Ils ont tous atterri !
Par Abdelkader S. – Encore une fois, la «prouesse» d’un Algérien a été saluée, félicitée, chantée, louée, admirée, célébrée et apothéosée sur les réseaux sociaux. Un pilote de la compagnie nationale Air Algérie a réussi à faire se poser un gros porteur en pleine tempête sur le tarmac de l’aéroport londonien Heathrow. Applaudissements, youyous et zorna !
Sauf que tous les pilotes de toutes les autres compagnies mondiales ont pu, eux aussi, faire atterrir leurs appareils dans les mêmes conditions atmosphériques calamiteuses dues aux vents cisaillants violents qui rendaient la tâche difficile mais pas impossible. Si les autorités aéroportuaires des pays traversés par la tempête Ciara avaient jugé que celle-ci constituait un danger pour la navigation aérienne, les aéroports touchés par la furie des éléments auraient tout bonnement été fermés.
Cet éblouissement, cet émerveillement, cet enchantement écrasant par le «génie» de l’Algérien qui n’a pas fait se crasher l’avion dont il tenait le manche, rappelle les mythes et les fabulations que l’école algérienne nous inculquait, faisant de nous les plus forts, les plus intelligents, les plus courageux, les plus craints. L’homme au cigare s’occupait, lui, de nous flinguer avec son regard perçant, un Havane entre les doigts, pour nous montrer que l’Algérie qu’il dirigeait d’une main de fer rivalisait avec les plus grandes puissances de ce monde et que nos voisins étaient des nains devant nous.
Nous y avons longtemps cru. Internet n’existait pas, pas plus que les antennes paraboliques et les démodulateurs – les «démos» comme on aime à abréger chez nous. L’Unique, la télévision de l’Etat-providence réfléchissait notre image sous un prisme déformant, faisant de nous le «peuple élu» qui «réalise des miracles» et qui détient le plus grand ceci et le meilleur cela. Puis, les pénuries et les ventes concomitantes – la boîte de tomate en conserve accompagnée d’un pot pour se soulager – ont donné un coup de massue à un peuple désarçonné, décontenancé, surpris de découvrir qu’il n’est pas ce qu’on lui a toujours dit qu’il était.
Les prix du pétrole s’effondrent, le dinar coule, les voyages estivaux de villégiature cessent, les frontières nord se ferment, la violence s’installe. Mais, au lieu d’assimiler la leçon, nous avons repris nos réflexes pavloviens dès que Bouteflika nous a fait croire que nous étions (re)devenus riches grâce à la manne que nous assuraient nos gisements naturels, bénédiction tombée du ciel pour enterrer l’effort et le travail sous notre sol regorgeant de dollars en liquide gommeux. Nous nous sommes surpris à nous prendre à nouveau pour les meilleurs, à mépriser les autres, tous les autres qui ne nous arrivent pas à la cheville. Jusqu’au jour où, de nouveau, le faux miroir s’est brisé pour nous révéler dans notre déchirante nudité.
A. S.
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