Le Hirak et l’instrumentalisation de la religion : l’indispensable clarification
Par Kaddour Naïmi – Avec le temps que dure le Mouvement populaire, diverses manœuvres opportunistes ont fini par se démasquer. Suite aux dernières contributions publiées (1), nous poursuivons la discussion à ce sujet. L’essentiel est de démontrer l’enjeu réel : ce n’est pas la religion en tant que telle, mais son instrumentalisation comme moyen de conquête et/ou de légitimation du pouvoir politique. Par conséquent, il n’est pas question d’opposer laïcs et religieux mais, dans les deux camps, déceler et distinguer entre la tendance faisant de la religion un simple moyen opportuniste de domination (ce qu’on appelle l’ «islam politique»), et la tendance se contentant de pratiquer sa foi sans la mêler aux conflits politiques (appelons cette attitude «religion personnelle») ou, alors, la faire servir à une émancipation sociale (ce qui fut appelé dans une précédente contribution «théologie émancipatrice»).
Occultations
Les représentants déclarés de l’islamisme politique, tels Ali Belhadj, Larbi Zitout, et défenseurs de ce courant, tel Lahouari Addi, déclarent que le peuple, sinon une partie significative de celui-ci, est pour l’islamisme politique. Leur argument à ce sujet est : parce que le peuple algérien est musulman. Dans un post sur un réseau social, Lahouari Addi est allé jusqu’à quantifier le poids électoral de l’islamisme politique à environ 20%. Un vrai sociologue aurait fourni les données justifiant un tel pronostic mais Lahouari Addi ne les fournit pas. Evidemment, les ignorants et les naïfs le croiront parce qu’il est un «éminent professeur» mais toute personne employant la raison exige de toute affirmation des preuves concrètes vérifiables.
Dans la présentation de l’islamisme politique par ses représentants et défenseurs, voici des éléments occultés.
- L’alternance démocratique
Ils ne déclarent jamais clairement, et sans ambiguïté, leur accord quant au principe de l’alternance politique. A savoir ceci : au cas où des élections démocratiques les porteraient au pouvoir, leur absolu respect d’y être uniquement le temps d’une législature, puis, à échéance, organiser des élections nouvelles, totalement libres et transparentes, susceptibles de voir les électeurs accorder leurs suffrages à une formation politique opposée.
Autrement, le scénario serait identique à celui de tous les totalitarismes, qu’ils soient laïcs (les Etats «socialistes», fascistes ou nazis) ou cléricaux (Talibans en Afghanistan, Iran actuel). Dans ce cas, n’est-ce pas une folie de permettre à une force politique d’instrumentaliser le principe démocratique pour l’éliminer ? Or, dans les programmes, livres et déclarations des représentants et défenseurs de l’islamisme politique, où trouve-t-on une affirmation claire et sans ambiguïté du respect du principe de l’alternance électorale ? Possible que Lahouari Addi en parle mais le plus important n’est pas sa voix (après tout il n’est rien qu’un «professeur d’université», donc un possible «idiot utile») mais celle des représentants officiels de l’islamisme politique.
- La référence
Considérer Dieu comme critère suprême est, bien entendu, concevable et normal dans la sphère du comportement privé mais, dans le domaine de la gestion sociale, cette conception est, toujours et partout dans le monde, un moyen de domination totalitaire. Même les nazis proclamèrent «Got mitt uns» (Dieu avec nous).
Il s’agit donc, pour les représentants de l’islamisme politique, de dire clairement et sans ambiguïté si, pour eux, bien que musulmans, ce qui prime dans la sphère sociale est la volonté populaire exprimée en un vote démocratique. Que, par conséquent, s’ils parviennent au pouvoir, ils ne peuvent prétendre que c’est Dieu qui les a portés au pouvoir, et que seul Dieu les en priverait.
La tactique du «cheval de Troie»
A ce que l’on sache, le défenseur de l’islamisme politique, inventeur de la «régression féconde», Lahouari Addi, n’a pas reconnu non seulement l’absurdité de cette expression mais, plus grave, sa dangerosité. En effet, nulle régression ne peut être féconde. Où et quand ce fut le cas ?
Lahouari Addi préconise de permettre au courant de l’islamisme politique d’entrer en compétition électorale, quitte à ce que, en cas de victoire, sa gestion insatisfaisante ouvrirait les yeux des électeurs qui, alors, voteraient pour un autre courant politique.
Or, comment présenter une telle proposition au sujet d’un courant politique qui n’a pas, clairement et sans ambiguïté, déclaré dans ses programmes, livres et proclamations de ses représentants le respect absolu du principe de l’alternance électorale ? Dès lors, n’est-on pas dans le cas d’une manipulation machiavélique pour permettre au courant islamiste d’arriver au pouvoir pour ne jamais le quitter ?
On objecterait : pourquoi ne le quitterait-il pas ? Pour un motif évident : ce courant politique a comme principe et base que sa présence au pouvoir n’est pas, en réalité et d’abord, la volonté populaire mais celle de Dieu car sans la volonté de Dieu, les électeurs n’auraient pas voté en faveur de ce courant politique. Après cela, allez donc dire à ces gens parvenus au pouvoir qu’ils doivent organiser de nouvelles élections afin que le peuple se prononce de nouveau, avec le risque pour eux d’être remplacés par une force politique adverse. Leur réponse ne serait-elle pas, en logique avec leur conception : «Nous sommes ici par la volonté de Dieu, et seul Lui pourrait nous en chasser…» Voici pourquoi la «régression féconde» se révèle être, en fait, une tactique opportuniste machiavélique pour introduire le «cheval de Troie» de l’islamisme politique au pouvoir étatique pour détruire la démocratie au profit d’une «régression» (en fait, un totalitarisme théocratique) «féconde» (on a vu ce que cette «fécondité» a donné en Afghanistan, et partout où domine l’islamisme politique au Proche-Orient).
«Pas en notre nom !»
Dès lors, que faire ? La réponse est déjà dans les précédentes contributions. Précisons. Il s’agit pour les musulmans qui ont une conception réellement démocratique impliquant le principe de l’alternance électorale de se faire entendre. Comme leurs coreligionnaires d’autres pays musulmans ou non, ils devraient publiquement déclarer que l’islamisme politique n’exprime pas la volonté de tous les musulmans, qu’il existe des musulmans démocrates.
Ainsi, d’une part, l’islamisme politique ne sera pas le seul à prétendre parler au nom des musulmans et, d’autre part, les laïcs sauront qu’ils partagent le même principe démocratique avec des musulmans. Dès lors, le débat aura à examiner le véritable enjeu : le mode de gestion de la société au détriment ou au bénéfice du peuple.
Vérité et justice
Bien entendu, pour réussir pleinement, une chose serait à faire : imiter ce qui fut réalisé et donna des résultats positifs en Afrique du Sud, à savoir établir en Algérie une commission «Vérité et Justice». Elle concernerait les principaux événements tragiques passés, et cela depuis octobre 1988 jusqu’à la «décennie sanglante». La vérité établirait objectivement la responsabilité des uns et des autres, tandis que la justice adopterait les actions adéquates et conséquentes dans un esprit de résilience. Cette dernière signifie une action dont le but est de permettre au peuple algérien de soigner une mémoire collective gravement traumatisée afin de pouvoir finalement édifier une société libre, égalitaire et solidaire.
Une telle commission est-elle possible en Algérie ? En tout cas, sans elle, les morts du passé continueront à peser sur les vivants du présent.
Indispensable clarification
Toute ambiguïté ne profite qu’à ceux qui manipulent le peuple pour servir leurs seuls intérêts de caste. Tout peuple ne peut être servi et progresser que par le maximum de clarté, appuyée sur des preuves concrètes et vérifiables. Aussi, toute personne déclarant que tant que la «issaba» n’est pas éliminée, il faut éviter les clarifications, parce que susceptibles de diviser le Mouvement populaire, ce genre de personne pèche en eaux troubles, manipule les citoyens, les considère comme des stupides, incapables de discerner la vérité et leurs intérêts. En voici la dernière preuve. Dans un post récent, Lahouari Addi intitule son texte «Pour mettre fin à la diversion sur l’islamisme politique». Notons le mot «diversion». Tout son propos est de faire croire que parler d’islamisme politique est une «diversion». N’est-ce pas là révéler le but inavoué : mettre fin à la clarification à ce sujet ? En effet, la clarification n’est-elle pas d’une importance vitale pour le peuple ? Ce dernier n’a-t-il pas le droit et le devoir de savoir pourquoi il se bat, dans quel but précis ? Dès lors, qui joue réellement de la «diversion» : celui qui met au débat le problème de l’islamisme politique ou celui qui déclare qu’il s’agit là uniquement d’une «diversion» ?
Désormais, après un an d’existence du Mouvement populaire, l’ambiguïté ne le sert pas ; au contraire, tout indique qu’elle le détruira, au profit de la tendance qui saura manipuler ce Mouvement populaire. Dès lors, le temps et l’urgence ne sont-ils pas à l’indispensable clarification dans ce domaine ?
K. N.
(1) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/03/religions-et-cycles-historiques.html et précédentes.
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