L’espérance de vie progresse dans une Algérie défigurée
Par Mesloub Khider – De nos jours, à sa naissance, l’Algérien peut espérer vivre deux fois plus longtemps que ses grands-parents. Quelle chance ! Quelle aubaine ! Ainsi, l’espérance de vie de l’Algérien s’améliore. L’Algérien peut désormais se targuer de vivre jusqu’à l’âge de presque 80 ans. Quel Espoir ! En attendant, le désespoir de la vie des Algériens dure une éternité : dès le berceau jusqu’à la tombe. Rien ne semble entamer cette descente aux enfers. Le Paradis sur la terre d’Algérie se fait toujours attendre. Le quotidien ressemble à un purgatoire dans lequel la majorité des Algériens s’immole socialement, brûle d’ennui faute de distractions attrayantes, égayantes, divertissantes. Sa longue durée de vie est inversement proportionnelle à sa carrière professionnelle, qui trépasse au seuil de la vie active. A peine éjectée des bancs de l’école dévoyée et pervertie par la pédagogie islamiste, notre jeunesse entame sa carrière de retraite anticipée, fonde son entreprise de néantisation ontologique.
Notre jeunesse pléthorique, aussitôt propulsée dans la fleur de l’âge euphorique, voit sa vie se faner, se flétrir, dépérir. Elle observe, impuissante, ses pétales d’énergie desséchées et tombées faute d’occupations productives et culturelles, de ressourcements intellectuels. Elle assiste, en spectatrice résignée, au déroulement, à l’écoulement, l’écroulement de son existence fantomatique. La jeunesse attend désespérément de rentrer dans la vie réelle, matérialisée par la foisonnante activité économique productive, inexistante dans ce pays d’importation alimentaire et d’assistanat social obtenus grâce à cette rente pétrolière providentiellement offerte par le désert. Malgré cette manne du Sahara, la vie de l’Algérien n’a jamais été aussi désertique. Car l’ouvrage quotidien de l’Algérien consiste à fabriquer du désœuvrement, à produire de l’oisiveté, à cultiver énergiquement de l’inactivité. Ces multiples indolentes occupations paresseuses que le monde entier nous envie, seules sources que nous exportons à profusion à l’étranger, pour les investir dans les grandes entreprises telles Pôle emploi, la CAF, etc.
Pour le moment, la vieillesse s’empare tôt de cette jeunesse, à force de mener une dévitalisante vie d’oisiveté avilissante. La sénescence corrode précocement son esprit pour avoir trop travaillé son cerveau à produire des vacuités existentielles. L’inoccupation ronge aussi son rachitique corps perclus de rhumatismes, pour avoir trop porté le fardeau d’une destinée lourdement chargée de flâneries, saupoudrées d’islamisme hérissé de bigoteries. Sa personnalité clivée ne s’est pas encore délivrée de cette culture rivée au monde ancien suranné. Sa dentition tombe aussi en ruine pour avoir trop ruminé les ressentiments et les griefs contre la mal-vie, avoir à belles dents mordu la poussière plantureusement semée par l’impérissable régime maffieux à la longévité légendaire, aujourd’hui menacé de mort subite ou plutôt de mort subie, dans une Algérie en pleine renaissance.
Dans cette Algérie défigurée par la dépravation, où la morale est devenue une anomalie, à force de cultiver des mœurs fondées sur la rouerie et la perfidie, la jeunesse sombre dans l’anomie. Son avenir incertain, déjà éteint, sur son visage se déteint. Son regard politique, sans égard pour la nation, furieusement s’égare dans les méandres d’une société travaillée par les clivages claniques et les religieux esclandres.
Aucune lumière n’illumine ses journées, dans un pays pourtant profusément ensoleillé. Même ces immenses écrans noirs, qui offrent un peu d’évasion visuelle, ont baissé leurs rideaux. Plus aucun cinéma à l’horizon sombre de l’Algérie déculturée pour divertir notre jeunesse désenchantée. Les salles de cinéma ont laissé place aux salles de prière des mosquées pour un dénouement, vécu dans le dénuement, convoité avec une brûlante foi : l’alunissage sur le globe céleste après une vie terrestre funeste. En attendant cette délivrance paradisiaque hypothétique, sa pathétique vie, remise dans les mains de Dieu, défile au ralenti, devant ses yeux noirs attristés par les tourments, obscurcis par l’inculture, assombris par l’indigence, obturés par le fatalisme.
Ironie de l’histoire, dans ce pays méditerranéen baigné d’une mer bleu azur, ces grandes forces vives de la nation ne peuvent aucunement s’adonner à la natation. En effet, pour tromper sa morosité suintante de mélancoliques détresses, la jeunesse ne trouve nullement de piscines pour tremper son épiderme déshydraté par la sécheresse de sa monotone vie.
Ce n’est pas grave ! En dépit de l’absence de distractions et d’avenir radieux, la misère est moins pénible au soleil, comme le chantait Aznavour. Pour notre bonheur, notre jeunesse, malgré sa misère existentielle et matérielle, a beaucoup d’humour à en revendre.
Enfin, d’ici 2060, notre jeunesse aura déjà vieilli depuis l’âge de 20 ans. Elle pourra ainsi s’enorgueillir de détenir le record de l’espérance de vie de (dans) la vieillesse.
M. K.
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