Diplomatie algérienne : un nouveau départ aussi vital qu’urgent
Par Chérif Assmi – Sous les présidents Ahmed Ben Bella puis Houari Boumediene, porté par l’incommensurable prestige dont était auréolé la Révolution algérienne qui avait marqué tous les esprits et jouissait d’un grand respect à travers le monde entier, ainsi que par le rayonnement international, sans pareil, de notre pays devenu, en l’espace de quelques années, la Mecque de toutes les causes justes, Abdelaziz Bouteflika, trop jeune et fringant diplomate, avait, alors, la voie grande ouverte devant lui pour briller, sans nulle peine, et marquer, presque malgré lui, de son empreinte indélébile la diplomatie algérienne qu’il a dirigée avec panache, quinze années durant, avant de connaître la déchéance et de prendre le chemin de l’exil.
Revenu aux affaires et, cette fois, à la magistrature suprême qui lui a été offerte sur un plateau en or, après une traversée du désert longue de deux décennies, Bouteflika entreprit de redorer le blason de notre diplomatie, à ses yeux, complètement effacée, depuis son départ forcé. En témoignent son implication personnelle et directe dans la conduite de la politique extérieure du pays, à travers ses innombrables déplacements, aux quatre coins du monde, et la nomination à la tête du département des Affaires étrangères d’hommes connus et reconnus pour leur apport au pays, à un titre ou à un autre, d’Abdelaziz Belkhadem à Ramtane Lamamra, en passant par Mourad Medelci (paix à son âme).
Même si certains de ces hommes ayant eu en charge la diplomatie algérienne sont des personnalités et pointures intellectuelles exceptionnelles, ils n’ont pas toujours disposé de la marge de manœuvre nécessaire pour donner la pleine mesure de leurs capacités professionnelles et intellectuelles de façon à faire de la diplomatie l’instrument privilégié au service exclusif de l’image du pays et de son rayonnement.
Et pour cause. Abdelaziz Bouteflika a fait de la politique extérieure, plus que son domaine réservé, sa chose personnelle dont il a usé et abusé, avec des effets pas toujours heureux et, en tous cas, aux antipodes de ceux escomptés.
En 2015, immédiatement après l’un des rarissimes succès de notre diplomatie que le pays doit à une poignée de patriotes appartenant à certaines institutions de souveraineté, en l’occurrence, la négociation, la signature et le lancement de l’application de l’accord d’Alger sur la paix au Mali, Bouteflika instaura à la tête du ministère des Affaires étrangères une «bicéphalité» qui révéla éloquemment sa propre gouvernance désastreuse et signa le début de la décadence de la diplomatie algérienne.
En 2016, au mépris de tout bon sens et des intérêts nationaux, la négociation, il alla même jusqu’à refuser la proposition de certains pays africains, et non des moindres, de voir l’Algérie assumer la présidence de la Commission de l’Union africaine en la personne du chef de la diplomatie de l’époque, Ramtane Lamamra. Ce choix fut fait, tout simplement et exclusivement, pour des considérations personnelles auxquelles il avait délibérément choisi de donner la primauté sur l’intérêt national. Quand on sait que Bouteflika n’a jamais été un homme d’Etat, et qu’il a toujours agi et pensé en homme de pouvoir, on comprend aisément une telle décision qui participe d’une optique de destruction.
La diplomatie de l’Algérie avait connu un net recul, reléguant l’Algérie au rang de pays sans place, ni voix, jusque et y compris dans son voisinage immédiat. Elle a encore des difficultés à se remettre des dégâts subis.
Avec le vide sidéral au sommet de la pyramide étatique et la vacance de pouvoir si évidente, la paralysie totale, hormis l’expédition des affaires courantes, qui frappait la diplomatie algérienne avait rendu la voix de l’Algérie inaudible à l’extérieur, contribuant, ainsi, à transformer le pays en une république bananière inconsciente de sa terrible régression. Dieu soit loué, tout cela n’est plus qu’un mauvais souvenir, mais les dommages causés continuent de peser, et il faudra beaucoup de travail et de temps pour y remédier.
Même durant la décennie noire, période de déclin pour le pays qui était cerné de toutes parts, à l’intérieur comme à l’extérieur, la diplomatie algérienne a su jouer un rôle clé. Elle avait su dignement faire face à l’adversité et se montrer à la hauteur des évènements et des défis. En effet, les ministres des Affaires étrangères qui s’étaient succédé à l’époque, Lakhdar Brahimi, Sid Ahmed Ghozali, les défunts Mohamed Salah Dembri et Réda Malek – Allah yarhamhoum – et Ahmed Attaf avaient tous, chacun à sa manière, pu faciliter et compléter l’action personnelle des chefs de l’Etat de l’époque qui, du fait des circonstances particulièrement difficiles que traversait l’Algérie, n’avaient pas pu assurer une présence sur la scène internationale, absorbés qu’ils étaient par les graves défis qui se posaient au pays sur le plan intérieur.
Pendant la phase cruciale si chargée de défis pour le destin du pays, qui s’est étendue jusqu’à l’éviction de Bouteflika et de sa cour de prédateurs et de corrompus, le déclin de la diplomatie a accompagné et aggravé la crise à laquelle est confrontée l’Algérie.
Sous le dernier gouvernement de Bouteflika, au plan international et en matière de politique extérieure, l’Algérie, qui traversait une grave crise politique et économique marquée par une dangereuse précarité institutionnelle, ne pouvait faire davantage que d’assurer un service minimum et de résister aux opérations de déstabilisation qui la ciblaient et qui sont loin d’avoir cessé.
Après l’élection présidentielle du 12 décembre 2019 sur laquelle les paris n’étaient pas nombreux, notamment à l’étranger, sous l’impulsion du président Tebboune, Alger est redevenue un centre d’intérêt comme l’illustrent les visites de nombreux hauts responsables étrangers, qui viennent consacrer la juste place et le rôle de l’Algérie dans la gestion des questions de l’heure, au double plan régional et international, et redonner un certain lustre à sa diplomatie. On ne peut que s’en féliciter, sans pour autant verser dans l’autosatisfaction béate.
Une analyse sérieuse de l’objet et des résultats de ces visites montre aisément que celles-ci ne peuvent, ni ne doivent, nullement tenir lieu de politique extérieure pour notre pays qui, en la matière, doit se construire une véritable stratégie globale définissant des objectifs et identifiant les instruments de leur concrétisation. Cette stratégie, forcément résultat d’un débat national, doit impérativement intégrer la dimension «Communication» qui est, aujourd’hui, le talon d’Achille de l’Algérie. Faute de quoi, ce petit ballet diplomatique ne sera qu’un simple arbre cachant la forêt, et ses effets ne seront que ceux d’un éphémère tour de carrousel. En effet, le chemin à parcourir reste long pour que notre diplomatie soit à la hauteur des exigences et défis de l’heure.
La diplomatie algérienne doit, dans l’intérêt du pays, revenir, de toute urgence, à une situation où, comme naguère, elle constituait, avec la défense nationale, deux canons juxtaposés ou superposés d’un fusil afin d’être à même de valoriser sur la scène internationale les réalisations et les sacrifices de l’ANP et, au-delà, du peuple tout entier. Dans cet esprit, il faut impérativement œuvrer à faire cesser l’exclusion, la calomnie, la diffamation… Il y a, aujourd’hui plus que jamais, un devoir de rassemblement. C’est ainsi, et seulement ainsi, que pourrait être, éventuellement, favorisée une mobilisation au chevet de la mère patrie, qui en a crucialement besoin à cette étape historique capitale, de ses meilleurs enfants qu’habite le besoin de la servir et de lui donner ce qu’ils ont de meilleur.
A défaut, les dangers qui guettent le pays ne pourront que s’alourdir pour conduire vers une descente aux enfers dont les responsables ne sauront échapper à un jugement implacable des hommes, d’abord, et de l’histoire, ensuite. L’Algérie et les Algériens ont suffisamment subi. Ils ont soif et besoin que justice leur soit faite.
C. A.
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