Comment Erdogan a fait passer la Turquie de «zéro ennemi» à «zéro ami»
Par Ahmad Al-Khaled – La politique étrangère de la Turquie, centrée autour des ambitions de Recep Tayyip Erdogan, a été conçue comme une énorme toile tissée à travers le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe. Mais le leader turc s’est pris dans son propre piège. «Zéro problème avec les voisins», c’était la devise choisie par Erdogan, alors Premier ministre, pour la politique étrangère du pays il n’y a pas si longtemps. Aujourd’hui que les relations de la Turquie avec ses voisins et des Etats éloignés ne sont plus que problèmes et conflits, cette devise nous donne des raisons de réévaluer les actions et les décisions du gouvernement turc qui ont amené le pays à son état actuel.
C’est dans les relations avec ses voisins directs que la Turquie a été confrontée à des défis cruciaux. Sous la direction d’Erdogan, Ankara est intervenue dans le conflit syrien, en coupant les liens avec le gouvernement de Bachar Al-Assad et en lançant, dans le même temps, une opération militaire contre les Kurdes syriens. Tandis que la crise syrienne se transformait rapidement en une guerre par procuration impliquant les puissances mondiales et régionales, les actions de Turquie ont menacé de compromettre les relations avec les parties intéressées. Ankara a, tout à la fois, compromis les intérêts russes, iraniens et américains.
L’acquisition des systèmes de missiles sol-air S-400 russes n’a pu être effectuée qu’après des reports et des difficultés multiples. La Turquie a été exclue du programme des F-35 américains et les relations avec l’Iran se sont aussi détériorées. De plus, les politiques agressives poursuivies par la Turquie ont énervé les membres de l’Otan dubitatifs quant au maintien de la Turquie dans les rangs de l’Alliance atlantique.
Les relations avec les Etats européens ont été rendues encore plus compliquées par la position ambiguë de la Turquie sur la crise migratoire. Erdogan a choisi d’exploiter la situation pour faire chanter les dirigeants européens, en menaçant simultanément d’ouvrir la frontière turque aux migrants et en demandant à allouer des fonds pour eux.
Il en va de même pour les actions de la Turquie en Libye où Ankara soutient le Gouvernement d’accord national et affronte l’Armée nationale libyenne dirigée par Khalifa Haftar, soutenu à la fois par des acteurs régionaux et des Etats de l’Union européenne qui craignent un nouvel afflux de migrants.
Il n’est pas surprenant que les efforts maladroits de la Turquie d’exporter son expérience syrienne en Libye aient donné des résultats tout aussi déplorables. Comme en Syrie, Ankara s’est retrouvé en collision avec Moscou et a recouru à des attaques verbales contre les Russes. Imaginez l’absurdité de la situation : la Turquie a accusé la Russie d’envoyer des militants syriens en Libye, malgré les déclarations ouvertes de Recep Tayyip Erdogan selon lesquelles la Turquie faisait de même – il faut noter que les affirmations d’Erdogan n’ont pas découragé la police turque d’arrêter deux journalistes qui ont révélé la mort d’un officier des renseignements turcs en Libye.
Une chute de Recep Tayyip Erdogan à plus ou moins court terme est fort probable. Le dirigeant turc aura, alors, été victime de ses propres ambitions démesurées.
A. E.-K.
(Journaliste et auteur syrien)
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