Hirak : pourquoi le recours à une grève générale ne serait d’aucune efficacité
Un pouvoir légitime n’a peur que des seuls résultats issus des urnes. Tel n’est pas le cas chez nous. Alors posons-nous d’abord la question suivante : pourquoi un pouvoir que d’aucuns croient serein et confiant dans sa continuité recourt à une répression féroce tous azimuts contre un Hirak pacifique ? Une telle réaction est caractéristique d’une crainte fortement ressentie par l’aile réactionnaire fascisante de ce pouvoir ; il se sent donc acculé dans son illégitimité qu’il se reconnaît lui-même ; il a donc peur. ll se trouve, malheureusement, que bon nombre de prédicteurs ont du mal à assimiler la peur que le pouvoir existant a, pourtant, du mal à cacher. Et cela engendre immanquablement un cafouillage dans leurs idées qui va jusqu’à altérer leur sens rationnel.
Nul ne peut douter, encore moins nier l’efficience des grèves généralisées et étendues dans le temps à laquelle certains appellent. Cependant, il ne faut pas perdre de vue l’importance dérisoire du tissu industriel algérien et, conséquemment, la taille du prolétariat ouvrier dont 63% dépendent du secteur privé et dans lequel activent pas moins de 90 000 travailleurs étrangers dont 13 000 Chinois, essentiellement dans le bâtiment, en faisant donc une masse non concernée.
Croire que notre économie souffrirait du blocage des entreprises publiques telles qu’El-Hadjar, le port de Mostaganem, Eniem, les unités de production de ciment ou autres, est un raisonnement approximatif, des chiffres peuvent venir en appui concernant la répartition de la population par secteur d’activité. Nous savons tous que la grande partie du «prolétariat» algérien public s’identifie en milieu administratif et qu’en cas de grève dans ce secteur, même illimitée, le préjudice engendré dans le fonctionnement des «administrations» passera inaperçu du fait de son dysfonctionnement «naturel», organique.
Nous savons tous aussi que le seul secteur où une grève illimitée ferait chuter, sans l’ombre d’un doute, l’ordre mafieux établi est celui des hydrocarbures. Fermer les vannes des pipes à destination de l’export n’est pas compliqué et se réduit à l’arrêt des installations. Mais là, on touche aux fondements mêmes de notre subsistance. On se heurte alors à un problème de conscience citoyenne car il y va de la survivance de la nation algérienne tout entière et de l’Etat algérien dans ses fondations les plus profondes, l’hypothèse terrifiante d’une guerre civile dévastatrice n’étant pas à écarter. C’est pour cette raison qu’il a été répondu favorablement aux demandes des grévistes cités car cette acceptation va aussi dans le sens unique de la préservation des acquis illégitimes de la gouvernance mafieuse. D’une grève, bien évidemment, il est instamment attendu des résultats. Ceux qui appellent à y recourir en attendent-ils de même du Hirak ? Si oui, ils font fausse route, le Hirak ne se nourrissant pas d’ambitions dirigistes.
Depuis que le monde vivant est apparu sur notre planète, chacune de ses composantes, humaine, animale, végétale, organique, ne cède son «bien» – étendu à toute une gamme de significations – en abdiquant sans livrer bataille. Principe et instinct génétique fondamental de la conservation.
Il faut noter qu’il y a plusieurs définitions de la révolution. Des définitions purement politiques et assez traditionnelles – qui renvoient aux événements violents qui aboutissent ou peuvent aboutir à une transformation du régime politique – et une définition plus large qui englobe tous les bouleversements sociaux, les révolutions sociales, conçues comme le résultat de la contradiction grandissante, ramenée à notre échelle algérienne, entre le diktat national-populiste dirigeant et la réalité de son despotisme sous-jacent dont l’inertie coercitive engendrée par le type de gouvernance qui lui est propre, contraignent la simple idée d’essor à mourir étouffée avant de germer. Nous, Algériens, sommes donc dans l’obligation de créer nos propres normes de lutte contre un pouvoir totalitaire, inique, qui dispose, néanmoins, de la force de répression.
On oublie très souvent de parler de Marx dont les élucubrations économiques et philosophiques sur le déterminisme en histoire, la dialectique entre bourgeois et prolétaires et la fin prévisible du capitalisme ont servi de socle idéologique et pratique à des régimes dont le seul résultat vraiment spectaculaire fut d’atteindre l’accablant total de 100 millions de morts dans le monde à travers des conflits armés désastreux. Mais le capitalisme est plus vivant que jamais et se décline aujourd’hui sous sa forme financière la plus hégémonique : la mondialisation. Marx, qu’on cite à loisir sans prendre le soin de décortiquer les tendances et les conséquences de ses théories, professait la guerre dans sa «lutte de classes».
Tout comme on oublie de parler de la naïveté rêveuse de Gramsci qui théorisa, du fond de sa cellule, un concept nouveau de «révolution par la culture à travers les médias».
Tous deux, certes, ayant élaboré des théories de «luttes» et de «révolutions» à partir de situations socio-économico-politico-industrielles préétablies dans leurs contrées occidentales. Pouvons-nous en faire usage dans un pays comme le nôtre ? Les sociologies massiques déterminantes existantes de part et d’autre ne le permettent pas, tout comme elles le feront d’une hypothétique «modélisation» à caractère réducteur des formes de luttes à envisager.
Nous sommes, nous Algériens, confinés dans un périmètre pseudo-démocratique de façade, régi par une Constitution dont les conventions (articles), théoriquement légiférées, ont été à dessein encadrées par des lois juridiques qui en limitent, et parfois empêchent, leur application normale. En bref, l’Algérien vit entre le marteau juridique et l’enclume constitutionnelle, avec cette particularité que ce marteau peut être mis en mouvement par téléphone. Made in Boutefland.
Suit donc que la situation sociale algérienne diffère de beaucoup de celles étudiées par Marx et Gramsci dans lesquelles les «classes» traitées, essentiellement occidentales, se battent pour ne plus rester esclaves du seul capital. Notre combat n’est pas le même qui nécessite d’inventer une nouvelle forme d’action révolutionnaire, à l’image du Hirak.
D’aucuns confondent lourdement entre destination et trajectoire. Qu’est-ce que le Hirak ? Le Hirak est-il un parti politique ? Non. Est-il muni d’une feuille de route lui indiquant les directions et les axes à suivre ? Non. A-t-il fait des promesses qu’il n’a pas tenues ? Non. Concourt-il à une «gradation» l’obligeant à produire des résultats positifs pour y être éligible ? Non. Est-il une association instituée ? Non. Est-il un groupement d’ordre idéologique ou doctrinaire ? Non. S’est-il proclamé représentant exclusif du peuple ? Non. S’inscrit-il dans une démarche anarchisante ? Non. Pourquoi alors exige-t-on de lui qu’il s’organise ? Que lui demande-t-on qu’il n’ait pas réalisé pour ainsi l’«éreinter» autant, gratuitement et sans raison apparente ? Que peut-on reprocher à un vecteur porteur d’un message universel d’émancipation d’une tutelle autoritaire et illégitime ? Comment ose-t-on lui dénier son plus grand succès : nous avoir permis de nous réapproprier notre «voix» et notre «espace naturel» ?
Ainsi, moi Hirak, qui suis un cri, un effet, un idéal, une onde propagatrice d’universalité, un miroir réflecteur de dignité, ma propre raison d’être est de demeurer libre et insaisissable, je dis à mes détracteurs et aux oracles : ma longévité ou ma disparition ne peuvent obéir à nulle autre prédiction que la mienne propre.
S. A.
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