Couverture sanitaire : rien n’a changé en Algérie dix ans après la grippe A H1N1
Le texte pertinent ci-après nous a été adressé par son auteur qui l’avait fait paraître dans les colonnes du quotidien El-Watan en février 2010 suite à la survenance de la grippe A H1N1. Dans cette tribune qu’il nous invite à publier, Saâd Hamidi ne change pas une virgule, dix ans après sa rédaction, tant rien n’a changé dans le pays sur le plan de la couverture sanitaire depuis cette pandémie. La leçon n’a pas été retenue.
Par Saâd Hamidi – Notre système de santé est malade. Ceux qui y travaillent sont au bout du rouleau, que ce soit l’infirmière, le gestionnaire ou le médecin. Il l’est aussi parce que les citoyens ne reçoivent pas des soins sécuritaires et de qualité pour de multiples raisons. De plus, malgré les prouesses techniques de certaines équipes qu’il faudra, certes, encourager, nos responsables ne donnent pas le bon exemple en se faisant «traiter» (et non se faire soigner pour recouvrer la santé) à l’étranger. Ceci n’est pas fait pour rassurer le citoyen et ne motivera pas les structures de santé pour se surpasser et aller de l’avant. Il est à rappeler que les soins de santé représentent une approche globale depuis le diagnostic jusqu’à la guérison totale du patient. Se faire traiter pour une pathologie quelconque, c’est souvent recevoir de nos jours des interventions ciblées et coûteuses par des moyens technologiques appropriés d’avant-garde. Se faire soigner est une toute autre approche aux antipodes des traitements aux coûts faramineux qui ruinent les caisses de l’Etat.
Dans une approche systémique, le recouvrement de la santé va du diagnostic au post-traitement. Quand tout ce continuum se déroule au pays, un petit clin d’œil au passage aux nantis qui se font traiter pour des soins à l’étranger, on voit le bénéfice que pourrait tirer le patient en termes de relations de proximité et de bien-être. La santé doit toujours, et en tout temps, viser un cadre général, holistique même, quand le traitement, lui, vise une action spécifique et ponctuelle supposée être efficiente et optimale. Les différentes structures du système de santé doivent se compléter pour offrir des soins de santé intégrés au profit du patient à tous les niveaux.
Mais ce que je veux soulever comme problématique lancinante, c’est que la population vieillissante augmente à un rythme soutenu, avec une explosion des maladies chroniques. Et là, je veux faire un parallèle avec les décennies précédentes où les cohortes successives des élèves de première année primaire étaient toujours en augmentation constante. Déjà qu’il y avait des classes surchargées, un manque de structures et un manque d’enseignants, ce qui faisait qu’au bout du compte on n’arrivait tout simplement pas à suivre le rythme. On sait aujourd’hui, hélas, ce qu’il est advenu de notre système scolaire. C’est un système naufragé. J’en veux pour preuve la qualité de l’enseignement et le classement déplorable de nos universités à travers le monde. Il est plus que lamentable. No comment !
Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Si les pouvoirs publics ne prennent pas les bonnes décisions en termes de gouvernance du système de santé, nous subirons les conséquences terribles de notre inaction. Comme les universités, nos hôpitaux – nos mouroirs allais-je dire – seront les derniers de la classe. Ils seront tout simplement dangereux ! Prenons comme exemple le cas de la grippe A H1N1. Je ne veux pas rentrer dans les détails du bien-fondé ou non du vaccin en tant que tel (voir les différents sondages en Europe, notamment la France et la Grande-Bretagne, le cas de l’Allemagne, le cas de la Pologne, etc.), mais les gros titres de la presse nationale ont rapporté un état de confusion générale au niveau du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière.
N’étant pas moi-même clinicien(1), donc peu impliqué dans le plan de gestion de crise-phasage et délestage des activités de notre centre hospitalier universitaire de Montréal, et pourtant comme tous les cadres dans ma situation, nous étions concernés au même titre que les cliniciens et ceux qui étaient aux avant-postes. Le nombre de rencontres, les formations, les plans de communications qui ont été mis en place pour le personnel et les cadres reflètent le sérieux et la rigueur mis en avant pour faire face à cette pandémie. Nous étions informés en temps réel (par courriel, par Intranet, par des réunions urgentes) du nombre de cas avérés hospitalisés ainsi que de la gradation dans l’application des mesures du plan d’urgence mis en place pour la circonstance.
Je n’ai point l’envie de m’étaler là-dessus, si ce n’est le fait de souligner, toutes proportions gardées, une gestion lente et non concertée vers une gestion rigoureuse. Pourtant, notre pays possède les ressources et le potentiel qu’il faut pour répondre convenablement à cette pandémie. On ne le répétera jamais assez et, puisque c’est d’actualité, nous avons pu relever un défi colossal et envoyer près de 12 000 personnes à Khartoum en un temps record qui a fait pâlir certains pays puissants !
Pourquoi sommes-nous incapables de mettre en place un plan d’urgence efficace de vaccination pour la grippe A H1N1 ? Faut-il que le Président s’en mêle ? Faut-il que l’armée s’en mêle ? Pauvres de nous ! Cela fait presque vingt années que j’ai quitté mon pays, à mon corps défendant ! J’avoue ne pas connaître réellement l’organisation actuelle du système de santé, si ce n’est par ouï-dire ou quelques articles de journaux ! Mais on laisse «el bir beghtah».
Pour faire face à de grands défis futurs, notre système de santé doit tendre vers un ensemble structuré considéré comme un tout cohérent, en laissant place à l’autonomie de décision, allant de pair avec une responsabilisation dans la gestion des soins de santé. En somme, il faudra veiller à séparer la production des soins du système politique lui-même, qui est censé donner les grandes orientations en matière de soins de santé. Concomitamment à cela, l’imputabilité, le contrôle et la reddition des comptes sont de mise. Pour cela, il faut définir une vision globale qui suscitera l’adhésion de l’ensemble du personnel du système de santé à travers un plan de communication efficace et rationnel. Cette vision pourrait s’articuler autour des axes suivants :
– Une approche systémique plutôt qu’une approche réductionniste. La question fondamentale à laquelle j’essaye de répondre est que l’enseignement académique de la médecine a abouti à une vision morcelée et fragmentaire de l’individu et, bien évidemment, la méthode cartésienne n’est pas étrangère à cela, loin s’en faut. Les systèmes de soins de santé actuels sont organisés comme si le traitement, et non la santé, était l’objectif. Il est clair que nous sommes en train de dispenser des soins avec des équipements de plus en plus sophistiqués dans une structure ancienne, ancrée dans une logique le plus souvent binaire et déterministe, où le patient n’est pas considéré comme un acteur actif.
Tout un programme que je ne pourrai développer dans cet article. Pour le moment, disons que cela peut se décliner comme suit :
– La mise en place de soins de santé intégrés orientés vers l’amélioration de la santé plutôt qu’une amélioration des traitements. Le médecin ne doit pas prendre congé de ses patients sur le pas de la porte suite à une intervention. Il doit en faire un suivi jusqu’à leur guérison totale, c’est-à-dire jusqu’à la fin de toute la chaîne de traitement.
– La transparence est l’incitation la plus forte pour obtenir le meilleur résultat possible pour les patients. Il n’y a aucune raison pour que des médecins ou des structures hospitalières ne publient pas la fréquence de leurs interventions, et les résultats subséquents à celles-ci. La transparence est un gage de qualité et de performance.
Après que l’Etat fédéral de New York ait commencé à comparer et à publier le nombre de décès après des pontages, on a enregistré, quatre ans plus tard, 41% de décès en moins !
– L’organisation, selon une approche globale de l’état de santé du patient plutôt qu’en fonction du service stationnaire et ambulatoire ou selon les spécialités médicales. Tout simplement parce que la plupart des pathologies nécessitent une approche multidisciplinaire. Un cas édifiant est celui du Centre des migraines à l’hôpital universitaire d’Essen en Allemagne. Les patients sont examinés par un neurologue, un psychologue et un professeur de gymnastique pour malades. Ensemble, ils découvrent plus rapidement la cause des maux de tête. Le succès est impressionnant : au lieu d’avoir 58% des patients qui restent éloignés de leur lieu de travail pendant plus de 5 jours à cause de migraines, comme c’était le cas avant, il n’y en a aujourd’hui plus que 11%.
– La promotion de la santé est bien plus que la simple prévention, elle l’englobe en fait. En plus de tout ce qui se fait dans la prévention, cela peut faire appel aussi à l’éducation somatique comme à la présence attentive telle que mise au point par Jon Kabat-Zinn, qui est un professeur émérite de médecine. Il a fondé et il dirige la Clinique de réduction du stress (Stress Reduction Clinic) et le centre pour la pleine conscience en médecine (Center for Mindfulness in Medicine, Health Care, and Society) de l’université médicale du Massachusetts. Il enseigne la «méditation de la pleine conscience» (mindfulness meditation) comme une technique destinée à aider les gens à surmonter leur stress, leur anxiété, leur douleur et leur maladie). On peut également prendre appui sur notre culture et notre spiritualité. Pour ceux qui ont la foi et/ou sont à la quête du sens, il y a lieu de signaler que dans l’islam existent deux types de méditation : le premier a trait à la réflexion sur les sourate du Coran ou la contemplation de la création d’Allah appelée taffakur. Le second est une pratique mystique du soufisme appelée mouraqaba (qui est appelée aussi exercice de vigilance). N’oublions pas aussi David Servan-Schreiber et ses méthodes révolutionnaires ni ses oméga-3 ni son curcuma qui représente un puissant levain pour la promotion de la santé. Enfin, dans mon milieu de travail et dans un de nos services, en l’occurrence la gériatrie, des intervenants en soins ont introduit le jeu de la Wii pour améliorer les aspects psycho-cognitifs et moteurs des patients.
– Une formation fondamentale pour l’ensemble des cadres et gestionnaires sous forme de séminaires courts doublée d’une formation permanente pour le personnel médical et paramédical afin de maintenir la pratique médicale à un niveau satisfaisant. La formation fondamentale, quant à elle, toucherait aux principes du management, du leadership et du coaching. Elle peut toucher également à l’art, à la sociologie, à l’anthropologie, etc.
– Une externalisation de certains services qui grèvent le budget des structures hospitalières.
Celles-ci doivent se concentrer sur leur mission principale, à savoir les soins. La stérilisation, l’ordinaire, la buanderie, etc. ne doivent pas détourner l’attention des gestionnaires aux prises avec leur mission primaire. Les quelques services dont j’ai évoqué l’externalisation sont tout aussi importants, certains peuvent être délocalisés à l’extérieur des enceintes hospitalières (une entreprise de stérilisation des instruments chirurgicaux et des scopes qui sert plusieurs hôpitaux à la fois) ; d’autres, comme l’hôtellerie par exemple, peuvent être gérés autrement : privatisation, autre formule, etc. Dans ce cas, le contrôle de la tutelle est capital.
– Un agrément accordé à des hôpitaux sur une base de trois années par un organisme accrédité par le ministère de la Santé. L’agrément se basera sur certains indicateurs synonymes de qualité et de performance. L’hôpital qui ne satisfait pas à ces indicateurs se verra retirer ou refuser l’agrément et des sanctions en découleront. En parallèle seront mis en place des standards de pratique médicale, des indicateurs de gestion optimale et saine… On peut même rêver à mettre en place un hôpital virtuel. Cet hôpital, sous la forme d’un outil informatique, aidera les hôpitaux à se structurer et à penser leurs activités à l’aide d’outils de simulation, d’outils d’aide au diagnostic, un partage et un retour d’expérience et ce, dans tous les domaines.
– Des systèmes d’information hospitaliers intégrés, où le médecin pourra accéder, de là où il se trouve, aux informations concernant ses patients. Comme il peut échanger les données cliniques avec ses pairs, en vue d’affiner un diagnostic ou d’avoir leur avis. Une autre dimension concernera la mise en place de systèmes d’informations des équipements médicaux spécialisés (maintenance corrective et préventive, réparation, rapports détaillés de répartition des équipements selon les spécialités, en vue d’une meilleure planification). On peut également effectuer un suivi de budget d’allocation pour les différents actifs, qu’ils soient de type équipement, informationnel ou immobilier. Ce suivi, à travers un logiciel implanté à même le territoire national, peut se faire à tous les paliers en partant de l’hôpital jusqu’au ministère, chacun selon ses droits d’accès.
– Au niveau de chaque structure hospitalo-universitaire :
- un comité d’éthique clinique ;
- un commissaire local aux plaintes ;
- un service de prévention des infections ;
- un service de contrôle de la qualité et de la performance;
- Un institut d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé. Cet institut pourrait prendre en charge des études prospectives, évaluer des technologies et proposer de nouvelles méthodes thérapeutiques ; il peut faire également de la veille technologique. Parmi ses prérogatives, il peut entamer une réflexion sur ce que devrait être la télémédecine dans quelques années au sein de notre vaste et beau pays ou jeter, par exemple, les bases d’un système national d’archivage, d’échange et de communication d’imagerie médicale, communément appelé PACS pour Picture Archiving and Communication System.
– Une politique de dons d’organes claire avec des objectifs précis (entreprendre une large campagne de sensibilisation doublée d’une réflexion éthique, s’appuyant sur les aspects humains et moraux en conformité avec les principes de la religion musulmane. Et pourquoi pas les autres religions et sagesses, question de s’enrichir et de s’ouvrir sur le monde ?
De ce que j’ai dit, je ne doute pas un seul instant qu’il y ait déjà des structures ou des approches similaires en place, et qui effectuent pour certaines d’entre elles un travail admirable. J’ai visé plus un résumé très succinct pour ce qui constitue, selon moi, le minimum afin de s’engager plus lucidement et avec plus de discernement dans des réformes actuelles et futures sur des bases solides. Viendront ensuite les notions de définition d’accès universel aux soins, la création de pôles d’excellence, la prise en compte de la spécificité de certaines régions et leur aspect typique, la recherche fondamentale, etc. Encore une fois, ce qui est mis en cause c’est moins la pratique médicale qui peut être remodelée que les méthodes de gestion inhérentes qui sont rigides et bien vissées dans des schémas mentaux faits de suspicion, de jalousie et de vanité. La conduite de la campagne de la vaccination contre la grippe A H1N1 nous laisse perplexes et mal à l’aise avec un arrière-goût de frustration. Mais posons-nous la question suivante : «Et si le virus de la grippe A H1N1 était virulent ?» On me rétorquera certainement qu’on se serait pris autrement !
S. H.
(1) Une concurrence de qualité abaisse les coûts. Par Urs P. Gasche. Interview politique de Elizabeth Teisberg. CSS Magazine 312009. Point de vue de la CSS sur la politique de la santé en Suisse (www.css.ch).
Ndlr : Le titre est de la rédaction. Titre originel : «Une énième réforme du système de la santé ne suffira pas.»
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