Le PAM alerte : la crise provoquera des «famines aux proportions bibliques»
Par Mesloub Khider – La crise sanitaire du Covid-19 risque d’aggraver la crise alimentaire des populations pauvres. Déjà en très forte augmentation en 2019, la famine pourrait exploser en 2020. En effet, du fait de l’impact économique du Covide-19, le nombre de personnes confronté à l’insécurité alimentaire aiguë devrait passer à 265 millions en 2020, soit une augmentation de 130 millions par rapport à 2019, selon le Programme alimentaire mondiale (PAM).
Ainsi, à la menace de pandémie du Covid-19 vient se greffer le spectre de la famine. Dans son dernier rapport («Rapport mondial sur les crises alimentaires 2020»), le Programme alimentaire mondial des Nations unies s’alarme sur la situation alimentaire des pays pauvres. Dans ses projections, en absence d’aide financière et de mesures rapides, des centaines de millions de personnes pourraient être décimées par la faim. Le directeur général du PAM, David Beasley, a déclaré au Conseil de sécurité de l’ONU qu’outre la menace pour la santé posée par le coronavirus le monde est confronté à «de multiples famines de proportions bibliques en quelques mois», pouvant entraîner 300 000 décès par jour : une pandémie de faim».
Dans tous les pays à faible et moyen revenu, des millions de personnes seront en situation d’insécurité alimentaire aiguë d’ici la fin de l’année 2020. «C’est un coup de massue pour des millions d’autres personnes qui ne parviennent pas à gagner un salaire. Le confinement et la récession économique mondiale ont déjà anéanti leurs économies», a déclaré l’économiste du PAM, Arif Husain.
Dans la vidéoconférence tenue mardi 21 avril 2020 au Conseil de sécurité de l’ONU, Beasley a précisé que bien avant l’apparition de l’épidémie du coronavirus, le monde était «confronté à la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale», du fait de nombreux facteurs. Outre les multiples guerres récurrentes depuis quelques années en cours dans certains pays, notamment en Syrie et au Yémen, il a évoqué la crise au Sud Soudan et les essaims de criquets pèlerins en Afrique de l’Est. Plus de 135 millions de personnes dans le monde étaient déjà menacées de famine, selon Beasley. Avec la propagation du virus, «130 millions de personnes supplémentaires pourraient être poussées au bord de la famine d’ici à la fin de 2020», a-t-il ajouté. Cela représente un total de 265 millions de personnes. Chaque jour, a rappelé Husain, «environ 21 000 personnes meurent dans le monde de causes liées à la faim». «C’est la situation habituelle dans le monde, avant la pandémie.» Soit presque 8 millions de personnes par an meurent à petit feu dans l’indifférence générale».
Les régions qui souffriraient le plus en 2020 sont l’Afrique (73 millions de personnes «en crise ou pire») et le Moyen-Orient et l’Asie (43 millions de personnes), frappés non seulement par la pauvreté, mais aussi par les conflits et l’impact des catastrophes naturelles, les crises économiques ; sans oublier les pires essaims de criquets pèlerins depuis des décennies en Afrique de l’Est, mettant 70 millions de personnes en danger.
Beasley a souligné qu’il y a déjà 821 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire dans le monde, un chiffre record. «Si nous ne nous préparons pas et n’agissons pas maintenant pour garantir l’accès, éviter les déficits de financement et les perturbations du commerce», a-t-il averti, le résultat pourrait être une «catastrophe humanitaire».
Selon le rapport du PAM, les 10 pays les plus frappés sont le Yémen (15,9 millions de personnes «en crise ou pire»), la République démocratique du Congo (15,6 millions), l’Afghanistan (11,3 millions), le Venezuela (9,3 millions), l’Ethiopie (8 millions), le Sud-Soudan (7 millions), la Syrie (6,6 millions), le Soudan (5,9 millions), le nord-est du Nigeria (5 millions) et Haïti (3,7 millions).
Curieusement, par une «malédiction» capitaliste toujours pourvoyeuse de calamités, tous ces pays cités ont été victimes, depuis des siècles, d’oppression et d’exploitation coloniales, d’interventions récurrentes impérialistes, de sanctions économiques et de machinations politiques ourdies par les puissances impérialistes, avec comme corollaires une dégradation des conditions sociales de leurs populations déjà paupérisées.
Dans les 55 pays en crise alimentaire, objets du rapport, le nombre d’enfants souffrant d’un retard de croissance s’élève à 75 millions et 17 millions souffrent de cachexie. Beasley a déclaré : «Des millions de civils vivant dans des pays en proie à des conflits, dont de nombreuses femmes et de nombreux enfants, risquent d’être poussés au bord de la famine, le spectre de la famine étant une possibilité très réelle et dangereuse.» Les pays africains en proie à des conflits sont particulièrement menacés, notamment la République centrafricaine, le Tchad, le Nigeria et le Sud-Soudan. De même, les pays accueillant un grand nombre de réfugiés, comme le Liban et l’Ouganda, sont exposés à la famine.
Le Yémen, en guerre depuis plusieurs années, est confronté à de graves pénuries alimentaires. Au moins 14 millions de Yéménites sont au bord de la famine, tandis que 80% des 24 millions d’habitants du pays dépendent de l’aide alimentaire. Depuis le début de la guerre menée par les Saoudiens soutenus par les Etats-Unis, 75 000 enfants yéménites de moins de 5 ans sont morts de faim, près de 3,6 millions de personnes ont été déplacées du fait du conflit. Au Sud-Soudan, plus de 5 millions de personnes sont confrontées à la famine et dépendent de l’aide alimentaire pour survivre, et 1,7 million de femmes et d’enfants souffrent de malnutrition aiguë.
De manière générale, aujourd’hui, du fait des mesures de confinement imposées dans les pays pauvres, par ailleurs dépourvus de système de santé et confrontés à des conditions sociales précaires et d’habitation insalubres, des millions de travailleurs, œuvrant ordinairement dans les secteurs privé et informel, ont été précipités dans la précarité, sans aucun revenu de survie. En outre, les restrictions mondiales sur tous les travaux et déplacements affectent considérablement les travailleurs agricoles et perturbent les chaînes d’approvisionnement, susceptibles de provoquer une catastrophe économique et humanitaire. Des millions d’agriculteurs en Afrique et dans d’autres pays à faible revenu, déjà confrontés à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire, risquent de ne pas pouvoir travailler leurs terres et produire des denrées alimentaires.
Dans son rapport, le PAM a également souligné la gravité de la situation des pays touristiques frappés par l’effondrement des secteurs du voyage et du tourisme. Certaines régions du monde, notamment les villages des montagnes de l’Atlas au Maroc, dépendent presque entièrement des touristes et des randonneurs pour leur survie. De surcroît, de nombreux pays pauvres risquent de souffrir de la chute catastrophique des envois de fonds (jusqu’à 20%, selon la Banque mondiale) car les travailleurs migrants sont mis à pied ou licenciés.
Ces crise économique et pénuries alimentaires ont déjà commencé à susciter la colère des populations. En effet, l’Afrique du Sud et le Liban ont été en proie, ces deux dernières semaines, à de violentes protestations et manifestations. En Inde, tout comme au Bengladesh et aux Philippines, où les risques de famine sont élevés, les forces répressives imposent déjà l’ordre à la pointe du fusil, et les gouvernements, en prévision des inéluctables émeutes de la faim, s’apprêtent à étouffer les révoltes sociales au moyen du déploiement de l’armée.
La faim, l’insécurité alimentaire, la malnutrition dans le monde ne sont pas naturelles mais sociales. Elles ne sont pas causées par les défaillances technologiques ou les catastrophes naturelles, mais, comme on l’observe cruellement aujourd’hui, par les mécanismes économiques barbares inhérents au capitalisme. Aucun obstacle technologique ou naturel n’empêche l’humanité de s’alimenter à sa faim. La terre, avec tous les moyens techniques et industriels, peut nourrir plusieurs fois l’humanité. Le problème n’est nullement démographique, ni climatique. La cause fondamentale de la famine, comme on le vit dramatiquement aujourd’hui, en pleine «civilisation de l’abondance», est le capitalisme lui-même. La malnutrition est un crime contre l’humanité perpétré par le système économique dominant, fondé sur l’appropriation privée des moyens de production, appropriés par une minorité (les fameux 1% de la population mondiale), les grands capitalistes qui contrôlent aussi bien l’agriculture que l’industrie, sans oublier l’agroalimentaire, les secteurs des services et du commerce.
Une chose est sûre : le capitalisme ne permettra jamais à l’humanité de s’extraire de la famine, pas plus qu’il lui offrira un système de santé capable de la protéger contre les maladies chroniques occasionnées par le mode vie pathologique de la société libérale, ni contre les épidémies liées aux virus, ni ne lui offrira des habitations décentes ni un système éducatif égalitaire performant, ni encore moins lui épargnera les guerres récurrentes, ni les dictatures récidivantes.
Contrairement aux professions de foi des organismes caritatifs aux fonctions lucratives, la misère ne se gère pas, elle s’abolit. Si la mendicité est un malheur, l’aumône est un crime spirituel, commis pour soulager la conscience tourmentée du bienfaiteur intéressé par les récompenses célestes.
L’humble humanité souffrante affamée de fraternité, de solidarité, d’égalité sociale ne doit rien espérer de ce système individualiste mortifère capitaliste. Elle ne doit pas s’agenouiller pour quémander quelques illusoires et éphémères améliorations économiques et sociales superficielles. Elle doit compter uniquement sur sa force collective, sa supériorité numérique pour anéantir ce système capitaliste pathogène et génocidaire aux fins d’instaurer une société sans classes, fondée sur la satisfaction des besoins essentiels de l’ensemble de la communauté humaine universelle.
«Pour manger à sa faim, l’humanité doit bouffer les banquiers, croquer les financiers, engloutir les capitalistes, mordre les spéculateurs, dépecer les forces armées et policières, jeter à la poubelle les bureaucrates bourgeois et débarrasser la planète de tous les profiteurs.»
M. K.
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