de la société mobilisée pour proclamer la permanence des dogmes qu’elle s’est choisis. Pour s’en convaincre, il suffit de constater la vacuité des révisions constitutionnelles précédentes, toutes réalisées sous l’égide d’experts, sans pour autant que les principes énoncés aient été épargnés par des altérations funestes. La raison en est que le principal protagoniste, qui est en même temps le sujet de la Constitution, a été simplement, on est tenté de dire «naturellement», ignoré. Ce protagoniste, c’est le peuple. C’est lui seul qui, au travers des lois qu’il se donne, et en premier lieu la mère de toutes les lois, décide de l’essence de la citoyenneté qu’il se choisit. Non au regard d’un index de dispositions canoniques préparé par des professionnels, mais, aujourd’hui plus que jamais, par le biais de son expression directe.
On objectera que c’est là l’objet du référendum annoncé et qu’il convient de laisser le temps au temps et les experts travailler. Une telle argutie à toutes les chances de faire long feu, car les Algériens ne sont plus enclins à souffrir d’être considérés comme des citoyens subsidiaires, des métèques dans leur propre pays. L’Algérie qu’ils exigent est celle qui consacre la maturité politique qu’ils portent et la responsabilité civique qui en découle. Et rien ne se fera de légitime s’ils ne sont pas associés, dès à présent, à l’élaboration des mesures qui amenderont la Constitution, au plus qualifié des titres : celui de détenteurs de la souveraineté nationale.
Alors, oui, il faut consulter le personnel politique, en dépit du discrédit qui frappe la majorité de ceux qui le compose. Oui, il faudra que les experts nous disent comment ordonner les textes dans des dispositions claires et respectueuses des principes énoncés depuis dix mois par le peuple. Et, oui, il faut consulter un panel de citoyens représentatifs de la structure de la population algérienne sans être des représentants institutionnels, tirés au sort selon des critères congruents, en mettant à leur disposition un support technique et un encadrement juridique.
C’est le moins qui se doive faire pour remédier à la légitimité perdue de ceux qui ont oublié d’où elle émane.
M. B.
Comment (36)