A sens unique avec Kamel Daoud !
Par Mrizek Sahraoui – Le Hirak a «provisoirement échoué», a décrété Kamel Daoud, qui s’en est provisoirement sorti indemne de la polémique qu’il a lui-même créée sans que rien ne l’eût obligé. Pour répondre à ses détracteurs, l’écrivain franco-algérien – il aurait récemment obtenu la nationalité française – a utilisé l’artillerie lourde, en sortant un des accessoires de rhétorique qui marchent à tous les coups en France : la posture victimaire flanquée, il faut bien l’admettre, de quelques arguments fort bien étayés que certains se sont empressés de se raviser, forcés de reconnaître leur tort d’avoir offensé, mal compris, l’auguste chroniqueur, devenant au fil de ses chroniques le chantre de la critique à sens unique – ou de la pensée unique, c’est selon les cas.
De nouveau, Kamel Daoud vient, en effet, de postillonner un nouvel article au vitriol «La plaie dans la plume», paru le 31 janvier dans le magazine Le Point, contre Taha Bouhafs, «ce jeune agitateur de réseaux sociaux», écrit-il, mais qui a réussi à rameuter par le biais d’un simple tweet, le 17 janvier dernier, de nombreux anti-Macron, venus au théâtre Les Bouffes du Nord, dans le chic 8e arrondissement de Paris, troubler la quiétude d’Emmanuel Macron qui se trouvait là assis aux premières loges.
A quel titre – et selon quels critères – Kamel Daoud, qui n’admet pas qu’on le critique, s’est-il arrogé le droit de porter un jugement sur les compétences de ce jeune journaliste et militant antiraciste franco-algérien ? On ne peut suspecter le chroniqueur du Point de rouler pour le compte du Président français, pas plus que l’on ne peut l’accuser de porter atteinte au moral du Hirak. Mais à force de dézinguer tout le monde et dans tous les sens, il y a fort à parier que l’amortisseur ne pourrait pas résister si la chute venait à se produire. Ainsi que l’annonce d’emblée l’accroche de l’article, il «rappelle ce qui fonde la noblesse de ce métier cher à Albert Camus», l’auteur de L’Etranger qui préféra sa mère à la justice, à l’inverse de Kamel Daoud. Le plus français des écrivains algériens, ironisent d’aucuns, défend le métier, non, sa liberté de parole, diront les plus remontés.
Sinon, comme à chaque fois, ses fans apporteront des réponses comme viennent de le faire certaines grosses pointures qui sont intervenues dans le débat public, plutôt serein dans le cas d’espèce, faisant valoir avec force arguments, là aussi, que le propos de l’écrivain au sujet du Hirak «cultive le pessimisme pour mieux titiller la réflexion, mieux susciter la lucidité, le discernement, la révolte, l’endurance aussi», a brillamment plaidé le militant politique Hacène Hireche sur sa page Facebook, allant jusqu’à comparer Daoud à Aït Menguellet, une ineptie.
Leur seul point commun, et pas pour les mêmes raisons : on ne comprend pas toujours Daoud et Aït Menguellet. La dictature intellectuelle, même si celle-ci est le fruit d’une épistémophilie, est une chose, la sagesse légendaire incarnée en est une autre. En tout état de cause, on imagine mal Lounis Aït Menguellet déclarer publiquement le Hirak sous perfusion. Si le poète est entré de son vivant dans le panthéon de l’histoire, l’écrivain, certes reconnu mondialement, a, lui, raté, cette fois en tout cas, l’opportunité d’y accéder par la grande porte, faute de n’avoir pas su être le porte-parole d’une révolution qui, au regard des acquis, a vaincu, car le 22 février a sauvé l’Algérie, alors même que beaucoup reste à faire.
«L’échec provisoire du Hirak», la sentence ordonnée par Kamel Daoud, peut nous amener à nous demander qu’aurait retenu l’histoire si Mohamed Dib avait écrit à la Une de L’Echo d’Alger : la Révolution a provisoirement échoué ! Une comparaison saugrenue, seulement si l’on oublie que sous le règne de feu Gaïd-Salah les Algériens ont été soumis à des contrôles drastiques aux portes d’Alger, que des centaines de militants porteurs de l’emblème amazigh et un commandant de l’ALN ont été emprisonnés pour des motifs fallacieux, et le drapeau national devait être dissimulé, comme au Temps des Léopards.
Tout ça est complètement absurde. Pourquoi diable parlons-nous de Kamel Daoud alors que l’essentiel est ailleurs, précisément dans les rues d’Algérie où le peuple n’en finit pas, vendredi après vendredi, de démentir tous les pessimismes ? Le Hirak ne peut échouer, car il est justement dans la rue comme autrefois, lorsque des héros, pour défendre le pays où de rudes paysans faisaient pousser le meilleur blé du monde destiné aux autres, y jetèrent leur révolution, aussitôt prise à bras-le-corps par le peuple pour en faire l’une des plus belles qu’ait connue le siècle.
Certains font le procès du Hirak, mais oublient de faire celui du système. Ils ont choisi leur camp ! a remarquablement résumé un internaute.
M. S.
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