Confinement : une précieuse occasion pour le Hirak de réfléchir sur lui-même
Par Kaddour Naïmi – La sagesse des peuples enseigne que face à tout drame, il faut s’efforcer de trouver ce qu’il peut contenir de positif. Voici une opinion au sujet de la menace sanitaire en Algérie. L’épreuve actuelle est une occasion de constater le degré de solidarité existant au sein du peuple, laquelle solidarité est la manifestation d’un niveau de conscience sociale. Ne considérons pas les responsables étatiques, leur devoir étant de faire leur… devoir. Considérons les citoyens.
Combien parmi eux appliquent personnellement les recommandations indispensables afin de ne pas porter atteinte à leur santé mais également à celle des autres ? Combien se portent volontaires pour nettoyer les rues et les espaces publics ? Combien s’adressent aux citoyens qui se trouvent dans ces lieux pour leur expliquer la nécessité de respecter les consignes sanitaires indispensables ? Combien de citoyens nantis portent secours à ceux qui manquent du minimum nécessaire dans tous les domaines ? Notamment, on a remarqué que pendant les marches hebdomadaires, les participants veillaient au nettoyage des rues où ils passaient. Combien parmi eux, à présent, veillent au nettoyage des espaces publics pour préserver la santé collective ?
Le manque de sens de responsabilité de certains citoyens n’est-il pas l’occasion pour que les participants au Mouvement populaire entrent en contact avec eux, afin de les sensibiliser à la solidarité citoyenne ? N’est-ce pas là une très précieuse et utile occasion de poursuivre et d’approfondir le Mouvement populaire, de montrer qu’il ne vise pas uniquement à changer de personnel étatique, mais également à changer les mœurs des citoyens ? Quant aux citoyens qui n’appliquent pas les consignes de protection, parce qu’ils comptent sur Dieu pour les protéger, n’est-ce pas l’occasion de leur expliquer que Dieu leur recommande d’abord de compter sur eux-mêmes et seulement ensuite de le solliciter ? Fournissant cette explication, n’est-ce pas une utile occasion pour démasquer les charlatans qui surfent sur la situation sanitaire pour entretenir leur unique fonds de commerce : instrumentaliser la religion ?
Auto-organisation
Bien entendu, pour entreprendre les actions ci-dessus évoquées, ne faut-il pas trouver des formes d’auto-organisation : associations, comités de quartiers, etc. ? Et ces formes d’auto-organisation ne pourraient-elles pas, par la suite, une fois la menace sanitaire vaincue, devenir des formes organisationnelles pour continuer à agir pour le bien du peuple ? Un fait, en passant, comme exemple : le système sanitaire cubain est l’un des plus performants au monde, malgré le criminel blocus américain, parce qu’il a commencé par créer des comités de médecine familiale populaire, sous l’égide d’un médecin nommé Ernesto Che Guevara.
En s’auto-organisant sur le plan sanitaire, les participants des marches hebdomadaires ne montreront-ils pas, ainsi, qu’ils savent faire mieux que marcher, proclamer des slogans et chanter ? Autre exemple : dans certaines régions du pays, des citoyens ont formé des associations de nettoyage et désinfection de rues. Malheureusement, ces initiatives restent trop limitées. Les milliers de marcheurs hebdomadaires ne gagneraient-ils pas à faire de même, pour obtenir plus de crédibilité populaire en vue de la concrétisation de leurs revendications démocratiques ?
Auto-instruction : assembler les pièces du puzzle
Si on ignore comment s’auto-organiser, des livres existent qui proposent non pas des recettes toutes faites, mais des exemples concrets d’inspiration à partir desquels l’intelligence peut trouver les formes les plus adéquates d’auto-organisation dans la situation actuelle.
En outre, le confinement à la maison est une occasion très opportune pour s’instruire au sujet des mouvements populaires : connaître leurs processus, leurs modes d’action, les motifs de leurs succès et de leurs échecs. A ce sujet, il n’est pas besoin d’aller dans une librairie, il suffit de chercher sur Internet de manière sérieuse, patiente et intelligente.
L’arrêt des marches hebdomadaires et le confinement qui s’ensuit ne devraient-ils pas être l’occasion d’augmenter la compréhension de la dynamique du Mouvement populaire, en particulier, et, en général, du fonctionnement de la société ? Notamment comprendre pourquoi une année entière de marches hebdomadaires n’a pas abouti au résultat escompté. Ou encore : comprendre le contenu et le but réels ainsi que le moment d’apparition de certains slogans, tels que «dawla madaniya machi ‘askariya» (un Etat civil et non militaire), «yetnahaw gaâ» (ils doivent tous être écartés), «djeïch chaâb khawa khawa», «Etat de droit», etc. Et, encore, découvrir le motif réel et inavoué qui faisait déclarer à certains personnages que le Mouvement populaire «n’a pas vocation à se structurer» ? On découvrirait, alors, que l’un des auteurs de ce choix se présenta en compagnie de Larbi Zitout, représentant de Rachad, à la rencontre de Paris, et que ce même personnage est l’auteur de la «régression féconde». Ainsi, on parvient à assembler logiquement les pièces du puzzle. Alors, on cesse d’être manipulé, en se croyant libre de ses actions et opinions, et on devient réellement libre parce que disposant de toutes les informations nécessaires pour se faire une opinion objective.
Plus dangereux et plus fatal que le virus biologique, qu’y a-t-il sinon l’ignorance dans le domaine où on agit ? Et quelle est la pire des ignorances sinon celle de croire savoir, alors qu’on est simplement conditionné et manipulé pour servir, à son insu, les intérêts d’autres que soi-même, d’autres que le peuple ?
Changer le mode de vie
Bien entendu, durant le confinement, il est important de se détendre, de se divertir comme on peut, de rire pour éviter l’angoisse et la dépression. Mais ne doit-on pas veiller à ne pas tomber dans le piège de ceux qui poussent à se contenter uniquement du divertissement ? Dans «divertissement», il y a «diversion». Cette dernière peut être bénéfique ou maléfique, selon l’usage qui en est fait.
Outre le sain et bénéfique divertissement, le confinement peut être l’occasion de méditer utilement sur le mode de vie qu’on a mené jusqu’à présent : pourquoi et comment j’ai vécu ? Dans quelle mesure j’étais animé et guidé par la raison la plus sage et non par des illusions trompeuses ? Dans quelle mesure mes actions étaient réellement le résultat de ma conscience éclairée par des connaissances objectives et non pas d’une manipulation par des experts en la matière jouant sur mon ignorance ?
Ce genre de lecture et de méditation personnelles, mais aussi collectivement partagées à travers des échanges virtuels ou directs, montrera que l’action a besoin de compréhension et vice-versa. L’expérience montre que Karl Marx avait tort d’affirmer que «les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde» et qu’«il faut désormais le transformer». Les échecs pratiques de Marx et des marxistes prouvent que leur action sur le monde a manqué de compréhension concernant ce dernier. N’affirment-ils pas que la pratique est le critère de la vérité d’une théorie : succès si elle est vraie, échec si elle est fausse ? Or, les expériences marxistes ont toutes échoué, au profit du capitalisme le plus débridé sur presque l’ensemble de la planète. La leçon à en tirer n’est-elle pas que la transformation et la compréhension doivent aller de pair, se compléter réciproquement ? Pour revenir au Mouvement populaire, la présente situation sanitaire ne lui fournit-elle une précieuse occasion pour réfléchir sur lui-même, pour entreprendre des actions sanitaires ponctuelles de solidarité sur le terrain et, ainsi, tisser de meilleurs liens avec le peuple ?
K. N.
Un ouvrage sur le Mouvement populaire est disponible ici :
https://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_sur_intifadha.html
Une liste de livres librement accessibles se trouve ici :
https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-auteurs-preferes.html
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