Un pseudo-front national pour mater le mouvement populaire
Par Youcef Benzatat – Un Front national du mouvement populaire (FNMP) a été créé, samedi, par quelques personnes se présentant comme des acteurs du Hirak. Cet événement a eu lieu dans un espace public, un hôtel dans la banlieue ouest d’Alger, et a été couvert par des médias autorisées ayant pignon sur rue. Ce, au moment où l’accès à tout espace public pour ce genre de manifestations est strictement interdit aux militants du Hirak et où aucune couverture d’une telle manifestation n’est tolérée par les autorités. La facilité avec laquelle cette manifestation a pu avoir lieu et la large médiatisation dont elle a bénéficié ne laissent aucun doute sur les véritables initiateurs de ce front.
Officiellement, «ce front a pour but d’établir un plan d’action politique et une plateforme de négociations avec les autorités, pour concrétiser les revendications populaires loin de toute idéologie». Pour se rendre crédibles aux yeux du Hirak, il est précisé qu’il ne se considère pas en tant que «représentant du mouvement, mais plutôt en tant qu’accompagnateur», non affilié à aucune idéologie, pour mobiliser sur tous les fronts. Son plan d’action résonne comme une consigne laconique exprimée en quelques mots : «La dissolution des Assemblées élues dont l’APN et l’organisation d’élections législatives avec une nouvelle réglementation», sans préciser comment ce front va procéder pour assurer les garanties nécessaires pour des élections propres.
La familiarité avec les manœuvres du système depuis le début du Hirak rend la transparence de ses intentions dans ce cas avec une grande évidence : des législatives et des communales en perspective. Le pouvoir a sans doute monté cette organisation pour coopter les futurs députés et P/APC et faire d’une pierre deux coups : désigner de nouvelles Assemblées et adopter la refondation de la Constitution par la nouvelle APN. Les Assemblées de wilaya et les walis seront-ils désignés par décret comme cela a toujours été le cas, ou alors seront-ils désignés par le truchement d’un suffrage universel de façade ? Tout dépendra du contenu de la nouvelle Constitution.
Et comme rien n’est laissé au hasard, les imams ont été instruits pour en assurer la propagande et des détenus jouissant d’une grande popularité auprès du Hirak, comme Fodhil Boumala et certainement bientôt Karim Tabbou, seront libérés comme gage de bonne volonté de la part du pouvoir.
Cette manœuvre du système s’appuie, selon les motivations de ce front, sur la volonté de sortir le pays de la crise induite par l’irruption du Hirak. Or, la conscience collective émanant du Hirak ne considère pas que celui-ci a mis le pays en crise mais, plutôt, qu’il aurait enclenché un processus libertaire dont l’essence est une révolution populaire permanente. Donc, un tel processus ne pourra s’arrêter un jour pour prétendre sortir le pays d’une crise imaginaire. Une révolution populaire qui est par essence permanente est un mode de vie. La mobilisation populaire est d’abord dans les têtes avant d’être dans la rue. Lorsque le système tombera, la révolution politique cédera la place à une révolution économique, culturelle et syndicale qui prendra le relais pour parfaire indéfiniment la société.
Le chemin pour y parvenir est long et le Hirak, par sa nature pacifique, patiente et passionnée, n’est pas pressé de faire aboutir ses objectifs qu’il sait s’inscrivant dans un horizon indéfini. Le processus révolutionnaire suit naturellement son cours, tout en s’appuyant sur l’idée que le système est déjà fini symboliquement. Pour l’heure, le Hirak joue un rôle fondamental de conscientisation de la population, pour la faire passer de la conscience pré-politique dans laquelle le pouvoir l’avait acculée depuis l’Indépendance, à une prise de conscience politique qui devra le prédisposer à toute forme d’initiative pacifique amenant le pouvoir à céder à ses exigences. Il n’y a que ceux et celles qui veulent profiter de la situation et qui sont prédisposés à faire allégeance au système pour bénéficier de ses privilèges qui sont pressés de voir les objectifs du Hirak aboutir immédiatement. Ce Front national du mouvement populaire, qui résonne comme un FLN-RND qui ne veut pas dire son nom, en est la parfaite illustration. Ses membres participent incrédules aux tout derniers soubresauts désespérés d’un système agonisant.
Pour un hirakiste sincère, ces manœuvres ne trompent et ne tromperont personne. Le véritable front du Hirak est dans les rues et les places publiques, tous les vendredis et mardis, et dans les forums sociaux engagés. Ce véritable front d’avant-garde, trop dangereux pour la pérennité du système, est chassé par la police et ses services de renseignements, dont le seul objectif est de harceler les honnêtes gens aimant leur pays et engagés pour son avenir.
Le Hirak n’aura d’autre choix que de résister à une telle offensive du système pour la faire échouer. Les médias ayant été neutralisés par la répression pour les plus têtus et par l’offre généreuse de rémunération conséquente de la publicité, pour s’abstenir de dénoncer de telles manœuvres, pour les plus vils, le Hirak assurera certainement par lui-même la contre-propagande en brandissant des slogans lors des manifestations hebdomadaires des vendredis et mardis, comme de coutume, pour sensibiliser l’opinion par la dénonciation de cette énième imposture.
Y. B.
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