Covid-19 : cette erreur que les médecins algériens n’auraient pas dû commettre
Par Dr Aziz Ghedia – L’apparition du Covid-19 en Algérie a chamboulé de façon inattendue la pratique de la médecine. Plus que ça, elle a modifié aussi la perception que l’on se fait de la vie. Si celle-ci ne tient souvent qu’à un fil, comme il est de coutume de le dire, désormais, elle ne dépend que de la présence ou de l’absence dans l’organisme d’une entité microscopique : le coronavirus. Et, paradoxalement, ce sont ceux qui sont censés combattre cette infection virale et, par conséquent, sauver la vie de ceux qui en sont atteints, qui ont le plus peur de ce virus. La peur, la panique, la psychose collective ainsi créées ont fait que nos médecins du secteur privé, qui s’estimaient mal préparés, mal protégés, mal considérés par les pouvoirs publics, pour affronter le virus, ont mis la clé sous le paillasson et se sont taillés presque sur la pointe des pieds. Ni vu ni connu !
L’administration de tutelle ne pouvait rien contre eux. Elle ne pouvait pas les sanctionner, pensaient-ils. Le pays allant depuis longtemps déjà à vau-l’eau, personne ne peut contrôler personne. Dans cette situation de crise sanitaire à l’échelle mondiale, le sauve-qui-peut a pris le dessus sur toutes les autres considérations, qu’elles soient d’ordre éthique ou philosophique. Pour certains médecins, le confinement est considéré comme la seule solution et la seule issue pour ne pas faire soi-même partie d’une statistique macabre. Pourtant, le médecin est tenu par le serment d’Hippocrate et doit obéir également à sa conscience. Il n’a pas le droit de s’éclipser et de laisser le malade à son triste sort.
Ces quelques vérités, qui ne plairont certainement pas à tout le monde, doivent être dites. Une autre vérité et non des moindres concerne notre système de santé. En effet, cette crise sanitaire qui a pris naissance dans la ville de Wuhan, en Chine, et qui s’est propagée ensuite au monde entier a ceci de bien : elle a révélé la fragilité d’un grand nombre de systèmes de santé en Occident et en particulier aux Etats-Unis qui caracolent toujours en tête en nombre de décès provoqués par le Covid-19.
Qu’en est-il de notre système de santé national ?
Il est grand temps de crever l’abcès. Cela fait des années que les professionnels de la santé ont tiré la sonnette d’alarme. Cela fait des années que les médecins implorent les pouvoirs publics d’améliorer les conditions matérielles au niveau des CHU et des structures sanitaires d’une façon générale. Cela fait des années que les usagers de la santé, les patients, dénoncent le fait que nos hôpitaux soient devenus des mouroirs sans que cela émeuve outre-mesure la conscience des responsables à tous les niveaux. Les décideurs n’ont jamais daigné répondre à ces alertes car prompts à prendre l’avion pour le moindre bobo, direction Val-de-Grâce, en France ou Hôpitaux universitaires de Genève, en Suisse.
Aujourd’hui plus que jamais, il faut une réforme radicale de ce système de santé qui est à bout de souffle. Il faut avoir le courage politique de remettre en cause un concept idéologique : la gratuité de la médecine considérée jusque-là comme un acquis révolutionnaire irréversible. Un concept qui date des années 1970. Car, en vérité, cette gratuité des soins n’a jamais vraiment profité aux nécessiteux.
Cette parenthèse étant fermée, il convient de revenir à la question du jour : qui décide à l’hôpital ? La question peut paraître provocatrice, mais, en réalité, elle ne l’est pas dans la mesure où dans cette crise de Covid-19, il s’est passé le fait suivant : tétanisé par la peur d’attraper le virus, le médecin – à qui reviennent normalement le devoir et le droit de décider de la politique à suivre pour endiguer l’épidémie –, s’est retiré du champ de bataille et a donné ainsi l’occasion aux «autorités compétentes» de prendre les choses en main. C’est le médecin qui a créé ce vide. Et c’est l’homme politique, les représentants des pouvoirs publics – wali, administrateur de la santé, député, chef de secteur militaire, représentant de la Protection civile, etc. – qui décident, in fine, de dédier telle ou telle structure sanitaire à la prise en charge des malades du Covid-19.
C’est ce qui s’est passé dans la ville de Bordj-Bou-Arreridj, par exemple. L’hôpital Bouzidi-Lakhdar du chef-lieu de wilaya, d’une capacité de 240 lits, a été choisi, sur des critères certainement subjectifs, comme étant la structure sanitaire idéale pour la prise en charge des malades infectés par le Sars Cov 2. Y a-t-il eu discussions poussées avec les premiers concernés, à savoir les médecins de cet hôpital ? On ne sait pas. Une chose est sûre, cependant, c’est qu’il n’y a plus d’activité opératoire dans cet hôpital. Par ailleurs, tous les services de cet établissement ont été vidés de leurs occupants et réservés dorénavant pour les éventuels cas de Covid-19. Délocalisées dans une polyclinique de la ville, les consultations de chirurgie et les urgences médicales s’y déroulent dans une anarchie indescriptible, les malades ne sachant plus quoi faire. Selon des échos qui nous sont parvenus de cet hôpital, l’ordre de procéder de cette façon émanerait de la Direction de la santé et de la population. Pour d’autres, cette décision a été prise le 2 avril, lors d’une réunion qui avait regroupé les autorités de la wilaya et les responsables du secteur sanitaire, y compris les praticiens du Conseil médical. Or, quelques jours plus tard, soit le 16 avril, le directeur de la santé et de la population aurait été limogé. Pour quelle raison ? Motus et bouche cousue. Personne ne sait de façon exacte les tenants et les aboutissants de cette éviction en cette période cruciale où le secteur de la santé a plus que jamais besoin d’être bien encadré et bien dirigé.
Entre temps, c’est un autre hôpital, en construction depuis 2005 et non encore achevé, qui est détourné de sa vocation première – centre d’orthopédie – pour être équipé d’un matériel – scanner et respirateurs, notamment – de dernière génération (?) provenant d’un don d’hommes d’affaires de la ville et mis à la disposition des Covid+.
Tout cela fait trop pour quelques cas de Covid-19.
On ne peut passer sous silence, pendant ce temps, le fait que ce sont les cliniques privées qui assurent, bénévolement, les urgences chirurgicales.
A. G.
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