Eviter que le Hirak soit détourné par les dépravés de la politique politicienne
Par Ferid Chikhi – Dans une précédente réflexion[1] sur les causes et les effets, ainsi que le devenir du Hirak, j’avais souligné, entre autres, qu’un système ne disparaissait pas mais se transformait. Cependant, personne n’ignore que celui de la République algérienne s’organise, mobilise ses commis et ses relais, s’agite pour, non pas seulement encadrer mais aussi l’infiltrer et le vider de sa quintessence. L’opposition n’est plus partisane mais populaire. Les partis étant disqualifiés, ils arrivent à peine à s’organiser pour rapidement se désunifier. Ils ne pensent même pas à se convertir ou se métamorphoser alors que les activistes du mouvement citoyen poursuivent leurs actions dans l’unité au grand désespoir des premiers et des seconds. Mais, attention, les cupides, les traitres, les rapaces sont aux aguets et savent y faire pour se replacer.
Les défis sont nombreux pour les deux prochaines années
Le pire qui puisse arriver serait que les dépravés de la politique politicienne, les sans foi ni loi de tous bords se mettent de l’avant pour encore détourner le fleuve tranquille d’un peuple à la recherche de ses repères. La vigilance est plus que jamais de rigueur. L’unité d’action qui fédère le mouvement tente d’éviter la récupération par les forces du mal. Leur tour de force est de poursuivre l’éviction d’une grande partie des auteurs des dérives qu’a connues le pays depuis plus de 30 ans. Un Président impotent, trois Premiers ministres et gouvernements, des corrupteurs et des corrompus et même des militaires tout-puissants qui ont gangréné une armée populaire que le Hirak veut avec lui au nom de «chaâb djeïch khawa khawa !».
Sur le plan institutionnel, l’ouverture de la Constitution par le nouveau Président fait partie des enjeux majeurs des prochaines décennies. Son contenu devra être républicain, citoyen et institutionnel avec de vraies références historiques et sociétales. Les carcans doivent être dégagés et seul l’intérêt du peuple et de l’Etat algériens devront conduire sa rénovation et sa mise à niveau.
Le Hirak doit prendre la juste mesure des nouveaux contours de la gouvernance nationale. Les équilibres politiques sont en voie d’être adaptés et les changements majeurs qui interviendront devront viser la pérennité en considérant les revendications de la majorité des citoyens.
Une feuille de route avec des objectifs collectifs
Le pouvoir en place a désigné un nouveau gouvernement et a établi sa feuille de route. Soumise à un Parlement illégitime qui l’a approuvée, on peut être d’accord et y consentir ou ne pas l’être et contester. Autrement dit, des questions de suivi se posent : le Hirak a-t-il pris connaissance des résultats de cette pseudo-approbation ? Si ce n’est pas fait, a-t-il au moins pris connaissance de son contenu et l’a-t-il validé pour savoir s’il répond à ses attentes ? Si ce n’est pas le cas, l’accepte-t-il ou la remet-elle en question ? Des rassemblements, des réunions, des regroupements se tiennent régulièrement un peu partout dans le pays et là où se trouvent des Algériens expatriés. Ces rencontres servent-elles la cause ? Si ce n’est pas le cas, une des actions premières à initier n’est-elle pas de regarder de près ce programme gouvernemental et entériner ce qui est pour le mieux ou dénoncer tout ou partie de son contenu ?
Dans la réflexion[2] précitée, j’avais souligné que les hommes du nouveau régime n’étaient pas si nouveaux qu’on pourrait le penser et pour cause. Ils font partie des troisième et quatrième cercles du pouvoir. Par conséquent, ils ne peuvent se défaire en un tour de main de leurs habitudes et leurs attitudes héritées d’une ère révolue. Ils continuent, non pas d’agir mais de gouverner comme leurs prédécesseurs, avec les mêmes travers, en appliquant des méthodes de résolution de problèmes sans états des lieux ni diagnostic appropriés. Nous avons eu quelques exemples de ces dérives citées par des ministres nouvellement installés.
Le rôle des élites
Alors, se pose une question essentielle : que font les élites de l’Algérie nouvelle ? A quelques exceptions près, elles restent cloitrées dans un silence incompréhensible. Les professeurs des universités, ceux qui enseignent les sciences politiques, la sociologie, la psychosociologie, l’économie, le droit, le management, etc., ne disent rien du Hirak. Si cela arrive dans certains cas, ils s’enferment dans des cadres de références limités à des lectures d’auteurs et collègues ayant publié quelques écrits, restés lettre morte. Pourtant, les thèmes du Hirak sont nombreux, depuis l’unité nationale en passant par la mobilisation, la composante sociale, la diversité ethnique, les catégories intergénérationnelles, les multiples revendications, les attentes et les espoirs des uns et des autres, etc. Ils constituent, à n’en point douter, une diversité d’agrégats qui font rêver des dizaines de chercheurs des universités et des académies à l’étranger.
Comme bien d’autres observateurs du mouvement citoyen qui fascine le monde par sa quiétude, son calme, sa détermination et son intelligence collective, je comprends l’hésitation de ces «élites». Mais l’inhibition imposée par la langue de bois, la pensée unique, la référence à un régime et un pouvoir sans partage ne sont pas faciles à évacuer. Serait-elle la seule en cause ? La réponse se trouve dans les initiatives que peuvent prendre les uns et les autres pour anticiper l’avenir et canaliser les forces vives vers le chemin critique qui aidera à l’atteinte des objectifs sociétaux tant attendus depuis des décennies. C’est l’heure pour elles, pour ces élites, de se libérer et de prendre part, avant qu’il ne soit trop tard, à cette mutation singulière d’un peuple porté par sa jeunesse.
Novembre 1954, Février 2019 : deux actes de naissance
A 65 ans de distance, comme leurs aînés qui ont déclenché la Révolution de novembre 1954 et qui se sont sacrifiés pour l’indépendance de l’Algérie, ceux des années 1990 qui ont été décimés par les hordes islamistes, l’apport des élites devient une exigence historique. Elles doivent s’exprimer, non seulement pour contribuer à formuler convenablement les désidératas du peuple, qu’il soit celui des grandes villes du nord ou celui de l’Algérie profonde, non pas sous forme de slogans mais par une pensée nouvelle qui accompagne le «yetnahaw gaâ», elles doivent considérer les incertitudes et les dangers qui guettent l’Algérie au plan international.
Le peuple est en attente d’une traduction de ses rêves, de ses exigences, de ses attentes par des réflexions que seuls les plus éclairés, les justes, les probes peuvent lui fournir. Que ces gens sortent de l’ombre et osent loin des craintes, des inquiétudes, des appréhensions imposées par des cadres de référence dépassés et pour beaucoup obsolètes. Si elles ne le font pas maintenant, elles ne le feront jamais et elles seront pour toujours les révoquées de l’histoire.
Il ne faut pas oublier que nos élites ne sont pas seulement celles qui se trouvent à l’étranger, mais elles sont aussi et surtout en Algérie. Elles se trouvent en première ligne d’une révolution citoyenne unique et admirée partout dans le monde. Amener les élites à se compromettre est un acte légitime montrant la loyauté envers la patrie. Ils éviteront par leurs idées et leurs pensées l’intrusion des forces étrangères qui n’attendent que leur heure pour s’approprier les effets du Hirak. Le Hirak, ce grand mouvement citoyen, s’inscrit dans la droite ligne des mouvements populaires qui soulèvent les grandes nations. Il brise les tabous. Les lignes de démarcation ont été franchies et le succès est juste en avant. Rester derrière ces lignes, c’est admettre malgré soi qu’elles protègent celles et ceux qui veulent interdire toute action positive, toute critique constructive et maintenir les ornières qui empêchent le discernement.
Pour conclure, rappelons-nous que la perte de sens, l’inculture, le détournement des concepts par des arrivistes qui n’ont jamais pensé et réfléchi aux biens de tous forment ce mur bâti par des mégalomanes tenaces et revanchards. Il faut l’abattre pour avancer sans peur ni crainte aucune vers le progrès et la modernité. La Révolution de Novembre 1954 a sonné le glas du colonialisme et des jeunes Algériennes et Algériens se sont sacrifiés pour atteindre l’objectif assigné, celui de l’Indépendance. Le Hirak sonne celui du totalitarisme, de la dictature, de l’hégémonie de quelques oligarques contre le citoyen. C’est un mouvement de jeunes qui veulent libérer la nation et ses citoyens de l’emprise des prédateurs de tout bord. Le Hirak doit rester ferme dans sa forme et diplomatique dans ses actions et il doit se structurer si ses animateurs ne veulent pas tout perdre.
F. R.
Consultant, membre du groupe d’analyse et de réflexion Afrique du Nord/Amérique du Nord
[1] http://www.convergencesplurielles.com/2020/02/un-numide-en-amerique-du-nord-254.html
[2] http://www.convergencesplurielles.com/2020/02/un-numide-en-amerique-du-nord-254.html
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