Donald Trump : une oie blanche à la Maison-Blanche
Par Mesloub Khider – Depuis son élection, l’excentrique président Trump, dépourvu de raison, ne cesse de se livrer à ses rituelles péroraisons. Dressé droit devant son pupitre, Trump aime s’adonner à ses exercices préférés de pitre. De même, confiné dans son Bureau ovale, muni de son inséparable arme smartphonique favorite, il affectionne, tel un «adolescent» attardé, mitrailler ses fans de tweets frivoles.
En particulier, depuis l’apparition de la pandémie de coronavirus, ses saillies s’apparentent à des shows histrionesques. Récemment, l’oie blanche de la Maison-Blanche s’est mise à endosser la blouse blanche de médecin pour prodiguer ses recommandations détersives censées «javelliser» le corps meurtri par le coronavirus. Lors de cette sortie remarquée et remarquable d’intelligence, il s’est improvisé expert en sciences charlatanesques. En effet, Trump a exhorté les Américains, en guise de médication contre le coronavirus, à s’injecter du désinfectant et à s’infliger des rayons ultraviolets dans le corps. Avec une intonation doctorale et une rhétorique puérile, Trump a martelé ses préconisations médicinales : «Je vois le désinfectant qui l’élimine en une minute, une minute». «Et y a-t-il un moyen de faire quelque chose comme ça par injection à l’intérieur, ou presque un nettoyage ? Parce que vous voyez qu’il pénètre à l’intérieur des poumons et qu’il y fait un énorme effet sur les poumons, il serait donc intéressant de vérifier cela», a-t-il déclaré. Trump a poursuivi sa conférence scientifique : «Supposons donc que nous frappions le corps avec une lumière énorme – ultraviolette ou simplement très puissante – et je pense que vous avez dit que cela n’a pas été vérifié à cause des tests. Et puis j’ai dit : supposons que vous ameniez la lumière à l’intérieur du corps, ce que vous pouvez faire soit à travers la peau, soit d’une autre manière, et je pense que vous avez dit que vous alliez tester cela aussi.»
Ces déclarations ont suscité une vague d’indignation de la part du corps médical et scientifique. Le fabricant du désinfectant Lysol a été contraint de se fendre d’un communiqué pour sermonner publiquement le président Trump, en publiant une déclaration précisant : «Nous devons être clairs sur le fait qu’en aucun cas nos produits désinfectants ne doivent être administrés dans le corps humain.»
Déjà, en prévisionniste virologique, il avait annoncé au début de la propagation du coronavirus que la pandémie s’éteindrait de sa belle mort en avril, grâce aux irradiations des dissolvantes lueurs printanières connues pour leurs vertus thérapeutiques. De même, en éminent pharmacologue mondialement renommé, Trump avait conseillé comme traitement médicamenteux pour guérir le coronavirus l’administration de l’hydroxychloroquine, médicament miracle, selon l’illuminé Trump, en dépit de la recommandation de la Food and Drug Administration selon laquelle ce médicament pourrait entraîner l’augmentation du nombre de décès en raison de ses effets indésirables potentiellement létaux.
Plus inquiétant pour un Président, dernièrement il a désavoué l’autorité de certains gouverneurs, en encourageant les habitants à libérer les Etats où des manifestations avaient éclaté contre le confinement requis par leurs gouverneurs démocrates. «Libérez le Minnesota !», «Libérez le Michigan !», «Libérez la Virginie !» a écrit Donald Trump, en majuscules, sur son compte Twitter. Dans son dernier message, il a même ajouté : «Et sauvez votre formidable deuxième amendement. Il est assiégé !» en référence au droit des Américains à porter des armes. Le gouverneur démocrate de l’Etat de Washington s’est indigné des tweets présidentiels envers ses homologues car ils encouragent, selon lui, «des actes dangereux et illégaux». Répliquant sur Twitter, il a écrit que Donald Trump «met des millions de personnes en danger d’attraper le Covid-19. Ses tirades déséquilibrées et ses appels à libérer des Etats pourraient aussi mener à des violences».
En tout état de cause, les déclarations psychopathiques de Trump prouvent son indigence intellectuelle mais, surtout, son indifférence à l’égard de la vie humaine. Son ascension à la plus haute magistrature symbolise la dégénérescence d’une société en déclin. Trump est l’homme de son époque : celle d’une société américaine en pleine putréfaction. Trump est à l’image de notre monde en plein naufrage, un univers déréglé, dérégulé, dégradé, dépravé. Il n’est pas plus fou que l’ensemble des «citoyens» aliénés, déphasés, désaxés, déséquilibrés.
Dans les périodes de décadence de civilisation, la population livre souvent le pouvoir à des personnalités les plus méprisables (à croire qu’elle n’a plus aucun sens de la dignité, qu’elle a sombré dans le mépris de soi, de là s’explique le choix de ses représentants désignés à son image. Le populisme n’est que le reflet de cette société en déclin, de la populace plongée dans le pétrin, baignant dans le politique lit immonde de purin).
Si on devait se livrer à une comparaison historique marquée par le déclin d’un monde sclérosé, parvenu à sa fin, on peut citer volontiers l’exemple de la Russie tsariste. En effet, à la fin du règne de la dynastie des Romanov, le trône a été délégué à un personnage rustre et mystique, l’ineffable moine Grigori Raspoutine, qui a exercé une immense influence sur la couronne tsariste. Ancien truand et violeur (Triumph n’a-t-il pas été accusé de viol par quelques femmes ?), Raspoutine est devenu le véritable détenteur du pouvoir tsariste en déclin grâce, notamment, à ses prétendus pouvoirs thaumaturgiques et surtout thérapeutiques (Trump avait également promis des miracles aux Américains. Au final, ils auront des larmes, de la détresse, du chômage, et surtout la famine, et bientôt la répression sanglante policière et militaire pour mater les inévitables révoltes de la faim). Raspoutine prétendait pouvoir soigner l’héritier du couple royal atteint d’hémophilie (hémorragies graves apparaissant au moindre traumatisme : l’hémophilie du fils symbolisait celle du régime en plein écroulement sanguinaire), par la combinaison d’incantations religieuses, conjurations d’esprits maléfiques (Trump est le fils spirituel de Raspoutine, ses incontinences verbeuses s’apparentent à des incantations byzantines).
Devenu un obstacle pour la noblesse russe exclue du pouvoir, Raspoutine finira par être assassiné en décembre 1916 afin d’éviter la ruine du régime. Mais son entreprise désespérée n’a pas conjuré l’effondrement définitif de la monarchie tsariste deux mois plus tard, précipitée par la Révolution entamée en février 1917. Trump incarne-t-il le dernier président des Etats-Unis ? Sa gouvernance annonce-t-elle le crépuscule de l’Amérique ? Prépare-t-elle l’ultime révolution sociale qui balaiera définitivement la «civilisation Disneyland», ce royaume enchanté américain ?
Depuis lors, le vocable «raspoutinisme» incarne la corruption et la décadence du pouvoir. Le «trumpisme» constitue-t-il une forme de raspoutinisme ?
Par son indigence intellectuelle, sa vacuité culturelle, sa personnalité psychotique, son tempérament mystique, Trump peut être caractérisé comme un personnage raspoutinien. Mais Trump représente aussi la quintessence du capitalisme actuel en pleine dégénérescence. C’est le capitalisme décadent contemporain qui a propulsé Trump au pouvoir. Ce n’est pas Trump qui a précipité le capitalisme dans sa phase décadente. A notre époque marquée par le déclin, quelle utilité aurait Wall Street de coopter (comme elle a toujours fait) à la Maison-Blanche un homme doté d’une érudition scientifique et d’un savoir encyclopédique ? Les intérêts des banques et des entreprises ne s’embarrassent plus de philosophie politique, ni de littérature scientifique. Talonnée par l’interminable crise économique qui la poursuit depuis des années, l’oligarchie financière avait fini par jeter son dévolu sur son allié du sérail, le milliardaire Trump, en vue de sauver le capital américain. Mais Trump, une fois installé dans le Bureau ovale, a dirigé la Maison-Blanche en oie blanche, comme un enfant gâteux et capricieux.
En fait de sauvetage de l’Amérique, Trump, par sa gouvernance brinquebalante, a plutôt achevé de la précipiter dans les intempéries du naufrage économique, social et politique. Il a transformé le rêve américain en cauchemar.
K. M.
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