Le président turc Erdogan sans alliés et dans l’impasse
Par Ahmad Al-Khaled(*) – Une forte aggravation de la situation dans le nord de la Syrie a fait souffrir et pleurer la Turquie. A la suite d’une frappe aérienne, 33 militaires turcs ont, d’après Ankara, été tués, tandis que les médias sociaux annoncent la mort de plus de 65 personnes. Ce coup dur a provoqué une tempête d’indignation dans la société turque et a confirmé un résultat attendu de la politique incohérente du dirigeant turc. Au cours des dernières années, Erdogan a constamment retourné la communauté internationale contre lui, en perdant des alliés et en créant de nouveaux ennemis.
Le Président turc, qui a le complexe du Messie, interfère délibérément dans les affaires intérieures des Etats voisins, leur rappelant les pires moments de la domination ottomane. Les espoirs illusoires d’Erdogan pour la renaissance de l’ancienne grandeur de l’empire ottoman définissent la politique étrangère de la Turquie moderne, forçant Ankara à agir contre les intérêts nationaux et le bon sens élémentaire.
Tout d’abord, Erdogan a réussi à retourner contre lui les pays arabes musulmans. Dès le début du «printemps arabe», le dirigeant turc s’est engagé à démolir des gouvernements des pays de la région, en souhaitant imposer les régimes islamistes partout dans le monde. Les Egyptiens sont devenus les principales victimes de cette trahison. Erdogan finançait et coordonnait également les activités de l’opposition islamiste radicale qui a renversé le président Hosni Moubarak et amené au pouvoir Mohamed Morsi, un fanatique islamiste.
L’intervention dans le conflit libyen au profit des Frères musulmans a provoqué une réaction extrêmement négative des dirigeants arabes. Le déclin de l’influence turque dans l’Organisation de coopération islamique et l’échec des plans d’Erdogan visant à devenir le leader du monde islamique sont une réponse collective des pays musulmans à la politique égoïste de la Turquie.
Les manœuvres d’Erdogan en Libye ont provoqué un mécontentement extrême non seulement parmi les Arabes, mais aussi en Europe. L’aide turque à Tripoli ne permet pas de mettre fin à la guerre civile et provoque de nouvelles vagues d’émigration vers les pays européens. Dans le même temps, l’accord sur les frontières maritimes entre la Turquie et la Libye, signé par le Président turc et Fayez Al-Sarraj, a aussi énervé l’Ancien Monde. Le mémorandum turco-libyen est devenu le principal obstacle au projet de plusieurs milliards de dollars visant à développer des gisements de gaz près de la côte de Chypre et à construire du gazoduc israélien EastMed.
Dans ce contexte, un soutien aux islamistes dans la bande de Gaza et une grande méconnaissance des intérêts économiques de l’Etat hébreu ont détruit l’alliance à long terme de Tel-Aviv et d’Ankara. En réponse, la communauté du renseignement d’Israël a mis la Turquie sur la liste noire des pays poursuivant une «politique agressive». Cela garantit une attention particulière au régime turc de la part des agences de renseignement israéliennes.
Dans l’Union européenne, la Turquie d’Erdogan s’est créé une réputation de partenaire fiable, après avoir finalement enterré le rêve de générations de citoyens turcs de rejoindre l’Europe. Le chantage d’Erdogan qui menace d’ouvrir les portes de l’Europe aux réfugiés syriens restera longtemps dans les mémoires des pays de l’UE. De plus, ses assurances d’amitié et de solidarité deviendront pour les Européens un symbole d’hypocrisie.
Enfin, l’imprévisibilité d’Erdogan a été également ressentie par les Etats-Unis. Le chef turc a réussi à gâcher les relations avec son principal allié au sein de l’Otan lorsqu’il a accusé la Maison-Blanche de préparer le coût d’Etat, puis il a attaqué les forces pro-américaines des Kurdes syriens et a acheté les systèmes de missiles russes S-400.
La dernière manœuvre a contraint les Etats-Unis à imposer des sanctions contre Ankara et à exclure les Turcs du programme de production des avions militaires américains. La réponse de Washington a infligé de graves dommages à l’économie turque, affaiblissant la monnaie locale et baissant considérablement le niveau de vie du peuple turc. Malgré des assurances verbales de fidélité aux obligations, le refus de Washington et de ses alliés à l’Otan de soutenir la prochaine aventure turque en Syrie est la conséquence de la politique aventureuse d’Erdogan.
Dans le même temps, après s’être disputé avec l’Occident et ses voisins arabes, Erdogan n’est parvenu à se lier d’amitié ni avec l’Iran ni avec la Russie. Malgré l’achat des missiles et les intérêts économiques communs dans la construction de gazoducs, Ankara et Moscou ont failli entrer en guerre lorsqu’en 2015 la Turquie avait abattu un avion russe en Syrie. Le meurtre de l’ambassadeur russe dans la capitale turque est devenu un nouveau coup dur pour les relations entre les deux pays et, malgré de fréquentes rencontres bilatérales et une aspiration évidente du Kremlin à prendre en considération les intérêts d’Ankara, Erdogan, semble-t-il, perd la confiance du voisin du Nord et la possibilité de prendre part au projet eurasien promettant le renforcement des liens avec les pays post-soviétiques d’Asie centrale et de Chine.
La poursuite d’un parcours imprévisible conduira inévitablement Erdogan à l’isolement international et le peuple turc à de nouvelles preuves économiques et à des humiliations nationales. Le dirigeant turc ne se rend-il pas compte que sa politique incohérente mène le pays dans l’impasse ?
A. A.-K.
(*) Journaliste et auteur syrien
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