Qui cherche à réhabiliter le FIS ?
Par Ramdane Hakem – Comme beaucoup de compatriotes, la visite effectuée par des figures connues du Hirak à Ali Benhadj n’a pas manqué de m’interpeller. Le commandant Bouregâa, l’avocat Bouchachi ou encore l’activiste Samir Benlarbi ont choisi le 22 février, jour anniversaire du Hirak, pour s’exhiber dans une vidéo en compagnie de l’âme damnée des terroristes algériens des années quatre-vingt-dix. Cette rencontre a coïncidé avec la mise en circulation d’une autre vidéo montrant Larbi Zitout et Sadek Hadjerès se congratulant sur la place publique. Deux événements à relier à la visibilité de plus en plus manifeste du Front islamique du salut (FIS) dans les manifestations de rue le vendredi à Alger, à travers ses carrés typiques, ses mots d’ordre forts, ses slogans qui donnent toujours le frisson. Ne sommes-nous pas devant une entreprise coordonnée de réhabiliter le FIS dissous, ou même plus encore, d’imposition de l’hégémonie du FIS sur le Hirak ?
En effet, Ali Benhadj n’est pas n’importe qui. Il est, depuis la mort d’Abassi Madani, et encore aujourd’hui, le président du FIS. Ce rescapé du groupe de Bouyali qui avait monté un maquis islamiste en Algérie dès les débuts des années 1980 a un passé éloquent. Usant d’un verbe populiste haineux, nourri d’injonctions «religieuses», il est parvenu en quelques années à devenir un des leaders incontestés de la mouvance islamiste radicale. Comme membre fondateur puis dirigeant du FIS, il porte la responsabilité des dérives que connaîtra ce parti. En refusant de se lever devant le drapeau national, cet individu – que des millions d’Algériens avaient pris pour modèle – a clairement indiqué qu’il ne reconnaissait pas la souveraineté de la nation et les sacrifices de nos martyrs. Il s’est octroyé sans équivoque, devant les caméras de télévision, le droit d’utiliser les armes contre l’Etat algérien. Il a rencontré, habillé en treillis militaire, le ministre de la Défense nationale pour lui dicter ses conditions. Solidairement avec les autres membres de la direction du FIS, il a créé une organisation paramilitaire qui alimentera les maquis en éléments armés. Avec son acolyte Abassi Madani, et alors que le sang coulait à flot dans nos villes et nos villages, il a refusé la sollicitation du président Zeroual lui demandant d’appeler les terroristes à déposer les armes.
Ali Benhadj était pour ses disciples celui qui disait la parole d’Allah, une parole qui ne souffre aucune contestation ni discussion. Ses discours vindicatifs ont légitimé le djihad, galvanisé des dizaines de milliers de nos enfants mués en machines à tuer et mourir. Ali Benhadj a fait de nos jeunes des terroristes car il les a convaincus que tuer ses semblables est un commandement d’Allah, le Dieu de l’islam.
La justice algérienne ne l’a pas condamné à mort, mais il ne mérite pas moins, son crime est monstrueux et indélébile. Pour me représenter Ali Benhadj, j’imagine un fabricant de lait en sachets qui, consciemment, vendraient des tonnes empoisonnées de son produit, tout en sachant que cela tuerait des centaines de milliers de personnes innocentes. Qui peut s’arroger le droit de réhabiliter un tel criminel ?
Considérer que Rachad est un parti comme les autres n’est-il pas une autre façon de réhabiliter le FIS ? Rachad, je l’ai découvert à travers les vidéos de Mourad D’hina. Pour dire les choses comme je les pense, les idées que défend Mourad D’hina dans ses vidéos, je les fais miennes à 80%. Dans un langage humble et apaisé, cet homme donne l’impression d’explorer les champs du possible pour trouver une issue aux énormes difficultés qui se posent au pays. Il est pour un changement radical tout en demeurant réaliste et, au moins en parole, résolument contre les discours de haine. Je ne partage pas certaines de ses thèses, mais c’est là des divergences que j’ai aussi avec des amis proches. D’aucuns ont trouvé dans les années de sang la fameuse phrase de D’hina, «ils n’ont qu’à en faire des martyrs pour eux !». Je suppose qu’il la regrette et elle n’en fait tout de même pas un terroriste. Nous aussi avions eu nos excès de langage.
Mais Rachad, ce n’est pas que Mourad D’hina. Les vidéos de Larbi Zitout nous font entrer dans un univers bien différent. En plus d’un égo hypertrophié, Zitout tient un discours qui transpire la haine. Son obsession récurrente est de forger un récit des années 1990 où les idées communes sont inversées. Selon lui, les acteurs qui agissaient au nom des institutions publiques – en particulier les officiers de l’ANP – sont de «grands criminels dépravés». Les terroristes ne seraient que les innocentes victimes du mal incarné dans l’Etat algérien. Ce prisme déformant, il l’applique encore aujourd’hui pour lire le Hirak, les drames du Sahel, la disparition de l’Etat en Libye, la guerre qui est faite à l’Etat en Syrie. Zitout n’hésite pas à appeler à la révolte les membres de l’armée algérienne et à soutenir matériellement la dissidence au sein de l’armée. Il incite régulièrement, à partir de Londres, les membres du Hirak à «radicaliser» leur action sans se soucier des conséquences dramatiques qui en résultent pour eux et leurs familles. Son argumentation est souvent démagogique et mensongère, du genre l’Algérie, un géant qui s’ignore, capable de faire vivre 400 millions d’individus.
Un cyber-activiste intervient en coordination étroite avec Larbi Zitout pour diffuser des données intimes sur la nomenklatura algérienne et sa progéniture. Des informations obtenues probablement de l’intérieur des services de renseignement. Comment rattacher le discours ordurier de ce cyber-activiste à la mouvance Rachad ? Pour le comprendre, il faut non seulement rappeler la complicité qui le lie à Zitout – ce que tous deux ne cachent d’ailleurs pas –, mais aussi prendre en compte les appels du pied réguliers de ce dernier aux marginaux en Algérie et dans l’émigration. Afin de se justifier, le diplomate boulanger aime à citer l’exemple d’Ali La Pointe rejoignant le FLN ; il doit plus sûrement encore penser à l’instrumentalisation du lumpenprolétariat (prolétariat en haillons) par le FIS. C’était des jeunes spécialisés dans l’attaque au couteau, au sabre, à la chaîne à vélo, qui terrorisaient nos filles, qui écumaient nos rues et nos universités, ceux-là mêmes qui deviendront par la suite l’aile marchante du terrorisme sanguinaire en Algérie.
Il y a également El-Magharibia, la télévision des fils d’Abassi Madani. C’est, lit-on sur son site internet, une chaîne de service public marocain. Quels objectifs poursuit le Makhzen en s’associant à une entreprise de cette nature ? D’où viennent les financements d’El-Magharibia ?
La seule chose qui soit claire avec El-Magharibia, c’est sa ligne éditoriale, jamais démentie depuis sa création : construire un front large pour abattre l’Etat algérien. C’est cette ligne, cette orientation que des acteurs puissants tentent de rendre hégémonique au sein du Hirak avec la complicité consciente ou inconsciente de «démocrates» aveuglés par la haine. Son mot d’ordre central est : dawla madania machi askaria, qui supplante progressivement la revendication centrale de «la famille qui avance» : djazayer horra dimocratia.
Enfin, il y a Al-Karama, une organisation des droits de l’Homme islamiste dans laquelle sont impliqués plusieurs dirigeants de Rachad en même temps que des représentants de l’islamisme radical du Moyen-Orient. Al Karama serait, d’une part un lobby financé par des capitaux moyen-orientaux –d’aucuns parlent du Qatar, de la Turquie et plus généralement de «musulmans» fortunés du pétrole – pour défendre les islamistes réprimés dans le monde, en particulier dans les pays arabes, d’autre part, elle serait une machine à récolter de l’argent au nom de l’islam pour le redistribuer à des organisations satellites.
Au total, l’on ne peut que rester interrogatif devant la constellation, le magma que représente la mouvance de Rachad. Qu’y a-t-il de commun entre Mourad D’hina, Djamel Benchenouf et le cyber-activiste en question ? Tous ces individus et organisations sont-ils soumis à un centre unique, nécessairement clandestin ?
La réponse à cette question fait ressurgir la thèse selon laquelle Rachad n’est que la vitrine légale du courant djaz’ariste au sein du FIS. Nous rappelons que ce courant avait une branche armée, le Fida, responsable des assassinats des intellectuels progressistes durant les années 1990. Rachad serait alors le point d’ancrage de tous ceux qui prétendent continuer le combat du FIS dans un contexte national et international désormais peu favorable à l’islamisme, en particulier dans son expression radicale extrémiste.
Qui peut prendre la responsabilité de réhabiliter le FIS, y compris sous la forme de son aile djazar’iste ? Celle qui a assassiné Abdelhak Benhamouda, Aziz Belgacem, Tahar Djaout, Djilali Liabes et tant d’autres étoiles de l’Algérie qui avance ?
R. H.
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