Vos génocides, notre indignation
Par Youcef Benzatat – Comme au temps de la colonisation française de l’Algérie, lorsqu’on justifiait le génocide du 8 Mai 1945, au nom d’une légitime riposte au «terrorisme» des Algériens, aujourd’hui, avec la colonisation de la Palestine, pour justifier les crimes arbitraires contre la population palestinienne et notamment les enfants, des officiels allemands n’hésitent pas à qualifier, à leur tour, les intellectuels insurgés d’antisémitisme.
C’est ainsi que le philosophe camerounais Achille MBembe, en s’insurgeant contre le régime d’apartheid israélien et ses dérives, par la confiscation des terres aux Palestiniens et les crimes arbitraires quotidiens envers leurs enfants, s’est vu lynché par les défenseurs de ce régime inique et barbare, sous l’accusation générique d’antisémitisme !
Achille Mbembe se retrouve, par conséquent, au centre d’une polémique qui lui vaut menaces et insultes à caractère raciste. Son tord est d’avoir comparé la politique de colonisation israélienne à l’apartheid en Afrique du Sud.
Les initiateurs de cette cabale ne sont autre que le Commissaire du gouvernement allemand pour la lutte contre l’antisémitisme, Felix Klein, et le porte-parole de la politique culturelle du groupe parlementaire FDP (Parti libéral-démocrate) au Parlement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Lorenz Deutsch. Ils auraient contesté sa participation à l’événement culturel de la Ruhrtriennale, prévu en Allemagne cet été et annulé depuis pour cause du Covid-19, sous prétexte que ce dernier aurait fait preuve d’antisémitisme en comparant dans son livre, Politiques de l’intimité, paru en 2016, que la politique de colonisation d’Israël «rappelle à certains égards» le système de l’apartheid en Afrique du Sud. Ils n’hésiteront pas à qualifier cette comparaison comme faisant partie d’«un schéma antisémite bien connu», tout en affirmant que Mbembe «remet aussi en question le droit d’Israël à exister».
Achille Mbembe dénonce une campagne de diffamation et explique que tout ce qu’il a écrit «repose sur un seul fondement, à savoir l’espoir dans le développement d’une communauté véritablement universelle, dont personne n’est exclue», en rajoutant que, pour lui, l’antisémitisme est «un crime terrible». Il affirme également qu’il ne banalisera jamais l’holocauste, ni assimilera le meurtre de masse de juifs à l’apartheid en Afrique du Sud, en précisant que cela ne doit pas se poser comme obstacle à la nécessité «d’un discours libre et critique sur Israël, qui est plus que jamais nécessaire».
Comme au temps de la colonisation française avec ses crimes de masse, de noyade dans la Seine, de torture institutionnalisée, il s’est toujours trouvé une conscience humaniste pour dénoncer ces abjections et défier l’omerta imposée par les officiels. Ainsi, des artistes et des intellectuels allemands, y compris israéliens, se sont insurgés, à leur tour, par la signature d’un appel pour démettre Felix Klein de ses fonctions, en soutien au philosophe africain Achille Mbembe, et à la cause pour laquelle il s’est courageusement insurgé. «Tenter de présenter le professeur Mbembe comme un antisémite est sans fondement, inapproprié, offensant et nuisible», écrivent les signataires de cet appel. «Nous voulons être très clairs : une telle étude n’est pas une banalisation de l’holocauste et certainement pas de l’antisémitisme. Elle est légitime, essentielle et en fait courante dans les études sur l’holocauste et le génocide.» Ils mettent également en garde contre «les conséquences négatives de telles allégations injustifiées d’antisémitisme, en dissuadant les intellectuels, les journalistes et le grand public d’exercer leur liberté d’expression sur des questions controversées qui devraient être débattues publiquement».
Achille Mbembe a remercié les auteurs de ce soutien inespéré, écrivant : «J’aimerais aussi que nous ayons une pensée pour beaucoup d’autres qui ont été soumis à ce genre d’épreuves dans un passé pas si lointain. Je ne suis pas le premier. Je ne serai pas non plus le dernier. Chaque fois que ça arrive, levons-nous et appelons-le pour ce que c’est.»
A ce propos, il est à déplorer que les intellectuels de la rive sud de la Méditerranée, pour la plupart vivant dans les métropoles de leurs anciennes colonies, ou ayant des intérêts personnels, restent atrophiés devant cette nécessité de se lever à chaque fois qu’il est besoin pour appeler ce qui est par son nom. Moi-même je fus victime d’une telle cabale de la part du lobby sioniste parisien, en m’accusant d’antisémitisme, sans fondements, pour avoir publié une tribune sur Mediapart, que ce dernier avait censuré sous la pression de ce puissant lobby et personne, y compris parmi mes compatriotes, n’a daigné s’indigner. Cette forme d’indignation est plus que jamais nécessaire aujourd’hui, pour que de tels abjections ne puissent plus se reproduire dans le silence et ne trouvent plus de complicité dans leur soutien.
Il suffit de se rappeler la dernière bavure policière française pendant le confinement dû au coronavirus, où des policiers avaient évoqué cyniquement la mémoire des noyés algériens dans la Seine pendant la Guerre de libération nationale avec mépris, «il fallait lui attacher des boulets aux pieds à ce bicot pour le noyer», en désignant un immigré pris dans les tenailles de leur bavure, pour s’en convaincre.
Y. B.
Comment (33)