Soins : ces raisons qui font croire à l’avantage des militaires sur les civils
Par Dr Arab Kennouche – L’Algérie termine à peine une décennie de terreur islamiste noyée ultérieurement dans une pseudo-concorde civile qu’elle se retrouve à affronter une nouvelle période de confinement couvre-feu digne des périodes les plus sombres de notre histoire. Ce culmine aujourd’hui avec l’épidémie du coronavirus qui révèle au grand jour les faiblesses béantes du système économique, social et sanitaire mis en place par l’administration Bouteflika et parrainée par l’ancien chef d’état-major Gaïd-Salah.
L’une des plus grandes fumisteries de cette gouvernance fut le projet d’hôpitaux de standard international annoncé fin 2014 par le ministre de la Santé de l’époque, Abdelmalek Boudiaf, devant être réalisés dans les plus grandes wilayas du pays – cinq CHU à construire par un consortium d’entreprises européennes et sud-coréennes – mais qui fut encore abandonné au détriment des citoyens. A l’époque, l’Algérie avait largement les moyens de parvenir à réaliser un saut qualitatif significatif dans son système de santé, et de mettre fin au tourisme médical des Algériens les plus fortunés vers la Turquie et la Tunisie. A ce jour, on ne sait toujours pas ce qui a pesé dans la balance de l’abandon du projet, soit la prise en compte d’intérêts diplomatiques ou d’autres «urgences» décidées par le grand pacha de l’époque.
L’ANP et la santé à deux vitesses
Notre propos n’est pas de dénoncer a posteriori la situation d’un mal nouveau, le coronavirus, qui n’existait pas à l’époque, et de faire porter tout le fardeau de la responsabilité sur le gouvernement Djerad. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, la confiance rompue entre le peuple et son système de santé trouve un éclairage nouveau face au système à deux vitesses construit par la gouvernance Bouteflika-Gaïd-Salah offrant des hôpitaux rutilants et dernier cri aux élites de l’ANP et délaissant, par la même, le secteur sanitaire civil. Et même avec la meilleure volonté possible, au vu de la structure démographique du pays, la médecine militaire en Algérie n’aurait pas les moyens matériels et humains de gérer des crises civiles de grande envergure comme celle du coronavirus, si celle-ci n’était pas vite jugulée. En affaiblissant durablement le secteur civil, par l’absence de grands travaux en infrastructures hospitalières, la présidence Bouteflika a également fragilisé le secteur médical militaire appelé désormais à devoir gérer toute une nation au-delà de ses moyens.
Ne pas avoir su délester l’armée de certaines missions civiles la conduit inexorablement à sa fragilisation. Aujourd’hui, nous payons le prix cher de ce grand écart entre une médecine civile à la traîne et une médecine militaire bien plus développée, et qui a fait les choux gras de la presse étrangère accusant le pouvoir politique algérien de construire une société à deux vitesses, celle d’une armée nantie et d’un peuple voué à l’abandon. Cette image d’une armée favorisée au détriment du peuple date de la période Gaïd-Salah, qui ne manquait pas de rappeler ses réalisations, comme celle de l’hôpital militaire d’Ouargla, dont les installations rutilantes passaient en boucle sur la chaîne publique, fin 2018. Erreur de communication ou planification de l’abandon du peuple algérien condamné à lorgner de l’extérieur les appareils ultramodernes venant de l’étranger, la part des responsabilités entre l’administration Bouteflika et l’état-major reste à déterminer. En effet, on ne peut vanter les mérites du développement de la santé militaire que si elle suit une courbe parallèle à celle de la santé civile.
Le délestage prioritaire de l’ANP
Aujourd’hui, le problème de la santé en Algérie ne doit plus se poser uniquement en termes de quantité et de qualité de soins, mais aussi selon un critère de délestage du militaire dont les missions à venir sont énormes de conséquences en matière de sécurité nationale. On ne peut nier, en effet, que l’affaire démentie des masques chinois d’Aïn Naâdja ait plus tard d’autres répercussions psychologiques et politiques sur l’ensemble de la nation, en attente de justice sociale par le Hirak. Le pouvoir actuel ne peut plus se permettre d’adopter la même rhétorique des injâzât (réalisations) de l’ère Bouteflika alors que des problèmes de rationnement alimentaire surgissent çà et là en Algérie. En ayant choyé l’armée médiatiquement, par une politique de communication désastreuse, les décideurs ont fait peu cas de l’indigence de millions d’Algériens et ont profondément mésestimé l’écart de revenus entre le bas peuple et une nomenklatura d’officiers supérieurs nourrie aux privilèges venant de l’étranger. Le mythe d’Aïn Naâdja existe depuis belle lurette en Algérie, et ce n’est pas la France de Macron qui l’a créé, n’en déplaise au président Tebboune et à son chef de gouvernement, forcés indument de convoquer l’ambassadeur Xavier Driencourt suite à une campagne de dénigrement de l’aide chinoise en masques.
Au plan matériel, l’Algérie aurait plus besoin d’un rééquilibrage des missions de protection civile et militaire qui délesterait l’ANP et la rendrait moins vulnérable en cas de crise sanitaire grave, comme celle du coronavirus. Dans un pays comme l’Algérie, entourée de menaces géostratégiques majeures et en alerte sur ses frontières, l’implication trop importante de l’ANP dans des domaines de protection civile aurait des répercussions néfastes sur ses capacités de défense du territoire. D’où l’urgente nécessité de redynamiser le secteur de la santé civile à très court terme. Plus formellement, il devient impératif de revenir vers le peuple en réduisant le fossé d’une image de militaires nantis, favorisés et jouissant des meilleurs biens du pays. Ce sont ces graves erreurs de communication militaire que l’on paye aujourd’hui : n’ayant plus confiance dans le secteur civil, le peuple a les yeux tournés vers les plus grandes infrastructures sanitaires détenues réellement ou imaginairement par l’ANP. Il est évident que ce sont là de grands chantiers qui exigent de grands moyens et une volonté politique inébranlable.
Des éléments qui ont fait défaut aux décideurs d’autrefois et que le Premier ministre Abdelaziz Djerad semble montrer du doigt. En promettant une réforme profonde du système de santé, la présidence Tebboune semble faire écho à toute une panoplie de droits fondamentaux clamés haut et fort par le Hirak. Dans le même temps, d’autres droits liés à la liberté fondamentale de l’individu sont bafoués, sous couvert de lutte contre le désordre public, sans parler du bouclier majeur que représente le coronavirus – arme à double tranchant – qui, utilisé à tort et à travers, semble encore mettre en doute une avancée profonde de la santé en Algérie.
A. K.
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