Interview – Un médecin algérien raconte sa lutte contre le Covid-19 à Marseille
Pour le docteur Tarik Mokhtari, les chiffres du Covid-19 en Algérie «sont erronés» car «il n’y a pas assez de moyens de dépistage, donc plusieurs personnes ne sont pas diagnostiquées, alors qu’elles ont des symptômes typiques d’infection au Covid-19». L’enfant d’Oran qui a fait ses études de médecin à Paris souligne que «même si les circonstances de la vie ont fait que certains sont partis s’installer ailleurs, dans les moments difficiles, ils n’hésitent pas à manifester leur soutien pour leur pays, pour leurs frères et sœurs». En effet, révèle-t-il, un groupe de médecins algériens ont lancé une opération de récolte de dons pour équiper l’hôpital d’Oran en machine de dépistage.
Algeriepatriotique : Docteur Mokhtari, présentez-vous à nos lecteurs…
Dr Tarik Mokhtari : J’ai grandi à Oran et fait mes études à la faculté de médecine de Saint-Antoine, université de Paris VI. Après avoir travaillé dans divers hôpitaux de France, j’ai posé mes bagages à l’hôpital de Pertuis où j’exerce en tant que praticien hospitalier au service des urgences et du Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR). C’est une ville paisible dans la région de Marseille, une région qui me rappelle ma ville natale.
Comment vivez-vous la crise sanitaire actuelle ?
Dans le service où je travaille, nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt ce qui s’est passé en Chine, puis en Italie et en Espagne. Nous avons suivi en temps réel la propagation de la pandémie en France avec les hôpitaux débordés dans la région Grand Est et en Île-de-France. Nous avons eu la «chance» d’avoir une longueur de retard par rapport à ces deux régions, ce qui nous a permis de nous préparer à l’arrivée de la crise dans la région du Sud. Nous avons ouvert une unité Covid-19 de 24 lits à l’hôpital d’Aix-en-Provence. Il a fallu mobiliser du personnel pour armer ce service. Plusieurs services ont augmenté leurs capacités d’accueil, ça a été le cas pour le service de réanimation qui fonctionne à flux temps, même en temps normal. Aux urgences, nous avons adapté le circuit des malades avec la mise en place d’une filière Covid-19 pour que les patients suspects ne soient pas en contact avec les autres patients et nous avons effectué des travaux en toute urgence pour équiper plus de lits avec des prises d’oxygène, dans l’éventualité d’un afflux massif de patients en détresse respiratoire.
Comment se fait l’accueil des patients suspects de Covid-19 ?
Dès l’accueil des urgences, on leur remet un masque et le personnel médical s’équipe de tenues adaptées. Après un entretien et une auscultation, on détermine s’ils sont à risque d’être atteints du Covid-19 ou pas. Le test de dépistage n’est proposé que pour les personnes qui sont susceptibles d’être hospitalisées, et cela pour dicter le traitement à mettre en place. Cela est important à souligner car beaucoup de personnes repartent chez elles sans être testées, elles ont comme consignes de rester confinées. Certaines d’entre elles sont atteintes de Covid-19 et n’entreront pas dans les statistiques annoncées par l’Etat. On approche «officiellement» la barre des 2 millions de malades au niveau mondial, dont plus de 140 000 cas en France, mais la réalité est bien plus importante. En Algérie aussi, les chiffres sont erronés, il n’y a pas assez de moyens de dépistage, donc plusieurs personnes ne sont pas diagnostiquées, alors qu’elles ont des symptômes typiques d’infection au Covid-19, je pense que le chiffre de 2 000 cas annoncé est dérisoire. Enfin, de grandes suspicions planent sur les chiffres annoncés du nombre de cas en Chine d’où la pandémie est partie.
Que pensez-vous du traitement à l’hydroxychloroquine ?
De nos jours, nous avons une culture de l’EBM (Evidence Based Medicine), ou la médecine basée sur les preuves. Il faut faire des études sérieuses, longues avec une méthodologie rigoureuse avant de pouvoir affirmer une nouveauté dans le traitement d’une maladie. Le problème, c’est qu’on est pris de court et nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’attendre plusieurs mois avant de prendre des décisions. Le professeur Didier Raoult de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille a suggéré un traitement associant hydroxychloroquine et azithromicyne. C’est une recommandation formulée par l’ensemble des experts de l’IHU, une structure de référence en maladies infectieuses reconnue au niveau mondial. Elle a été suivie par des décideurs de plusieurs pays dont l’Algérie et le Maroc. En France, il nous a été interdit de prescrire de l’hydroxychloroquine en ambulatoire. Ce traitement est réservé aux formes graves de Covid-19 hospitalisées alors que le professeur Raoult dit que ce traitement marche dans les formes peu sévères et s’il est administré précocement. Les pharmaciens ont reçu des consignes pour ne pas délivrer ce traitement, sauf exceptions, c’est-à-dire sur ordonnance de quelques spécialistes, tels que les dermatologues, rhumatologues, néphrologues pour des pathologies autres que le Covid-19.
Que retiendrez-vous de cette crise sanitaire ?
Je n’oublierai pas ce stress d’être en première ligne face aux malades, au plus près du virus, cette angoisse de le ramener à la maison après une garde aux urgences et contaminer les membres de ma famille, l’annonce régulière que des amis et collègues l’ont contracté et ont frôlé la mort. Mais je retiendrai surtout le formidable élan de générosité des gens envers les soignants. Dans tous les hôpitaux de France, d’Algérie et d’ailleurs, les dons affluent tous les jours. On reçoit des repas qui agrémentent nos gardes, on reçoit des masques chirurgicaux FFP2 ou «faits maison», des sur-blouses, des visières de protection fabriquées d’une manière artisanale mais qui sont pour autant très efficaces. Nous avons réappris à nous parler entre voisins et à nous entre-aider. J’espère que ce savoir-être ne se dissipera pas après le déconfinement.
Avec des amis, nous voulons aider à la lutte contre la pandémie en Algérie, alors on a initié un projet d’achat d’une machine de dépistage du Covid-19 au bénéfice du laboratoire central du Centre hospitalo-universitaire d’Oran. Nous avons récolté plus de 10 000 euros en 5 jours seulement. Si on rajoute les promesses de dons, on devrait atteindre 15 000 euros et nous avons été contactés par un grand groupe pharmaceutique qui nous soutient dans cette initiative. Si le projet se concrétise, on pourra probablement équiper non pas un, mais plusieurs hôpitaux avec ce type d’appareils. Les dons nous sont parvenus d’Oran mais aussi de l’étranger, de plusieurs pays, et c’est là qu’on se rend compte que même si les circonstances de la vie ont fait que certains sont partis s’installer ailleurs, dans les moments difficiles, ils n’hésitent pas à manifester leur soutien pour leur pays, pour leurs frères et sœurs. Avec leur noble action, ils ont réécrit le proverbe : «Loin des yeux, près du cœur.»
Propos recueillis par Houneïda Acil
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