Légalité contre légitimité : effet pouvoir et effet contre-pouvoir s’affrontent
Par Youcef Benzatat – L’état-major de l’armée a bouclé la transition qu’il s’était donnée comme objectif depuis la chute de Bouteflika, en désignant son représentant, un pouvoir de façade constitué d’un Président et assorti d’un gouvernement, drapés par la légalité du coup de force à travers sa formalité coutumière d’élections présidentielles scellées d’avance.
Le peuple, représenté par le Hirak, refuse cette fois-ci de se soumettre comme à ses habitudes à l’illégitimité de ce pouvoir de façade où il entend en finir en s’adressant directement à l’état- major, notamment par le slogan brandi lors des manifestations de tous les mardis et vendredis de la semaine, «dawla madania machi ‘askaria» (Etat civil et non militaire).
L’état-major, par le truchement de son pouvoir de façade, de ses services de sécurité et de son système judiciaire, déploie toute une stratégie d’«effet de pouvoir» pour tenter de transformer aux yeux de l’opinion publique la légalité dont il s’est dotée par ce coup de force en une légitimité acceptable par la majorité de cette opinion et disqualifier à l’occasion l’exigence du Hirak d’un Etat civil. Notamment, en chargeant le pouvoir de façade d’ouvrir un dialogue avec des personnalités issues ou proches du Hirak, qu’il faudra convaincre à intégrer son gouvernement, d’une part, et réécrire la Constitution comme «effet de pouvoir», qu’il faudra adopter par un autre coup de force référendaire, pour renforcer l’effet de sa légitimité, alors que le Hirak exige plutôt son application, notamment en ses articles 7 et 8.
En chargeant, par ailleurs, les forces de sécurité et le système judiciaire de durcir la répression contre le Hirak, par les arrestations, les condamnations, l’intimidation et la menace de tous ceux et celles qui ont un quelconque pouvoir d’influence ou de médiatisation de la détermination du peuple à vouloir recouvrir sa souveraineté législatrice en mettant fin à la confiscation du pouvoir. Parmi ceux-là, les prisonniers d’opinion les plus radicaux et les plus influents dont la libération est écartée de tout dialogue et de tout autre ordre du jour. Si, officiellement, Karim Tabbou, Fodil Boumala et beaucoup d’autres figures emblématiques du Hirak sont maintenues en détention, arbitrairement, principalement pour «atteinte au moral de l’armée», en vérité, c’est parce qu’ils sont en phase avec les exigences du Hirak. Notamment, la fin de l’Etat militaire pour un Etat civil.
De son côté, le Hirak ne se conçoit pas en tant que force politique, mais la conscience et la volonté d’un peuple de vouloir vivre libre et d’être maître de son destin. Etre souverain dans sa décision législatrice et source de tout pouvoir politique, judiciaire et militaire. Sa démarche s’exprime par sa volonté de résistance au fait accompli du coup de force depuis l’accès à l’indépendance nationale. Il incarne de cette manière un «effet de contre-pouvoir» dont l’objectif est la création des conditions de l’avènement de la légitimité et la disqualification de la légalité résultant du coup de force. Son auto-organisation n’est pas à concrétiser dans un potentiel leadership, car elle est exprimée dans cette volonté d’«effet de contre-pouvoir» qui défie toute structure organique qui voudrait l’empêcher d’atteindre son objectif. Cet «effet de contre-pouvoir» est incarné dans une conscience collective révolutionnaire, réceptacle de toutes les consciences singulières susceptibles d’y adhérer et de la renforcer pour venir discréditer, de toute évidence, le pouvoir illégitime.
Si le régime compte sur l’«effet de pouvoir» de sa façade politique pour inverser le rapport de force de l’opinion publique en faveur de sa légitimation, le Hirak compte de son côté sur son «effet de contre-pouvoir» pour inverser, à son tour, le rapport de force en sa faveur entre la légalité résultant du coup de force et la légitimité au sein même de l’état-major, dans l’objectif de créer les conditions de l’avènement d’une véritable légitimité. La conscience dominante du Hirak l’a compris et ni les appels au dialogue avec le pouvoir ni les appels pour sa structuration et la désignation d’un leadership ne sauraient détourner la trajectoire de la conscience révolutionnaire dont il s’est doté.
Y. B.
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