Le Hirak et le dernier pamphlet de Kamel Daoud
Par Par Aziz Ghedia – Non, on ne peut dire de Kamel Daoud qu’il est atteint du syndrome ou, plutôt, du complexe du colonisé parce qu’il a défendu l’«algérianité» pleine et entière d’Albert Camus. Non, ce n’est pas à cause de cela non plus qu’on doit le considérer comme ayant vendu son âme à l’ex-puissance coloniale. Votre serviteur qui est pourtant loin d’être connu dans le milieu journalistique ou littéraire a eu aussi l’occasion d’écrire sur Albert Camus sans que personne lui reproche quoi que ce soit.
En fait, les Algériens qui ont abordé la biographie ou l’œuvre littéraire de Camus sont innombrables, parmi eux des journalistes comme Daoud et qui n’ont, pourtant, été importunés par personne. Kamel Daoud a dû certainement travailler dur pour arriver à cette situation d’intellectuel envié par certains et honni et jalousé par d’autres. Tous les Algériens, qui n’ont, ne serait-ce qu’une fibre nationaliste, devraient être fiers de lui. On devrait être fier de lui parce qu’il a su redonner ses lettres de noblesse à la littérature algérienne d’expression française. Parce que aussi, qu’on le veuille ou non, ailleurs, il est porté au pinacle même par le milieu germanopratin. On lui ouvre les colonnes de journaux et on le convie aux plateaux de télévision. Probablement pas à cause de ses beaux yeux mais parce que ce qu’il a à dire est toujours subtile et intéressant.
Ce qu’il a à dire, on le sent d’ailleurs, sort de ses tripes. Il est même, quelque part, naïf et ne fait pas de calcul politicien pour exprimer à vive voix ce que la plupart d’entre nous, Algériens, n’ont pas le courage de dire ou, plutôt, ce qui paraît plus juste, ont assez d’hypocrisie pour ne pas le laisser transparaître. Cependant, tout n’est pas merveilleux ou fantastique chez cet Algérien que d’aucuns considèrent comme hors pair. Il y a aussi l’autre côté de la médaille.
En effet, on peut, parfois, être grisé par ses succès littéraires ou autres et se prendre pour un intouchable, un homme extraordinaire qui n’a de compte à rendre à personne. C’est certainement le cas de Kamel Daoud. Particulièrement en ces derniers jours où il occupe la «Une» d’un journal de droite de l’Hexagone aussi prestigieux que Le Point. Lequel journal lui a, par ailleurs, ouvert ses colonnes pour un article de pas moins de cinq pages bien pleines dans lequel ce journaliste-écrivain fustige le Hirak.
Cette erreur d’appréciation d’un mouvement citoyen de contestation qui est loin de s’essouffler après presque une année d’occupation des rues et des boulevards des villes algériennes a été très mal accueillie par les Algériens.
A vrai dire, on ne s’attendait pas, mais alors pas du tout, à cette sortie médiatique d’un de nos intellectuels qui était pourtant engagé, dès le début, dans ce mouvement. Pour quoi cette volte-face ? Pourquoi ce coup de poignard dans le dos du Hirak en ce moment précis ? Car il s’agit, ni plus ni moins, que de cela. C’est incompréhensible. Au moment où le Hirak s’attendait plutôt à un engagement beaucoup plus poussé, un engagement beaucoup plus sérieux et sans faille de tous les intellectuels, de toutes les personnalités politiques qui ont encore de la notoriété, du charisme et de l’autorité morale auprès du peuple, en vue de sa structuration, voilà que Kamel Daoud fausse compagnie à tout ce beau monde. Il change son fusil d’épaule et il part en guerre contre le Hirak.
Une volée de coups de bois vert tombe sur le Hirak.
N’est-ce pas que c’est frustrant ?
On n’abandonne pas un navire en pleine tempête !
Mais le Hirak a assez de ressources humaines et de ressorts psychologiques pour surmonter cette nouvelle épreuve. Depuis le temps, il s’est habitué aux retournements de veste, aux manœuvres machiavéliques d’un pouvoir finissant mais qui résiste encore et, enfin, aux jeux malsains des baltaguis, ces voyous, sans foi ni loi, souvent récidivistes invétérés, qui sont payés par des oligarques dont les intérêts sont directement menacés par la poursuite du Hirak. Il faut dire que Kamel Daoud a très mal choisi le moment de s’éclipser, presque sur la pointe du pied, en couchant sur le papier des mots très durs, des mots qui crépitent comme les balles d’une Kalachnikov.
Il est regrettable de le dire ainsi mais, de notre point de vue, Kamel Daoud est en train de passer, tout doucement mais inexorablement, de la position plus qu’enviable d’intellectuel au sens plein du terme à celle d’«extellectuel», si on peut utiliser cette expression. Certes, ce mot n’existe pas dans le dictionnaire. Ni dans le Robert ni dans le Larousse. Mais, par ce néologisme de notre invention, nous voudrions tout simplement dire que pour la majorité de hirakistes qui suivent de près ou de loin Kamel Daoud, de Kamel Doaud l’intellectuel organique, il est d’ores et déjà envisagé de parler à l’imparfait. Au passé. En utilisant «ex». Comme pour une femme qui a partagé pendant longtemps votre couche et qui s’est en allée un jour, par un beau matin brumeux, juste en laissant un mot griffonné sur la table de chevet, le divorce est bel et bien consommé.
Ceci est la première suggestion du mot «extellectuel».
Quant à la deuxième suggestion, il faut dire que par ce préfixe «ex», l’on pourrait peut-être parler de celui dont l’esprit intellectuel, l’importance des travaux de l’intellect comme écrire des œuvres littéraires, réaliser des films ou des pièces théâtrales, etc. sont beaucoup plus considérés à leur juste valeur ailleurs que dans la société à laquelle il appartient. Autrement dit, revenir à «nul n’est prophète en son pays». C’est ainsi que Kamel Daoud part souvent prêcher la bonne parole ailleurs, en France en particulier où, on pourrait presque dire, on lui déroule le tapis rouge. De plus, là, il ne risque pas grand-chose, liberté d’expression oblige.
A. G.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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