Réponse à Youcef Benzatat : le déni de réalité n’efface pas la réalité
Par Mustapha Madouche – Vous affirmez que les mots «Kabyle» et «Kabylie» sont de création française. Vous ne pouvez pas ignorer que votre nom, comme le mien et ceux de tous les Algériens, sont également de création française, parce que précisément francisés. Il en est de même pour les noms de toutes les villes et de toutes les régions d’Algérie. Est-il raisonnable de partir de ce constat pour insinuer que la Kabylie elle-même est de création française ? Bien sûr que non !
Malgré toutes les invasions subies par les Berbères, celle des Phéniciens et de leurs successeurs, les Puniques (de la fin du IIe millénaire avant J.-C. jusqu’à la destruction de Carthage en -146), celle des Romains (-146 à +439), celle des Vandales (439 à 533), celle des Byzantins (533 à 647), celle des Arabes qui apportent l’islam (la conquête est achevée au début du VIIIe siècle), celle des Turcs ottomans (début du XVIe siècle), et enfin celle des Français en 1830, malgré donc toutes ces invasions, disais-je, les Berbères sont toujours là ! Ceci démontre, si besoin est, que les peuples et les cultures ne disparaissent pas si facilement. Les Chaouis, les Kabyles, les Chenouis, les M’zab, les Touareg peuplent l’Algérie de l’est à l’ouest, du nord au sud. Cette réalité est à la fois visible et vérifiable.
Deuxième phénomène historique que personne ne peut nier, à moins d’être de mauvaise foi et, pour le coup, un vrai imposteur : les Arabes tout comme les Français ont colonisé l’Algérie et les autochtones sont les Berbères.
Je pense que vous n’ignorez pas, par ailleurs, qu’à peine 25% des musulmans sont des Arabes et qu’on peut être musulman sans être Arabe.
Vous avez récidivez dans un autre article ayant rigoureusement la même teneur et le même procédé que le premier, à savoir l’article dans lequel vous considérez Yennayer comme une «imposture berbériste». Là aussi, parce qu’il y aurait eu une erreur de date commise au début des années 1980 par un membre de l’Académie berbère, alors Yennayer ne devrait être fêté par les Algériens. J’espère que vous n’ignorez pas que Yennayer a existé bien avant l’Académie berbère qui n’a vu le jour qu’à la fin des années 1960 et que des «imposteurs» comme ce Berbériste qui aurait commis cette erreur de date, il y en a beaucoup.
Le début de l’année n’a pas toujours été le 1er janvier. Il semblerait que c’est en l’an 46 avant notre ère que l’empereur romain Jules César a décidé que le 1er janvier serait le Jour de l’An. Les Romains dédiaient ce jour à Janus, le dieu des portes et des commencements. D’ailleurs, le mois de janvier doit son nom au dieu Janus. Sous Charlemagne, l’année commençait à Noël, le 25 décembre. Du temps des rois capétiens, l’année débutait le jour de Pâques. Ce n’est que depuis 1622 que le Nouvel An est à nouveau fixé au 1er janvier. Une mesure prise par le pape pour simplifier le calendrier des fêtes religieuses. Dans d’autres pays, le début de l’année ne commence pas le 1er janvier. Les Chinois fêtent la nouvelle année entre le 20 janvier et le 18 février, les Tibétains à des dates variables chaque année, les juifs en septembre-octobre, etc.
Tous ces débats me paraissent sans importance. Ce qui est fondamental, voire vital, à mes yeux, est la soif de notre jeunesse dans sa recherche des traces de nos ancêtres.
A environ 2 kilomètres de mon village se trouve un grand rocher possédant une cavité dans laquelle sont dessinés quelques symboles. Ce qui est important, c’est que ce rocher soit vénéré par notre jeunesse, peu importe que ces symboles aient un sens ou non, peu importe qu’ils aient été griffonnés par un berger il y a un siècle ou par nos ancêtres il y a de cela un ou plusieurs millénaires. En un mot, votre raisonnement est à la fois absurde et dangereux. La Kabylie et les Kabyles n’existent pas parce que les mots «Kabylie» et «Kabyle» sont de création française, alors que vous-même écrivez et parlez en français et que votre propre nom est de «création française», c’est-à-dire francisé.
Ensuite, Yennayer ne devrait pas exister parce qu’il y aurait eu une erreur de date commise au début des années 1980 par Ammar Negadi, écrivain originaire des Aurès et membre de l’Académie berbère. Sur la base de cette erreur de date, vous effacez d’un trait une fête ancestrale. Quelles absurdités ! De quel côté est l’imposture ?
Tout le peuple algérien est berbère. Qu’il y ait des Algériens arabisés et d’autres francisés est un fait. Mais que les linguistes et académiciens développent et mettent à jour notre langue pour qu’on puisse l’enseigner à tous les enfants d’Algérie, c’est de cette manière et uniquement de cette manière que mes enfants et les vôtres vivront en harmonie dans le respect de leurs origines et ne s’opposeront pas, comme on est en train de le faire vous et moi. Parce que vous ne parlez pas berbère et je ne parle pas arabe.
Le déni de réalité n’efface pas la réalité.
M. M.
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