Héros de l’ombre
Par Mrizek Sahraoui – Ni le président français, Emmanuel Macron, qui a pourtant distribué des mercis urbi et orbi à n’en plus finir, ni le Premier ministre, Edouard Philippe, qui a été interpellé par une dizaine de personnalités signataires d’une lettre, dont le très médiatique docteur Michel Cymes et le scientifique, médecin généticien Axel Kahn, enjoignant le gouvernement à «reconnaître le sacrifice quotidien de ces soignants», aucun des deux n’a rendu hommage à ces médecins, héros de l’ombre venus d’ailleurs dont très peu en ont parlé.
Ou peu en parlent. Ces «médecins-là sont tunisiens, algériens, syriens, libanais, congolais…», sans la collaboration étroite et accrue desquels «non seulement nous ne pourrions pas faire face à la vague de Covid-19, mais mon service serait fermé», a déclaré, agacé, le docteur Mathias Wargon, chef des Urgences de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, au journal Le Monde.
Des praticiens étrangers à diplôme hors Union européenne (Padhue), en première ligne depuis le début de la pandémie, qui ont effectué un travail remarquable nonobstant leur statut précaire, les différences de traitement et les inégalités salariales criantes par rapport aux médecins français, paladins le temps d’une crise sanitaire dont le peuple a acclamé, à juste titre, le courage et la bravoure, après avoir été, pendant longtemps, eux aussi les laissés-pour-compte de la «start-up nation», mantra dont s’était prévalu Emmanuel Macron vantant le mérite à l’apogée de sa popularité, il y a bien longtemps.
Ils sont quinze sur dix-huit praticiens dans le service que dirige le docteur Wargon, mais ils sont entre 4 000 et 5 000 médecins pratiquant dans les hôpitaux français, en majorité originaires d’Afrique du Nord, avec un savoir-faire largement reconnu par leurs pairs. «En gros, ils font le boulot que les médecins français ne veulent pas faire mais sans la reconnaissance, ni la rémunération», a encore prêché dans le désert le docteur Mathias Wargon.
Ce dernier a toutes les chances de ne pas être entendu car les responsables politiques ne s’intéressent guère aux minorités invisibles qui jouent un rôle essentiel dans la vie économique, socioculturelle, et davantage dans le secteur sanitaire. Un fait divers relatant un délit commis par un mariole sur un guignol a fait réagir et susciter de l’émotion au plus haut sommet de l’Etat, bien plus que l’ont fait et été les actes héroïques de ces soignants étrangers.
«Ils sont en première ligne dans tous les services où il y a une énorme pénibilité du travail», a résumé Hocine Saal, vice-président du syndicat représentant les praticiens étrangers hors européens dans le quotidien parisien du soir. Leur salaire peine à dépasser le Smic. Le salaire d’un interne étranger est de 1 300 euros et 100 euros pour une garde quand un collègue français entame sa carrière à 3 900 euros et touche une prime de 200 euros la nuit de garde. Un scandaleux deux poids deux mesures du fait que ce sont ces médecins aux compétences reconnues qui ont aligné un chapelet de nuits de garde sans sourciller ; rappliqué les week-ends au grand dam de leurs familles et ont fait tourner les services des urgences au moment où le Covid-19 faisait régner la peur, le tout pour un salaire mensuel juste d’une poignée d’euros au-dessus du seuil de pauvreté.
C’est dire l’importance de ce dossier qui devrait être traité en urgence, non seulement pour services rendus mais aussi par respect du sacro-saint principe : «A travail égal, salaire égal», règle codifiée par l’article L. 2271-1, 8° du Code du travail français.
M. S.
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