La fin d’un mythe
Par Mrizek Sahraoui – Depuis que Kamel Daoud ne parle plus la langue du peuple, mais celle d’un lointain univers, sa voix ni ne porte ni ne fait écho. Il est hâtif de parler de la fin d’un mythe, honni qui mal y prédit, néanmoins, il faut bien admettre que depuis qu’il a tourné casaque, juste, l’a-t-on accusé, après son fameux «nous sommes tous coupables», lancé avec colère au lendemain du décès du militant des droits de l’Homme Kamel-Eddine Fekhar, eh bien, depuis ces temps, pourtant encore bénis du Hirak, sa parole imprime de moins en moins.
Son décret du 12 janvier 2020 signant l’«échec du Hirak », une parole d’Oracle devenue l’apophtegme porté au pinacle par les médias parisiens prédisant avec le même argumentaire que le sien, à quelques nuances près, et leurs plaidoiries pro domo la même issue au mouvement des Gilets jaunes, ce verdict donc peut avoir aussi signé la fin d’une époque. A présent, il y a de bonnes raisons de penser que l’enfant du pays a perdu son aura. Chez les siens, en tout cas.
Car chez France Culture qui lui a donné la parole, vendredi 24 avril, il a dit des choses vraies, d’autres sujettes à controverse. Mais cette sortie médiatique est passée presque inaperçue et n’a pas suscité le grand débat tant espéré. Son diagnostic sur la situation en Algérie, peu commenté mais a tout de même soulevé quelques critiques acerbes, tout juste vient-il percer à jour les stigmates d’une désaffection, fruit amer d’un absurde jugement assertorique. Se pourrait-il aussi parce que l’auguste chroniqueur de son temps et du magazine Le Point a tenté de nous duper avec le coup du verre à moitié plein et l’autre à moitié vide ?
Ça n’a pas marché visiblement. Sur les réseaux sociaux, l’on dénombre quelques partages d’un article de presse repris in extenso par une page qui compte pourtant près de quarante mille abonnés. Une cinquantaine tout au plus, contrairement à l’avant changement de cap, tel qu’on le lui a reproché, où une publication du célèbre chroniqueur du Quotidien d’Oran faisait des milliers de partages et autant de likes.
Au micro de France Culture, l’écrivain, désormais franco-algérien – Banco ! C’est dans la poche – a plaidé «pour un consensus politique entre le pouvoir en place et le Hirak». Et de poursuivre : «Je dois bien avouer que les autorités algériennes gèrent plutôt bien la crise sanitaire», considérant, par ailleurs, que «toute la communication autour de la pandémie a été, et reste, bien gérée», avec «un bilan», dira-t-il, dans la posture d’un citoyen lambda, «bon, étonnamment bon».
L’auteur de Meursault, contre-enquête, qui a incontestablement du talent, beaucoup de talent, mais qui a su aussi, lorsqu’il débarqua à Paris, taper à la bonne porte, celle d’une certaine élite, un conglomérat sous l’égide d’une entité qui a le pouvoir de nommer roi qui elle veut sous réserve de loyauté à toute épreuve, a gardé une certaine hargne. Chez France Culture, il a dénoncé avec, en filigrane, une bonne dose de populisme, un trait de caractère que l’on ne lui connaît pas jusqu’ici, «toute les arrestations politiques» tout en se disant «solidaire avec ceux qui sont en prison, y compris ceux dont on ne parle jamais car ils n’ont pas de relais dans les médias».
Pour Kamel Daoud, «la situation n’est pas aussi simple». Il dit : «Il n’y a pas d’un côté un régime dur et de l’autre un courant qui veut démocratiser le pays. Je pense qu’on a de part et d’autre des radicalités qui s’opposent et nous avons aussi de bonnes volontés de part et d’autre qui pourraient travailler ensemble et dégager un consensus.»
Kamel Daoud a parlé alors que le pouvoir vient d’accentuer sa logique autoritaire qui laisse présager après le retour à la vie à peu normale une aggravation des menaces sur les libertés d’expression et de manifester, celle de la presse ayant déjà pris un sacré coup.
Difficile de ne pas y voir de l’ambition, un appel du pied ou, carrément, une offre de service de la part du prudent équilibriste qui se fut dit «pas hostile à l’idée de devenir président de la République si l’occasion se présentait», le 17 février 2017 dans les colonnes du journal Libération.
Sommes-nous face à la modicité de la cause de tous ceux qui (avaient) connaissance – [Ignobilitatis tegendæ causa omnes conscios] –, comme l’eut mentionné la littérature latine.
L’histoire et la mémoire du peuple jugeront. Si ce n’est déjà fait.
M. S.
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