L’ANP à l’épreuve du coronavirus
Par Dr Arab Kennouche – La pression s’accroît sur l’état-major de l’ANP et sur le président de la République à mesure que la péri-équation de la situation politique nationale et internationale se complexifie devant les enjeux politiques du Covid-19. Sur trois plans différentiés au moins, l’équilibre des forces risque de rompre. Tout d’abord, la sécurité économique des Algériens n’est plus aussi ferme qu’auparavant depuis le ralentissement progressif des grands circuits économiques dû au coronavirus et à la baisse des cours du pétrole à court terme. L’Algérie étant impactée doublement sur ses recettes pétrolières et sur ses factures de blé, la situation tendue des fournitures de denrées alimentaires peut restreindre durablement l’action du gouvernement en quête de paix sociale.
Le deuxième problème tient à la situation politique interne, et notamment à l’attitude à adopter face à la contestation encore profonde du Hirak : dans quelle mesure peut-on à juste titre interdire tout rassemblement populaire pour des raisons sanitaires sans porter atteinte à la légitimité des revendications du peuple ? Question essentielle qui nous conduit vers une autre interrogation sous-jacente relative au conflit livré par les résidus du gaïdisme à la tête officielle des services de sécurité et de certains secteurs de l’ANP, et les anciens du renseignement algérien dont les réseaux sont les seuls compétents pour affronter la donne du Covid-19.
Santé du Hirak ou santé tout court
Il est évident que devant l’urgence de la situation sanitaire nationale, où la préservation de la santé des Algériens compte avant tout, le gouvernement doit stopper le Hirak, mais à quel prix ? Doit-il arguer de l’unité nationale et imposer un confinement des Algériens ou bien négocier des concessions et prendre des engagements dits démocratiques pour le futur ? Deux positions ou attitudes politiques qui, finalement, reflètent une ligne de fracture au sein du sérail décisionnel, entre un état-major enclin à négocier et une tête des services secrets plus prompte à saisir l’occasion d’un musèlement définitif. Qui ne serait effectivement pas tenté, en pareille occasion de confinement mondial, de ne pas appliquer sur le Hirak les règles d’isolement et d’interdiction de regroupement en vigueur ailleurs dans le monde ?
La responsabilité du tandem Tebboune-Chengriha en pareille situation est double car, cette fois-ci, le coup peut partir de l’un ou l’autre côté. A trop museler le Hirak, le peuple pourrait mésinterpréter l’invocation de raisons sanitaires comme une nouvelle parade du pouvoir. Mais à trop négliger la propagation du virus, une nouvelle mésentente pourrait naître dans l’esprit des gens invoquant cette fois-ci l’incurie du gouvernement et l’insouciance des politiques.
Devant une telle configuration, il est évident que les gaïdistes ont tout intérêt à pousser le curseur vers une extinction définitive du Hirak. Il est vrai que cette fortune, pour reprendre un concept cher à Machiavel, n’est que trop belle pour en laisser passer les avantages. Un confinement national signifierait de facto un confinement du Hirak. Quitte à ce qu’une telle mesure ne soit que provisoire, elle entraînerait une brisure fatale du mouvement, même s’il devait se reconstituer plus tard.
La fin des tergiversations
Cependant, l’équation se complique si l’on intègre que les membres indument propulsés des services n’ont pas les moyens matériels et l’expérience nécessaire d’un nouveau quadrillage sécuritaire et sanitaire de l’Algérie. En d’autres termes, l’engagement de moyens militaires considérables alliant expérience humaine et convergence de tous les secteurs militaires signifierait la collaboration effective et durable d’autres armes qui ne partagent pas les mêmes avis de la direction politique actuelle. Aussi, quand bien même certains décideurs gaïdistes issus des services de sécurité voudraient imposer la voie de l’éradication du Hirak au président Tebboune, ils devraient encore affronter l’obstacle technique et matériel du problème qui leur échappe considérablement.
Ainsi, la position du chef d’état-major de l’armée devient prépondérante devant la politisation rampante de la question du Covid-19. Surtout que, cette fois-ci, c’est le temps politique qui doit venir impitoyablement se greffer sur le temps sanitaire, dont la logique biologique implacable n’a que faire des calculs et atermoiements de la scène politique algérienne. Quel sens donnera Saïd Chengriha au confinement forcé du Hirak, celui d’une extinction ou d’une pause ? Le Covid-19 peut-il changer le rapport de forces entre les différents secteurs de sécurité ? Même en cas de volonté d’extinction de la contestation, cela ne pourra se faire sans la participation forcée de secteurs militaires dialoguistes qui, pour la circonstance, détienne un levier crucial dans le rapport de forces qui les oppose aux gaïdistes. C’est peut-être aussi l’occasion pour le chef de l’Etat de remettre les pendules à l’heure en démontrant une volonté ferme de combattre les intérêts corporatistes qui pullulent dans certains secteurs l’ANP, au nom de la préservation de l’unité et de la sécurité nationale. Une belle aubaine pour un gain de légitimité inespéré.
Plus qu’un gain de légitimité, Tebboune doit démontrer une implication sans faille à la préservation de la sécurité des Algériens dans le cadre de l’Etat. Il ne peut en être autrement, même devant le spectacle accablant de forces anticonstitutionnelles, illégales ou incompétentes encore présentes dans le jeu décisionnel. Le tandem Tebboune-Chengriha peut-il continuer de tergiverser, d’atermoyer, de se morfondre sur le bilan désastreux des Bouteflika, autrement plus visible en temps de crise aigüe, au lieu de trancher définitivement pour une direction politique univoque, mettant le cap sur la refondation de l’Etat ?
Il existe dans l’histoire des nations plusieurs cas célèbres de direction politique erronée qui, par la faute de décideurs arrivistes et incompétents, coûta cher à l’Etat dont ils étaient responsables. On se souvient des nombreux atermoiements des Chamberlain et Daladier devant la montée du nazisme et de l’esprit de Munich qui en naquit comme pour désigner cette attitude défaitiste et irresponsable devant les dangers qui guettent une nation. C’est cet esprit qui règne actuellement en Algérie où, de concessions en concessions depuis l’avènement de Bouteflika, nous sommes parvenus par intérêts égoïstes superposés à l’émergence de pantins aux jambes longues et aux ruades dévastatrices.
A. K.
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