Le port du voile imposé à la femme est une survivance tribale païenne (II)
Par Mesloub Khider – La claustration de la femme, son «encagement», résulte d’un blocage culturel ou, pour user d’un terme freudien, d’un conflit sociétal. Tout comme les nœuds psychologiques, le conflit en question paraît être le produit d’une contrariété chronique, d’une agression envahissante urbanistique, à laquelle l’organisme – la société tribale patriarcale – répond par une mise en œuvre d’un mécanisme de défense au moyen du voile pour «protéger sa dernière monnaie d’échange» (supplantée par l’argent), la femme, cet être sur lequel l’homme a toujours eu droit de vie et de mort, mais aujourd’hui en voie d’émancipation grâce à son éducation scolaire et à son insertion professionnelle. C’est ce qui s’appelle se voiler la face pour s’abriter de la modernité urbaine insupportable aux yeux des traditions rétrogrades et misogynes.
Assurément, le voile des femmes s’explique par l’urbanisation des sociétés tribales. Les femmes ne se voilent que lorsqu’elles habitent une ville. Les femmes des campagnes circulent à visage découvert.
Et l’Algérie, tout comme la plupart des pays musulmans émergeant à peine de leur société tribale (mode de production agraire-féodal), illustre parfaitement ce malaise dans la civilisation. (Parlant d’Alger, un ami algérien architecte a su décrire de manière pertinente la configuration urbaine de la capitale contemporaine. Il a indiqué, à propos d’Alger, qu’elle a été victime ces trente dernières années d’une véritable entreprise de ruralisation. Le citadin a complètement été phagocyté par le rural. C’est un phénomène unique dans l’histoire humaine urbaine. Longtemps, depuis la naissance de la ville, c’est la ville qui absorbait l’apport rural grâce à la supériorité de sa culture citadine. Aujourd’hui, la mentalité rurale semble avoir triomphé du clivage ville-campagne. A la vérité, ce triomphe est illusoire. Cette victoire des forces rétrogrades de l’ancien mode de production en décrépitude est éphémère. Car c’est un combat d’arrière-garde et sa précaire victoire à la Pyrrhus n’a été obtenue qu’à la faveur d’une conjoncture mondiale capitaliste, marquée par la décadence, le recul momentané des forces progressistes.
La lutte des islamistes, derniers vestiges des sociétés archaïques agraires-rurales-féodales, menée faussement au nom de la religion, dissimule en vrai un combat des forces réactionnaires animées par une mentalité tribale, toujours vivace, réfractaire à toute modernisation de la société, symptôme sociologique de leur disparition. Et dévoile, sans jeu de mots, leur opposition à toute émancipation de la femme. Au final, la bataille du voile (pour ou contre le voile) n’est que le reflet de la bataille perdue d’avance entre l’ancien mode de production agraire – féodal et le mode de production industriel, urbain, capitaliste émergeant dans cette périphérie (musulmane) du continent impérialiste contemporain.
Comme on vient de l’analyser, la naissance de la ville a considérablement pénalisé la femme. Par son confinement dans l’enclos familial imposé par l’habitation urbaine, comme par son enfermement sous le voile dans ses rares pérégrinations citadines, la femme a subi une véritable dégradation de sa condition sociale. Exclue de la vie sociale, de la vie économique, de la vie politique, la femme a été réduite, durant plusieurs millénaires, aux simples tâches animales reproductives et à fonctions domestiques, cantonnées à l’éducation de sa progéniture, la tenue de son foyer. Cette exclusion multiforme des activités productives nobles et des occupations intellectuelles valorisantes a perduré durant des milliers d’années. Jusqu’au milieu du XXe siècle.
Historiquement, les religions monothéistes, notamment l’islam, n’ont fait que consacrer, voire sacraliser, cette tradition du port du voile imposé à la femme (le rôle de toute religion est de codifier moralement les traditions, tout comme le rôle du législatif est de codifier légalement les pratiques sociales). Selon certains théologiens musulmans sincères, le port du voile ne constitue nullement une prescription coranique. Cette pratique du port du voile relève d’une tradition millénaire née au lendemain de la naissance des villes, comme on vient de le démontrer ci-dessus. De sorte que l’argument religieux islamique pour justifier et légitimer l’obligation du port du voile est fallacieux.
De nos jours, cet avilissement des femmes par leur «voilement» de leur liberté, cette forme d’aliénation, représente actuellement la plus massive survivance de l’asservissement humain. Et la femme, comme beaucoup d’esclaves, est souvent complice.
Aujourd’hui, ce sont les évolutions induites par la révolution urbaine, ou plus exactement les réactions de défense opposées par les sociétés tribales «musulmanes» à leur urbanisation récente, qui sont responsables de la dégradation de la condition féminine. Bousculées dans leurs millénaires traditions, ces sociétés islamiques s’acharnent à perpétuer leurs idéaux à l’intérieur des murailles urbaines. Ces individus, chargés lourdement de convictions, réaniment à chaque génération marquée par l’afflux de nouveaux migrants leurs traditions tribales. Le nouveau transplanté ne devient pas du jour au lendemain un citadin libéral. La ville lui fait subir une série d’offenses. Blessé dans ce que sa personnalité a de plus essentiel, agressé dans ses convictions tribales, le nouveau transplanté dresse une muraille – un voile – entre les valeurs de la ville et ses convictions tribales. L’homme musulman à la mentalité tribale vit mal ces promiscuités urbaines, ces proximités masculines offensantes pour sa femme, ses filles, ses sœurs. Pour échapper aux regards «concupiscents» (selon ses délires phallocrates) des étrangers, il va tendre un véritable «rideau de fer» (d’enfer) entre la société des hommes et les femmes (pour les protéger, argue-t-il, pour défendre leur honneur, clame-t-il).
On prête cette phrase au Prophète Mohamed : «Cela (la charrue) n’entrera pas dans la demeure d’une famille sans que Dieu y fasse entrer aussi l’avilissement.» En d’autres termes, on n’intègre pas la ville (on ne se sédentarise pas) sans subir la dégradation de ses mœurs (tribales). Les sociétés tribales, surtout nomades, ont toujours cultivé une aversion pathologique à l’endroit des civilisations urbaines, associées à la débauche des mœurs, à la dépravation morale, à l’amollissement de la virilité, à la dissolution du patriarcat, à l’émancipation intolérable de la femme.
Paradoxalement, les partisans hystériques du port du voile invoquent des arguments religieux islamiques pour justifier et légitimer une tradition païenne. En effet, le port du voile imposé à la femme, comme on vient de le démontrer, est une survivance tribale païenne. Ne figurant réellement dans aucune sourate, aussi cette tradition païenne est-elle théologiquement censée contrevenir aux prescriptions authentiques du Coran. A la vérité, n’est-elle pas perpétuée au nom de cette millénaire domination patriarcale de l’ancien mode de production dont l’homme musulman non industrialisé contemporain semble difficilement se départir, au nom de cet atavique attachement obsessionnel à des traditions misogynes toujours aussi prégnantes.
Comme on l’a analysé plus haut, l’origine du port du voile imposé à la femme s’inscrit-il dans une longue tradition païenne millénaire, marquée par l’avilissement de la condition féminine. Le port du voile ne constitue aucunement un signe religieux. Encore moins un pilier de l’islam. Ni une prescription coranique. C’est un vestige parmi d’autres de l’ancien monde archaïque qui refuse de mourir dans de nombreux pays, notamment en Algérie. Un monde patriarcal dominé par des hommes demeurés fixés au stade enfantin et infantile de l’humanité, de leur personnalité puérile.
La misogynie transcende les frontières et les temps. Depuis l’aube de l’humanité, la condition de la femme a été réduite à une perpétuelle nuit. Drôle d’humanité qui piétine sa moitié pour avancer en entier. D’ailleurs, a-t-elle vraiment avancé, progressé, évolué depuis la nuit des temps, cette humanité socialement bancale ? Ne continuons-nous pas à vivre encore dans les temps de la nuit ! L’aube de l’humanité tarde à éclore, à s’éveiller.
L’hiver de l’oppression voile encore l’horizon culturel des sociétés musulmanes. Le printemps de l’émancipation de la femme «musulmane», certes, darde ses premiers rayons de liberté bourgeonnante d’indépendance sociale et juridique, mais le ciel patriarcal islamiste recouvre encore de son obscur manteau traditionnel les hommes musulmans, arc-boutés à leurs privilèges de domination masculine, enrobés de justifications religieuses, de légitimation coranique, paradoxalement avalisées et soutenues par une frange importante de femmes musulmanes, ferventes disciples de la servitude volontaire.
M. K.
(Suite et fin)
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