Chroniquer comme vendredire contre la dictature
Par Youcef Benzatat – Le Hirak a réussi à démasquer au grand jour le vrai visage de la dictature militaire, en déchirant le voile derrière lequel elle était dissimulée, l’artifice du «système». Un artifice entretenu volontairement par tous ceux qui y trouvaient leur compte, médias, intellectuels, clients politiques ou tout autre bénéficiaire de la rente, en propageant une confusion totale sur les véritables décideurs.
Après le 12 décembre, alors que l’armée a du mal à se dissimuler cette fois-ci, un véritable travail de tissage d’un nouveau voile s’est ébranlé. Les mêmes artisans d’hier ont repris du service. Nouvelle conjoncture, nouvelles méthodes. Le Président désigné pour la représenter redevient «Son Excellence». Les vertus de la stabilité s’affichent désormais comme valeur patriotique suprême. Un danger fantasmé menace à nos frontières, il n’y a pas de quoi mettre de l’huile sur le feu. La situation économique et financière est catastrophique, il faut se serrer les coudes derrière le Président et se mettre au travail. L’ANP, après avoir accompagné le Hirak à réaliser ses objectifs, doit à présent soutenir le Président que le peuple avait choisi dans sa tâche. Le slogan «Yetnahaw gaâ» est devenu une expression irréaliste, irresponsable, extrémiste, voire anarchiste, vidé de sa substance, celle de la nécessité de la refondation de la République sur la base d’un Etat civil, un Etat de droit, sous un régime démocratique et social.
En vain ! Le Hirak qui puise son énergie de l’espoir qu’un jour proche le peuple recouvrera son indépendance, sa liberté et se réappropriera son pays, son armée et ses richesses, se nourrit et se renforce justement de tous ces mensonges qui participent à la tentation du tissage de ce nouveau voile. La dictature militaire est à nu et plus aucun voile ne pourra la dissimuler à l’avenir. Elle n’a plus d’autre solution que d’anéantir tout flux de regards portés sur elle et d’éliminer les yeux qui la dévoilent. Faire taire les médias «subversifs.» Clientéliser les potentialités nocives, aptes à la servilité, à la cupidité et à toutes les compromissions permises. Et pour faire face à la résistance pacifique des hirakistes, il faut recourir à la terreur «douce». Séquestrer les personnes les plus influentes et en faire des exemples dissuasifs. Réprimer dans le tas à chaque cortège des marches hebdomadaires un échantillon suffisamment vulnérable pour créer une psychose collective. Pousser la psychose jusqu’au tragicomique. Un kamikaze a été neutralisé avant d’avoir pu faire un carnage au milieu du Hirak ! Au prix de passer pour ridicule de diffuser une telle information sensible à la connaissance du grand public, alors qu’elle devrait être gardée secrète.
Rien n’y fait. Le Hirak a goûté au bonheur que procure le sentiment de liberté de prendre possession de son intimité et de son espace vital, comme le bandit d’honneur qui a pris possession des montagnes et des forêts de ses ancêtres, confisquées par le colonisateur, comme la vierge forcée qui s’est défait de son hymen dont l’accès fut longtemps gardé par le poids des traditions et la nuit de la religion. Toute violence portée contre sa détermination pacifique est accueillie comme la maxime du mystique «tuez-moi, car dans ma mort, il y a ma vie». Mettez-nous tous en prison, autrement nous serons toujours là pour vendredire contre vous. Contre les généraux vieillissants au sommet de la hiérarchie militaire, ces dictateurs sans scrupule, cupides et égoïstes, qui n’ont d’intérêt que pour leurs proches et leurs progénitures. Contre leurs prétendants subalternes et contre la meute de leurs serviteurs, qui n’ont de poids dans leur existence que sous l’ombre de leurs protecteurs.
Y. B.
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