L’indélicat plan de division en Algérie par l’état-major de l’armée française
Par Youcef Benzatat – L’état-major de l’armée française a publié, le 27 avril sur Twitter, une photo sur laquelle la Kabylie apparaît comme un pays indépendant, qui ne fait pas partie de l’Algérie. Cette publication ne se contente pas seulement de revêtir un caractère provocateur mais affirme explicitement une reconnaissance de fait de la Kabyle en tant que pays indépendant, pour l’avoir représentée sur cette photo avec l’emblème amazigh, sa capitale Tizi Ouzou et son nom Kabylie, qui a été transcrit «Bylka». La photo fut illustrée du message non moins explicite : «On garde le cap !» Une photo qui a fait le tour de la Toile et indigné les internautes algériens, notamment en Kabylie.
L’état-major de l’armée française commet en la circonstance une indélicatesse mettant en cause la souveraineté territoriale de l’Algérie et engage la responsabilité de l’Etat français. Mais s’agit-il d’un acte isolé de la part de nostalgiques de l’Algérie française qui ont abusé des services de communication de l’état-major à l’insu des autorité françaises ou alors, est-ce «le cap» de la diplomatie française qui s’est saisie du problème de la Kabylie, comme il est souligné en message accompagnant cette photo : «On garde le cap !» pour l’’inscrire dans le prolongement de la tension entre l’Algérie et la France, suite aux récents développements conflictuels entre les deux parties, depuis quelque temps déjà, autour de plusieurs sujets dont la Libye, le Sahel, les détenus d’opinion, les opposants actifs du Hirak au pouvoir algérien établis en France, etc.
Pour mémoire, le mythe de la Kabylie a été inventé de toutes pièces par la France coloniale pour diviser le peuple algérien et affaiblir ainsi sa résistance à l’occupation coloniale. C’est avec l’invasion coloniale française au XIXe siècle que les mots «Kabylie» et «Kabyles» vont voir le jour pour désigner cette région et ses habitants à des fins propagandistes.
En fait, le mot Kabylie dérive de l’arabe «biled el-qabâ-il», littéralement «territoire des tribus». Les Arabes les avaient nommés ainsi pour signifier que les populations des montagnes du Djurdjura, qui sont regroupés en confédération de tribus, sont hors de portée de leur invasion du fait du relief très accidenté, en plus de la résistance farouche que ces derniers leur avaient opposée au pied de ces montagnes, comme partout ailleurs en Algérie.
En vérité, cette région d’Algérie n’a jamais été enclavée et isolée dans sa globalité. Les sommets des montagnes étaient, certes, des zones de repli mais les plaines et le littoral étaient déjà colonisés et métissés depuis les Phéniciens. Bida Minicipium a été à partir du IVe siècle une garnison romaine pour sécuriser la voie commerciale allant de Dellys à Béjaïa et occupée par une population romaine et un archevêché. Le métissage des populations de cette région s’est accentué pendant les périodes des Fatimides, Hammadites, Hafsides, etc. La plaine du Sebaou a été peuplée après l’arrivée des Turcs par un mélange de janissaires (italiens, maltais, espagnols, etc.) et des esclaves africains qui se sont tous intégrés dans les communautés villageoises de cette région. Le phénomène s’est accéléré après l’effondrement de la Régence d’Alger. La tribu la plus connue durant cette période était les Aït Kaci, qui étaient originaires de M’sila. Ils se sont essaimés à leur arrivée dans toute la région.
Ce n’est qu’avec l’invasion française que le mot «Bilad el-kabail» deviendra «Kabylie» et ses habitants des «Kabyles» dans sa transposition dans la langue française. Le paradoxe est que cette appellation fait de toutes les sociétés encore vivant en système tribal dans le monde des Kabyles, et les territoires qu’elles occupent des Kabylie !
La focalisation sur cette région, par sa dénomination en tant que région spécifique distincte des autres régions du pays obéissait à la volonté coloniale française de diviser le peuple algérien pour mieux le dominer.
Le mot «Berbère» obéissait à la même règle. Déjà, les Romains appelaient les Algériens «Barbares». Les Arabes n’ont fait que transposer ce mot dans leur langue pour devenir «Braber». Les Français ont, à leur tour, transposé ce mot dans leur langue pour devenir «Berbère».
Cette dernière dénomination avait pour but, elle aussi, de fragmenter encore un peu plus l’unité du peuple algérien en Berbères et Arabes, en occultant tous les métissages hérités des invasions précédentes et la présence d’autres populations d’origines diverses, notamment, des Turcs, Noirs subsahariens, Espagnols, juifs, etc.
Les berbéristes, aujourd’hui, se sont approprié cette idéologie séparatiste pour accentuer, à leur tour, la division du peuple algérien en Kabyles et Arabes, reprenant au mot la stratégie coloniale d’occultation du métissage de la population algérienne et la présence de populations d’origines diverses, y compris celles qui sont venues se rajouter avec la colonisation française elle-même.
C’est le Baron de Slane, chef des interprètes de la mission scientifique venue en Algérie en 1847, qui était l’auteur du néologisme «Kabyle». Il est aussi à l’origine du qualificatif péjoratif «Arabe» pour désigner toutes les autres populations algériennes non kabyles. En fait, le Baron de Slane, en traduisant Al-Mouqa’dima d’Ibn Khaldoun, notamment le passage de la conquête de l’Ifrikya par les Banou Hilal et les Banou Souleym (XIe siècle), au sujet desquels il écrivait : «Ida ôribat khoribat» (quand les nomades investissent un lieu, celui-ci sera détruit), il pervertira cette expression par «quand les Arabes investissent un lieu, celui-ci sera détruit», en entendant par Arabes le reste des habitants d’Algérie autres que les Kabyles ! En surenchérissant qu’ils étaient des sauvages et qu’il fallait les civiliser, contrairement aux Kabyles pour lesquels la colonisation a voulu en faire des alliés. Cette traduction insidieuse est toujours utilisée aujourd’hui par les adeptes de l’idéologie berbériste pour différencier Arabes et Kabyles.
C’est ainsi que s’est construit le mythe de la population kabyle, qui n’a pourtant rien de différent au fond avec le reste de la population algérienne et qui continue à servir de leitmotiv pour diviser la population algérienne. Comme c’est le cas de cette photo publiée par l’état-major français à un moment critique de l’histoire de l’Algérie indépendante, où la question de l’indépendance de la Kabylie est instrumentalisée par beaucoup de parties ennemies de l’Algérie.
Cette stratégie de division du peuple algérien a trouvé également chez beaucoup d’intellectuels algériens, qui se sont éloignés de leur peuple pour aller monnayer leurs services dans les salons de la néo-colonisation, de véritables porte-voix dont les échos parviennent jusqu’à nos médias nationaux, nos maisons d’édition, y compris au sein des partis politiques et des ONG dont le financement est plus que suspect. Les réseaux sociaux en sont autant affectés par cette dérive, jusqu’à faire avorter l’unité du peuple qui a resurgi miraculeusement avec le Hirak.
Y. B.
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