Tabbou et Drareni seraient-ils les otages de tensions entre l’Algérie et la France ?
Par Youcef Benzatat – Le 12 mars, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, s’est rendu à Alger pour discuter particulièrement de dossiers régionaux, dont la crise libyenne et le Sahel. Au moment où l’Algérie est particulièrement active sur ces zones de conflits depuis la désignation par l’état-major de l’ANP d’Abdelmadjid Tebboune à la Présidence. A l’issue de cette visite, Jean-Yves Le Drian aurait déclaré que «la France et l’Algérie ont une convergence de vues sur la situation en Libye et au Sahel et notre concertation est primordiale». Et de souligner «la nécessité d’approfondir cette concertation».
Peu de temps après, deux médias électroniques italiens, Lapresse.it et Affaritaliani.it, qui citent des sources sécuritaires, affirment que Bernard Emié, directeur général de la sécurité extérieure française (DGSE), a été invité par les services de renseignement algériens quelques jours après la visite de Jean-Yves Le Drian, soit vers la mi-mars. Selon ces médias italiens, les discussions ont porté, entre autres, essentiellement sur les opposants algériens en France. Les services algériens auraient «sollicité le soutien de leurs homologues français pour museler les opposants algériens un peu trop actifs en France», indiquent ces journaux.
Si cette information rapportée par ces deux médias italiens venait à se confirmer, peut-on en déduire que la diplomatie algérienne a lâché du lest sur ses positions traditionnelles dans ces affaires du Sahel et de la Libye, qui sont généralement aux antipodes des positions françaises, pour obtenir de la France sa coopération pour neutraliser l’opposition qui s’exprime au nom du Hirak à partir de la France ?
Or, Karim Tabbou, président et fondateur du parti politique non agréé Union démocratique et sociale (UDS), auparavant secrétaire national du plus vieux parti de l’opposition, le Front des forces socialistes (FFS), qui a été condamné le 11 mars à un an de prison dont six mois ferme et qui devait sortir le 26 mars quand il aura fini de purger sa peine, a été condamné en appel le 24 mars, à la surprise générale et contre toute attente, à une année de prison ferme. Ce qui a poussé, le lendemain même de cette condamnation, soit le 25 mars, le Parlement européen, par les voix de Maria Arena, présidente de la sous-commission des droits de l’Homme, et Andrea Cozzolino, président de la Délégation pour les relations avec les pays du Maghreb, à dénoncer la condamnation de Karim Tabbou et les conditions du déroulement de son procès, qu’ils ont qualifié d’«acharnement judiciaire» en exigeant sa libération immédiate.
Cette réaction intempestive et précipitée de l’Europe dans les affaires internes algériennes cache mal le probable refus de Jean-Yves Le Drian, à la demande d’Alger, de museler les opposants algériens établis en France, sachant que le chef de la diplomatie française est aussi ministre de l’Europe. Ce qui peut expliquer le retournement spectaculaire de la justice algérienne dans la décision du procès en appel de Karim Tabbou.
En même temps, le journaliste algérien Khaled Drareni, fondateur d’un site d’information en ligne, également correspondant en Algérie du média TV5 Monde et de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), qui a été arrêté le 7 mars et libéré le 10 du même mois pour, ensuite, être mis sous contrôle judiciaire deux semaines plus tard par une ordonnance émise par la chambre d’accusation près le tribunal de Sidi M’hamed, s’est vu, lui aussi, annuler sa mise sous contrôle judiciaire et placer sous mandat de dépôt le 27 mars, là aussi, à la surprise générale et contre toute attente.
Le refus de la France de coopérer dans la répression des opposants algériens établis sur le sol français a-t-il amené le pouvoir algérien à revoir sa position sur les affaires de Khaled Drareni et de Karim Tabbou, ce qui expliquerait l’acharnement judiciaire dont ils font l’objet ?
Dans le sillage de cette tension entre les diplomaties algérienne et française, France 24, un média proche du ministère de l’Europe et du ministères des Affaires étrangères françaises, vient à son tour mettre le feu aux poudres, en diffusant, peu après, l’intervention d’un Algérien établi en Espagne, qui a lancé une grave accusation contre le pouvoir algérien en alléguant que l’aide chinoise apportée à l’Algérie dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus n’était pas destinée au peuple algérien, mais seulement à la junte militaire. Cette accusation hasardeuse par le truchement d’un média français réputé proche de la diplomatie française, n’a pas laissé indifférent le pouvoir algérien qui a convoqué aussitôt l’ambassadeur de France à Alger et lui a formulé ses vives protestations et son intention de porter plainte contre ce média et son analyste, Francis Ghilès, auteur de cette présumée diffamation.
La réponse de Jean-Yves Le Drian à cette protestation de la part du pouvoir algérien ne s’est pas fait attendre. Son département a répondu que la France est un pays où la liberté d’expression est inscrite dans les textes et protégée par la loi. Une déclaration qui ne vise pas moins le refus de la France à la demande du pouvoir algérien de neutraliser l’opposition algérienne se trouvant sur le sol français.
N’attendant plus un quelconque soutien de l’Algérie dans la dernière offensive de la France en Libye et au Mali, cette dernière a officiellement formé, le vendredi 27 mars, conjointement avec ses alliés européens et africains, sans l’Algérie, la force opérationnelle Takuba, composée de forces spéciales européennes, destinée à combattre aux côtés des armées malienne et nigérienne au Sahel.
Le divorce entre la France et l’Algérie est encore une fois consommé et la tension installée pour une durée indéterminée, pendant laquelle les prisonniers d’opinion en Algérie doivent encore prendre leur mal en patience en attendant leur libération par un retour en force du Hirak authentique.
Y. B.
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