Islamisme et berbérisme : pourquoi il faut sortir de la dualité obsessionnelle
Par Youcef Benzatat – Votre réponse à mon texte «Voilà pourquoi je ne suis pas solidaire du Printemps berbère» laisse entrevoir une tentative désespérée de réduction de mon propos à la rhétorique obsessionnelle exprimée par ce mouvement identitaire. Celle de contester la conception de notre identité nationale, imposée par le pouvoir, par son affiliation à la sphère civilisationnelle arabo-islamique, et la volonté de lui opposer une identité amazighe qui s’inscrirait dans un cadre «civilisationnel» transnational, nord-africain, «tamazgha».
En atteste le choix du qualificatif de votre mouvement par «Printemps berbère» au lieu de «Printemps algérien». Ce qui vous fait dire, en s’adressant à ma personne, que «vous vous positionnez dans le camp adverse, celui des badissistes». Pour vous, donc, où on adhère à l’idéologie berbériste où on est avec les badissistes ! Vous conviendrez que c’est une réduction trop simpliste qui vient confirmer votre rhétorique dualiste qui balayerait d’un revers de la main toutes les nuances que j’ai précisées dans mon analyse pour ouvrir la voie à une troisième opportunité qui se situerait au-delà de cette dualité. Cette troisième voie transcendant la dualité antagonique, arabo-islamisme contre berbérisme, serait articulée autour d’une citoyenneté émancipée de toute référence ethnique et son inscription dans une algérianité métissée et transculturelle. Seule condition pour une refondation nationale qui consacrerait le parler algérien comme langue nationale. Le parler algérien derja, entendu comme la langue tamazight enrichie d’apports exogènes depuis des millénaires et non pas en tant qu’«arabe algérien», comme le définissent, faussement, les idéologues intéressés et les linguistes d’occasion.
L’inscription dans cette dualité obsessionnelle, qui est à l’origine de la revendication du multiculturalisme par la plateforme du «Printemps berbère», constitue une véritable barrière à la perception de cette troisième voie, que l’on peut qualifier d’algérianisme. Car, la revendication du multiculturalisme, entendue comme une volonté de ghettoïsation des cultures locales, constitue par essence un obstacle aux interactions interculturelles, qui empêcherait le processus d’acculturation nécessaire à la formation d’une identité nationale transcendant tous les particularismes locaux. La formation d’une identité nationale, produit d’une acculturation indéfinie entre ces différentes expressions culturelles locales, constitue un gage de formation d’une citoyenneté identifiée autour d’un intérêt commun partagé par tous les membres de la communauté nationale. Elle laisse aussi, et surtout, la porte ouverte à l’interculturalité avec les différentes cultures de l’humanité entière pour atteindre l’universel.
L’absence d’un dialogue interculturel entre arabo-islamisme et berbérisme aura pour conséquence de pousser les uns et les autres vers une impasse insurmontable. Les uns recherchant l’hégémonie culturelle sans partage, et les autres vers la recherche d’une autonomisation dans le souhait d’un fédéralisme à caractère ethnique par la partie la plus modérée et par un séparatisme territorial par les plus extrémistes.
C’est dans cette perspective que je considère le «Printemps berbère» comme l’expression d’une quête de la pureté ethnique, par le truchement de la revendication de l’identité culturelle dans le cadre d’un ensemble multiculturel à l’échelle nationale. Puisque, dans notre cas, la culture est l’expression de l’ethnie qui la véhicule et par extension de la confédération ethnique à laquelle elle est solidaire par un référent commun, en l’occurrence le tamazight.
C’est un non-sens de dire qu’il y a des arabophones parmi les militants du «Printemps berbère», puisque tamazight est le point de focalisation sur lequel s’articule la revendication multiculturelle.
Les revendications caractéristiques de la modernité politique et sociale, de droits de l’Homme, de démocratie, de laïcité, de liberté de conscience, enfin, de l’universalité, etc., tels que consacrés dans la plateforme du «Printemps berbère» sont, en vérité, un leurre. Parce qu’ils tombent sitôt sous la contradiction et ne résistent pas à une conception de la citoyenneté caractérisée par une homogénéité nationale. Ces considérations n’auront du sens que si elles s’inscrivent dans des valeurs communes et un intérêt commun à tous les individus qui composent la nation.
Quant à la revendication de la derja dans la plateforme du «Printemps berbère», cela participe de la même stratégie discursive des berbéristes pour légitimer la revendication du multiculturalisme.
On est donc en droit de conclure que l’on a affaire, avec le «Printemps berbère», à une volonté inconsciente de repli identitaire dans la pureté ethnique et sa ghettoïsation culturelle par rapport au foyer national. Cette volonté inconsciente de repli identitaire peut refléter en définitive une inaptitude au besoin d’émancipation vers la transculturalité et aux valeurs de modernité politique républicaines.
Cette volonté inconsciente de repli identitaire est commune aux sociétés traditionnelles confrontées au processus de transition vers la modernité. C’est une résistance psycho-politique qui a été théorisée par le philosophe serbe Radomir Konstantinovic dans son ouvrage Filozofija palanke (La philosophie de bourg), dans lequel il écrit que «la philosophie de bourg est prétentieuse, provinciale, misérable à la fois, celle qui se construit sur l’expérience manquée, sur la simulation systématique, sur l’universel vide et abstrait et sur le manque de sujet». Elle serait l’expression d’un «nous» cantonné dans une région enclavée, qui entend se préserver de toute intrusion culturelle et ethnique exogène, d’où le rejet de toute forme de métissage et d’acculturation. Radomir Constantinovitc contribue avec ses moyens à la mort de l’identité, depuis qu’Adolf Hitler avait provoqué son effondrement, comme l’avait fait avant lui Friedrich Nietzsche, par la mise à mort de Dieu.
C’est dans cet esprit que j’ai fait le parallèle entre la recherche de la pureté ethnique, culturelle et identitaire des berbéristes et le nazisme, entendu dans son acception extensive. Bien évidemment, les considérations antisémites et expansionnistes ne sont que l’imagination de mauvaise foi de mes contradicteurs.
Y. B.
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