Projet de Constitution : souveraineté du peuple ou souveraineté encadrée ?
Par Ali Akika – Une Constitution acquiert le statut de sacré par la pertinence de l’analyse de l’histoire du pays dont elle va régir la vie politique et les institutions de l’Etat. La justesse des mots et leur beauté dans son préambule le disputent au souffle poétique du récit national. J’ai lu et relu les préambules des Constitutions depuis 1963, ils sont longs et écrits souvent avec une enflure de style qui frise la langue de bois. Pour résister au temps, une Constitution doit prendre exemple sur la grande littérature. Les deux premières Constitutions écrites dans le monde et issues d’une révolution, l’américaine et la française, excellent dans la concision et la rigueur historique. «Nous, le peuple des Etats-Unis», expression qui claque et désigne l’origine de la souveraineté qui va régir les lois de ce pays. Mais les rédacteurs de la mouture de la future Constitution algérienne ont préféré se référer à des articles de la Constitution américaine d’une drôle de façon. Ils suggèrent une présidence flanquée d’un Congrès (Sénat et chambre des députés). On sait que le Président américain est tout puissant, sauf que cette puissance peut être refroidie par les deux chambres du Congrès ; par exemple, dans le cas où le président s’amuserait à vouloir déclarer une guerre ou bien à jouer avec les lois américaines. Nixon a payé cher son audace et Trump a failli connaître l’infamante destitution de l’impeachment.
En revanche, dans le projet actuel, le Président algérien est investi de toute la puissance de ses prédécesseurs. Ce n’est pas la poudre aux yeux qui consiste à le faire décharger par le chef du gouvernement de quelques affaires de l’intendance, comme dirait De Gaulle, que cela va déranger son pouvoir sans partage. De plus, un Sénat dont 25% doivent allégeance à celui qui les a désignés renseigne sur les élus du peuple que l’on veut nous faire croire qu’ils ressemblent aux élus américains. Ces derniers sont élus après de féroces luttes électorales. De plus, ils ne sont point dépendants de leurs indemnités parlementaires. Ils sont très souvent plus riches que le Président des Etats-Unis et sont également liés au fameux complexe militaro-industriel. Quand nous aurons des congressistes comme dans le film Tempête à Washington, nous pourrons alors nous référer sans complexe aux Etats-Unis qui, hélas, aujourd’hui, ont oublié leur anticolonialisme anglais. Les Palestiniens en connaissent un bout sur ce sujet.
La deuxième référence à une expérience étrangère est d’un pays que nous connaissons ô combien. Nos juristes ont ainsi importé la Constitution de la Ve République où il peut y avoir une cohabitation. C’est arrivé deux fois – avec Chirac et Jospin. Il y a eu un peu de bisbille mais la Constitution a plutôt bien résisté pour la simple raison qu’elle a clairement défini les prérogatives du président de la République et du Premier ministre. Elle a d’autant plus résisté qu’il existait de vrais partis politiques – avec tous leurs défauts et leur opportunisme – qui avaient le courage et les moyens de contrer le Président, même au risque de déclencher une crise de régime.
Quand on lit dans la mouture proposée aux Algériens que le chef de gouvernement – qui n’émane pas forcément d’une majorité du Parlement –, on devine où se niche le vrai pouvoir et on devine surtout qu’il est pris entre deux feux, celui du Président et des députés qui obéiront à leurs tuteurs. Comme il n’est pas possible de décortiquer article après article, je me contenterai de dire les défauts qui sautent aux yeux. A la lecture de tous les alinéas, cette mouture paraît être une sorte de catalogue à la Prévert. Une Constitution est une Loi fondamentale où l’on expose la matrice sur laquelle reposeront les lois futures du pays, sans quoi, elles sont déclarées inconstitutionnelles et versées dans les étalages poussiéreux des archives nationales. Cette matrice, c’est l’histoire qui garde jalousement le ou les événements fondateurs de la République. Si nous prenons les deux exemples contenus dans la mouture de la future Constitution, ceux des Etats-Unis et de la France, les Constitutions des deux pays reflètent leur histoire.
«Nous, le peuple des Etats-Unis», expression qui claque et désigne l’origine et l’acteur de la souveraineté nationale. La philosophie de ce «Nous, le peuple», fait référence au pouvoir puissant d’un président fort pour représenter le pays. Mais cet immense pays avec 50 Etats a besoin de sénateurs et de parlementaires pour gérer chaque Etat ayant son propre gouverneur. Aussi le Président a beau être puissant, il lui arrive de plier devant les Etats et l’exemple du coronavirus en a fourni la preuve.
Quant à la France, où l’odeur et les couleurs de la monarchie n’ont pas tout à fait disparu en dépit des bouleversements volcaniques de la Révolution de 1789, voyons la Constitution qui sert de repères à nos juristes. Ainsi, en pleine Guerre d’Algérie, la France changeait de chef de gouvernement à chaque saison. Elle perdit son prestige sur la scène internationale. En mai 1958, on fit appel à un homme qui avait gardé un prestige chez lui et à l’étranger. Il en profita pour «imposer» la 5e Constitution qui assura la continuité de l’Etat malmené par des crises ministérielles chroniques. De Gaulle, fort des pouvoirs de cette Constitution, en profita pour mettre fin à l’aventure coloniale quand il comprit que la Révolution algérienne finirait par triompher.
La question est que l’Algérie d’aujourd’hui ne ressemble ni aux Etats-Unis ni à la France. Pourquoi ce mimétisme ? L’expérience des autres peut être enrichissante, certes, mais le cas présent, outre que le pays ne ressemble pas aux deux pays en question, on ose ne prendre que l’aspect le plus antidémocratique : surévaluer le pouvoir de l’un et raboter au maximum les prérogatives de l’autre. Il faut plutôt puiser dans notre histoire et notamment depuis l’Indépendance. Il faut donc faire une analyse de ces périodes pour mettre en évidence les forces et les politiques qui ont fait glisser le pays vers des impasses et rendre hommage aux forces au sein du peuple dont les militants auraient aimé voir inscrit dans le préambule de la Constitution : «Nous, peuple d’Algérie, dont la résistance n’a jamais cessé contre les envahisseurs et dont le territoire a été libéré le 5 juillet 1962, est une République où la souveraineté du peuple s’exerce pleinement». Par les temps qui courent, je sais, nous savons que c’est un rêve. Pas tant que ça sur le long terme, car le 22 février 2019, personne ne croyait que Le fleuve détourné – de Rachid Mimouni) – allait retrouver son lit et dans sa furieuse colère, le peuple est sorti pour dire qu’il est vivant.
La mouture publiée fait référence à un changement de doctrine de l’armée algérienne quant à de possibles interventions à l’extérieur du pays. La question est si grave et si délicate que j’arrête ici cet article pour lui consacrer à un article à part. Elle soulève des paramètres de géopolitique et de souveraineté nationale d’une telle gravité qu’elle mérite des débats nombreux et sérieux.
A. A.
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