Liberté de la presse, dites-vous, Monsieur le Président ?
Par Dr Abderrahmane Cherfouh – Ce 3 mai, la Journée mondiale de liberté de la presse a été célébrée avec moins d’éclat, en raison de la crise mondiale de la pandémie que nous traversons, mais avec un mélange d’espoir et d’optimisme depuis l’avènement du 22 Février 2019. La liberté de la presse tant réclamée et revendiquée par le Hirak et par tous ceux qui recherchent la transparence et la vérité, tant redoutée par le système pour des raisons que tout le monde connaît, doit être utilisée comme un rempart contre toute dérive et d’abus de la part d’un pouvoir qui cherche à la confiner et l’enfermer dans d’étroites limites et la mettre sous haute surveillance pour lui servir comme instrument. Un pouvoir qui a largement sévi par le passé, qui a laissé derrière lui des dégâts considérables et qui ne veut pas rompre face à un monde nouveau, quitte à réveiller les vieux démons et à vouloir pérenniser certains vieux réflexes et certaines pratiques et méthodes dépassées tant décriées et tant vomies par l’ensemble de la population et les forces vives de la nation.
On peut se poser cette question : qui est derrière ce système au service d’un pouvoir occulte qui brandit toujours ses menaces quand il se sent attaqué dans ses intérêts ? Alors, sa machine infernale et redoutable se met en branle et risque de faire du mal car, auparavant, il aurait pris ses précautions en balisant devant son champ opératoire, tout en se dotant d’un arsenal juridique fait sur mesure pour la cause et qui s’inscrit à contre-courant de la nouvelle histoire écrite par le Hirak. Donc, muni d’un pareil dispositif perfectionné à l’extrême, ce pouvoir risque de perdurer et de frapper sans pitié en décourageant toute forme de volonté ou de résistance pour lui faire face.
Aussi, devant cet état de fait, il est hors de question de se taire et de laisser faire. Dans un monde en perpétuel changement, face à une nouvelle donne politique, les Algériens doivent se positionner et réagir. Notre silence sera interprété comme une complicité qui aura des conséquences lourdes et dont le prix à payer sera immense car nous avons assez souffert pendant 58 ans d’une presse dirigée, téléguidée, exécutant les ordres d’un pouvoir qui a érigé la corruption en institution. Cette presse, partiale, contrôlée, le pouvoir veut la régénérer et la ressusciter, oubliant que le 22 Février 2019 est passé par là et que les anciennes méthodes n’ont plus le droit de cité.
Le monde a changé et l’Algérie avec. Les anciennes idéologies ne sont plus des créneaux porteurs, ce sont les réseaux sociaux qui existent à volonté, qui occupent le terrain et créent un nouvel espace d’expression sous toutes ses formes. Des plateformes numériques ont vu le jour et offrent aux citoyens, aux journalistes et aux acteurs politiques une plus grande accessibilité à l’actualité et à l’information. Cette accessibilité à l’information via les réseaux sociaux est la bête noire de tout pouvoir dictatorial et lui pose un énorme problème parce qu’elle échappe à son contrôle. Mais notre pouvoir reste sourd et aveugle et ne veut pas se rendre à l’évidence et voir la réalité en face.
Le propre d’un Etat de droit, d’un Etat fort, c’est d’avoir une liberté de presse, une liberté de pensée qui n’obéissent qu’à un seul ordre, celui d’informer ; informer en moralisant la profession ; informer pour l’intérêt du pays, du citoyen.
Par ailleurs, il est indispensable de distinguer deux sortes de presse, celle qui est souveraine, indépendante, transparente, intègre, consciente du rôle capital qu’elle doit jouer et des idées nobles qu’elle doit véhiculer ; cette presse, il faut être de son côté, l’encourager et lui apporter son soutien et sa solidarité. L’autre presse, celle qui est partie prenante, partiale, qui vit au crochet de l’Etat, il faut lui faire face, la dénoncer par tous les moyens car elle a démontré par le passé ses répercussions néfastes qui ont largement contribué à l’état de déliquescence de notre pays et au marasme économique que nous vivons actuellement. Cette presse a servi de pilier et d’outil au pouvoir de Bouteflika et a été son support médiatique. Pour ne pas laisser faire et ne pas sombrer dans l’immobilisme, à nous de mettre à nu, de dévoiler, de saisir l’opportunité afin de démasquer le mythe d’une minorité d’intouchables qui ont largement nui à l’Algérie. Nous aurons, alors, participé et contribué à la naissance et à l’émergence d’une nouvelle force politique complètement en phase avec le pluralisme de pensée, conformément aux règles de l’éthique de la déontologie et au respect mutuel. Ce sera, alors, la base et le fondement mêmes de la démocratie au sens vrai du terme.
Quand le premier magistrat du pays reconnaît soutenir financièrement 160 journaux qui vivent aux crochets de l’Etat et le déclare le plus naturellement du monde dans un mélange de fatalisme et d’indolence, il y a de quoi s’inquiéter quant à la crédibilité, la solidité, l’impartialité et l’orientation de cette presse. Pourquoi continuer à injecter de l’argent public et aider une presse incapable de survivre sans la manne publicitaire publique, si ce n’est pour l’apprivoiser et en faire un outil de propagande et de démagogie ? Nous ne sommes pas dupes ! Nous savons tous que le pouvoir a toujours exercé sa domination sur la presse depuis l’indépendance du pays, c’est cela qu’il nous appartient de combattre.
L’avenir de la presse doit nous interpeller tous, en tant que citoyens, pour participer à la naissance d’une presse libre et indépendante et lui donner les moyens d’être un modèle et une référence. Notre silence doit être considéré comme une non-assistance à un corps en danger. Ce silence, justement, qui avait permis au système et à ses relais de faire de l’Algérie une propriété privée et aux oligarques de piller et d’accaparer les richesses du pays.
A. C.
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