Pourquoi l’esclavage s’est effondré dans la Rome antique ?

grève esclavage
Il n'y a qu’une révolution totale pour en finir avec le capitalisme.D. R.

Par Mesloub Khider – En cette période de fin d’un monde (capitaliste), mais pas du Monde, il est de la plus haute importance de se pencher sur l’effondrement de l’empire romain et, corrélativement, de l’esclavage pour comprendre les mobiles du déclin du mode de production esclavagiste, qui a des résonances avec notre époque actuelle marquée par l’effondrement de l’économie, de la «civilisation» capitaliste.

L’extrait proposé est tiré de l’ouvrage de Friedrich Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat. Pour souligner les similitudes de décadence avec notre époque, j’ai pris la liberté de réactualiser certaines données, mises entre parenthèses.

«Dès les derniers temps de la République, la domination des Romains avait pour but l’exploitation totale des provinces conquises ; l’Empire n’avait pas supprimé cette exploitation, mais, au contraire, il l’avait réglementée (A l’instar de la domination mondiale actuelle). Plus l’Empire déclinait, plus les impôts et les prestations augmentaient, plus les fonctionnaires pillaient et pressuraient sans pudeur. (Cela rappelle étrangement la dépravation des classes dirigeantes prédatrices contemporaines, notamment algérienne). Le commerce et l’industrie n’avaient jamais été l’affaire des Romains dominateurs de peuples ; c’est seulement dans l’usure qu’ils avaient surpassé tout ce qui fut avant et après eux. (Ces dernières décennies, l’Occident décadent ne survivait que par la finance et la spéculation). Ce qui existait et s’était maintenu en fait de commerce sombra sous les exactions des fonctionnaires ; ce qui survécut malgré tout se trouvait en Orient (aujourd’hui en Asie, notamment la Chine), dans la partie grecque de l’Empire, qui est en dehors de notre sujet. Appauvrissement général, régression du commerce, de l’artisanat, de l’art, dépeuplement, décadence des villes, retour de l’agriculture à un niveau inférieur – tel fut le résultat final de l’hégémonie mondiale romaine. (Le constat dramatique de notre présente époque marquée par l’effondrement de l’économie, la faillite de centaines de milliers d’entreprises, la mise au chômage de millions de travailleurs).

L’agriculture, branche de production essentielle dans tout le monde antique, l’était redevenue plus que jamais. (Ce qui risque d’advenir prochainement : le retour forcé à la terre). En Italie, les immenses domaines (latifundia) qui, depuis la fin de la République, couvraient presque tout le territoire, avaient été exploités de deux façons. Soit en pâturages, où la population était remplacée par des moutons ou des bœufs, dont la garde n’exigeait que peu d’esclaves ; soit en villas, où une foule d’esclaves faisaient de l’horticulture en grand, tant pour le luxe du propriétaire que pour la vente sur les marchés urbains. Les grands pâturages s’étaient maintenus et sans doute même agrandis ; les domaines des villas et leur horticulture avaient dépéri du fait de l’appauvrissement de leurs propriétaires et du déclin des villes. (C’est l’avenir immédiat des grandes agglomérations capitalistes en butte à la faillite des petits patrons, à la déconfiture des classes moyennes, à la paupérisation généralisée de la classe ouvrière et des couches populaires). L’exploitation des latifundia, basée sur le travail des esclaves, n’était plus rentable, mais, à cette époque, c’était l’unique forme possible d’agriculture en grand. (Comme depuis des décennies l’économie productive n’était plus rentable du fait de la baisse tendancielle des profits induite par la modernisation de l’appareil de production et la réduction de la masse salariale). La petite culture était redevenue la seule forme rémunératrice. (Actuellement remplie par la sphère spéculative). L’une après l’autre, les villas furent morcelées en petites parcelles et remises à des fermiers héréditaires qui payaient une certaine somme, ou à des partiarii, gérants plutôt que fermiers, qui recevaient pour leur travail un sixième ou même seulement un neuvième du produit annuel. Mais, dans la plupart des cas, ces petites parcelles de terre furent confiées à des colons qui, en échange, payaient chaque année une somme fixe, étaient attachés à la glèbe et pouvaient être vendus avec leur parcelle ; ils n’étaient pas, à vrai dire, des esclaves, mais ils n’étaient pas libres non plus, ne pouvaient pas se marier avec des femmes de condition libre, et leurs unions entre eux n’étaient pas considérées comme des mariages pleinement valables, mais, ainsi que celles des esclaves, comme un simple concubinage (contubernium). Ils furent les précurseurs des serfs du Moyen Age.

L’antique esclavage avait fait son temps. (On pourrait aisément écrire : le capitalisme a fait son temps). Ni à la campagne dans la grande agriculture, ni dans les manufactures urbaines, il n’était plus d’un rapport qui en valût la peine – le marché, pour ses produits, avait disparu. (Comme ont disparu aujourd’hui du paysage urbain les magasins, les centres commerciaux, les sociétés, les voitures, pour certains définitivement, prémices de la future société en déclin désertée par le consumérisme). Mais la petite culture et le petit artisanat, à quoi s’était réduite la gigantesque production des temps florissants de l’Empire, n’avaient pas de place pour de nombreux esclaves. (Comme aujourd’hui, les entreprises n’ont plus assez d’activité à offrir aux travailleurs, réduits de force au chômage). Il n’y avait plus place, dans la société, que pour des esclaves domestiques et les esclaves de luxe des riches. (C’est ce qui va se produire : le retour de la domesticité, comme il a survécu jusqu’à aujourd’hui dans les monarchies du Golfe et au Maroc, où des centaines de milliers de personnes sont réduites en esclavage domestique pour servir de valetailles aux princes arabes ou aux riches marocains). Mais l’esclavage agonisant suffisait encore pour faire apparaître tout travail productif comme travail d’esclave, indigne de Romains libres – et chacun, maintenant, avait cette qualité. De là vint, d’une part, le nombre croissant des affranchissements d’esclaves superflus, devenus une charge et, d’autre part, le nombre croissant, ici des colons, là des hommes libres tombés dans la gueusaille (verlumpt) (comparables aux poor whites des Etats ci-devant esclavagistes d’Amérique).

Le christianisme est tout à fait innocent de la disparition progressive de l’antique esclavage. (Comme le pauvre coronavirus est tout à fait innocent de l’effondrement actuel de l’économie capitaliste). Il l’a pratiqué pendant des siècles dans l’Empire romain et, plus tard, il n’a jamais empêché le commerce d’esclaves auquel se livraient les chrétiens, ni celui des Allemands dans le Nord, ni celui des Vénitiens en Méditerranée, ni, plus tard encore, la traite des nègres. L’esclavage ne payait plus, et c’est pourquoi il cessa d’exister. Mais l’esclavage agonisant laissa son dard empoisonné ; le mépris du travail productif des hommes libres. Là était l’impasse sans issue dans laquelle le monde romain était engagé. L’esclavage était impossible au point de vue économique ; le travail des hommes libres était proscrit au point de vue moral. Celui-là ne pouvait plus, celui-ci ne pouvait pas encore être la base de la production sociale. Pour pouvoir y remédier, il n’y avait qu’une révolution totale.» (Pour paraphraser Friedrich Engels : il n’y a qu’une révolution totale pour en finir avec le capitalisme mortifère et son système basé sur le salariat, autrement dit l’esclavage contractuel, afin d’instaurer une société sans classe d’hommes réellement libres, maîtres de leur destin social, propriétaires collectifs de la production et de l’administration politique, œuvrant  à la satisfaction des besoins essentiels de l’humanité).

M. K.

 

Comment (8)

    โดจิน
    15 juin 2023 - 17 h 52 min

    Hi there, after reading this awesome post i am also glad to share my knowledge here with colleagues.

    Anonyme
    6 avril 2020 - 3 h 57 min

    Ou es tu mourir sari alias chants des pingouins pour répondre à cet article. Ou bien tu es contre la liberté ?

    Elephant Man
    5 avril 2020 - 18 h 20 min

    Le mode de vie a été en permanence façonné par la financiarisation de l’économie mondiale. Il est un construit politique et économique qui transforme en permanence les fondements de la société.
    Le capitalisme est mortifère.
    Pour reprendre encore une fois @Tin-Hinane 14/08/19 :
    « …Au-delà du fait c’est le système le plus injuste que la terre ait porté c’est un système obsolète, il se mord la queue, comme avait prédit Marx il est arrivé à son aberration. »

    Ayweel
    5 avril 2020 - 18 h 16 min

    En résumé, ce que Rome a fait endurer aux peuples des terres acquises, de la naissance au déclin de son empire occidental et l’empire oriental en 14 siècles, Rome algerienne l’a accompli en un demi siècle. Nos Augustes sont tellement intelligents qu’ils font les choses à la vitesse de la lumière. Concernant l’après corronavirus et bien je vais essayer de lire livre d’Alain Peyrefitte :Quand la Chine s’éveillera..le monde tremblera.. En terminant, j’aimerais bien vous dire que votre analyse est votre contribution à la mise à jour d’une partie de l’historie est pertinente,

    blek le roc
    5 avril 2020 - 15 h 43 min

    Pourquoi n’évoque t-on pas l’esclavagisme arabe et musulman c’est un sujet tabou ? Un sujet qui fâche ? La traite arabo – musulmane a été la plus longue et la plus régulière des 3 traites d’esclaves . Ce n’est qu’au vingtième siècle que l’esclavage fut aboli en Mauritanie ,au Maroc ,en Arabie Saoudite et en Irak . La régence d’Alger pratiqua la traite d’esclaves tout au long de son existence .Un petit rappel historique .

      Laule master
      6 avril 2020 - 12 h 52 min

      Et la régence faisait encore des petits raids au début du 19e, du coup la pratique de la voile comme loisir était interdite, car la mer était interdite sauf aux personnes autorisées pour mieux repérer pirates, les pauvres gens, ils ont raté de bons moment sur la mer parmi les dauphins.

      Casbi
      6 avril 2020 - 16 h 29 min

      Parle nous plutot de la paedophilie qui sevit au sein de l’eglise catholique en particulier au vatican l’epicentre du vice. Parle nous de ta religion qui a durant l’Histoire a marche la main dans la main avec le colonialisme et l’apartheid.

      Casbi
      6 avril 2020 - 22 h 27 min

      Tu devrais aussi evoquer le Pape Rodrigo de Borjia, ses relations avec ses maitresses et le nombre de ses enfants illegitimes. Parle nous aussi de vos couvents capables de rivaliser avec le Port d’Amsterdam. Pendant la periode coloniale vos Peres Blancs ont abuse de nos enfants tous mineurs et orphelins, completement vulnerables. L’Eglise avait confisque la plus grande Mosquee a Alger. Toutes les invasions coloniales , les sinistres croisades inclues, ont ete accomplies avec la benediction du vatican souvent initiees par l’Eglise. La question dite finale de l’extermination des Juifs a ete elaboree au Vatican par Pie xii.

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