Le comportement victimaire du Makhzen ou l’art de voiler le soleil avec le tamis
Par Houria Hanem(*) – En diplomatie, plus que dans d’autres métiers, les mots ont un sens. Parfois directs pour établir les faits et sanctionner un état d’esprit. Le plus souvent, volontairement édulcorés. En diplomatie, les actes ont une valeur. Ils consacrent l’attachement d’un peuple aux principes et idéaux qu’il revendique à travers ses représentants. Le fameux consensus tant recherché est alors la synthèse parfaite entre les mots et les actes.
De nos jours, les principes agréés au niveau des instances internationales et les faits bien établis sont ignorés ou bousculés par les puissants au profit de leurs objectifs hégémoniques. Des démentis futiles sont alors proposés par des autorités farfelues en panne d’argumentaire.
Les tentatives inutiles de la diplomatie marocaine de «voiler le soleil avec le tamis», en apportant un démenti des récentes insultes proférées à l’encontre de l’Algérie par le consul marocain à Oran, participe de cette politique délibérée de trifouiller l’information. Cette communication bâtie sur le mensonge et la posture victimaire ne parvient pas à polluer le sens définitivement hostile du vocabulaire du consul, triplement condamnable. D’abord, tout diplomate se doit de respecter le pays hôte, même et surtout ennemi. Ce sont des règles immuables stipulées par la Convention de Vienne, mais aussi des usages presque chevaleresques. Ensuite, s’agissant d’un Marocain qui s’adresse à ses concitoyens, il doit donner le bon exemple et leur recommander de demeurer polis et affables pour prouver la fraternité revendiquée, notamment par le chef hiérarchique du consul, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita.
A longueur de discours qui relèvent la gageure d’être aussi doucereux que persifleurs, il déclame la fraternité. La main tendue par un supposé élan du cœur est trahie par l’esprit belliqueux porté à l’écran par le vocabulaire irréfutable.
Enfin, et surtout, qui est l’ennemi de qui ? Un simple rappel factuel des graves violations récentes par le Maroc du code de la fraternité indique qu’au contraire, l’Algérie est victime d’assauts répétés. Inutile de remonter à 1963, à la fameuse Guerre des sables déclenchée par nos frères, dès l’indépendance donc.
Il suffit de se remémorer l’arrachage de notre étendard national du haut du consulat général d’Algérie à Casablanca, sans que s’élève ne serait-ce qu’une simple désapprobation des autorités marocaines officiellement très «fraternelles». C’est, d’ailleurs, la très officielle RFI qui rapporte la première cet incident entre frères, probablement par amitié désintéressée (1). Toujours vigilant, Algeriepatriotique commente la comédie du procès du jeune affidé du Makhzen, auteur de l’arrachage du drapeau algérien (3).
Les accointances avec tous les détracteurs professionnels de l’Algérie et le soutien au MAK, qui prône l’éclatement de l’Algérie, sont autant d’actes délibérément hostiles à l’Algérie.
Le mot ennemi ne souffre aucune ambiguïté. Il exige une réaction immédiate, adéquate : déclarer ce consul peu diplomate persona non grata. Au mieux, demander aux autorités marocaines de rappeler immédiatement leur représentant, c’est le moins que nous sommes en droit d’attendre de nos «frères». C’est apparemment ce qui aurait été requis par Sabri Boukadoum lors de l’entretien avec Nasser Bourita à la demande de ce dernier.
Précisément, cette sollicitation d’une conversation téléphonique entre «frères et voisins» administre, en elle-même, la preuve de la faute. Jamais, le ministre marocain n’aurait pris la peine de demander un entretien téléphonique avec son homologue algérien si le vocable «ennemi» n’avait pas été émis incontestablement.
Le subtil communiqué du ministère des Affaires étrangères, informant de la convocation de l’ambassadeur marocain à la suite des propos inamicaux du consul marocain à Oran, offre gracieusement tous les champs des possibles à nos «frères». Pourquoi diable permettre le doute sur l’énoncé du consul marocain, en ajoutant «si cela était établi» ? La vidéo est très claire : on entend le consul prononcer distinctement qu’il se trouve dans un «pays ennemi». Ce n’est même pas un écart de langage ; c’est une assertion. «Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément».
A juste titre, les médias, les parlementaires, les simples citoyens algériens ont tous eu la bonne réaction : le souhait d’une expulsion du diplomate marocain. A ceux qui seraient tentés de se montrer plus «cléments» avec le voisin de plus en plus acerbe, critique et agressif, il est nécessaire de leur rappeler qu’en diplomatie, c’est exactement comme pour le noble art, il n’y a pas de place pour les postures médianes. Par diplomatie, on peut choisir de revêtir des gants bien rembourrés, ou bien d’éviter le K.-O., mais en aucun cas se défiler et encore moins donner des points à l’adversaire fût-il un «frère». Le ring onusien offre le cadre idoine pour des combats à la loyale.
Nos frères marocains nous cherchent querelle car l’Algérie ne cède pas aux pressions en demeurant fidèle à ses principes fondateurs qu’elle a d’ailleurs défendus tant à New York qu’à Genève, et encore davantage à Addis-Abeba. Le Maroc attend de l’Algérie qu’elle piétine ses valeurs et l’aide à légitimer la colonisation du Sahara Occidental. Ce même Maroc a pourtant accepté de siéger à l’Union africaine (UA) aux côtés de la RASD. Mieux encore, le dahir (décret royal) entérinant l’adhésion du Maroc à l’UA, reconnaît de jure la RASD et a validé la signature du Président sahraoui – dûment enregistré dans le préambule de la constitution de l’UA, parmi les pères fondateurs, 39e signature.
Sans gêne aucune, ce même dahir encense les principes de l’UA (article 4) dont notamment le respect des frontières telles qu’existantes à l’indépendance. C’est incroyable mais vrai ! Et vérifiable (3). Le Maroc siège à l’UA avec la RASD et il accepte même de participer à des travaux présidés par un responsable sahraoui ou l’inverse. Dans le même temps, dans l’incohérence la plus totale, il exige de pays organisateurs de Sommets avec l’UA de bannir la RASD.
L’Algérie n’est pas l’ennemie du Maroc. Elle souhaite simplement que le droit s’applique au Sahara Occidental comme il a été appliqué au Timor Leste. Que le référendum d’autodétermination (le fameux «R» dans Minurso), se réalise rapidement et que ses résultats soient respectés. Faut-il rappeler aux amnésiques qu’à l’ONU, le Maroc faisait partie des coauteurs de la résolution de l’Assemblée générale qui réclamait de l’Espagne l’achèvement de la décolonisation de Saguia El-Hamra et Rio de Oro, c’est-à-dire le Sahara Occidental ? Le retournement de veste s’est opéré à la faveur de la maladie du Caudillo. Exploitant une situation de vacation du pouvoir, avant la désignation du roi comme successeur de Franco, le Maroc a investi la brèche. Ce n’est pas l’Algérie, mais la signature des Accords de Madrid en novembre 1975, dans l’illégalité et en violation du droit international, qui a généré le conflit du Sahara Occidental. Le peuple sahraoui n’avait pas accepté ce diktat.
Et l’Algérie, parce qu’elle soutient, sous toutes les latitudes, les principes sacro-saints du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, a été estampillée «ennemie du Maroc». Mais, au fait, le Polisario, ce n’est pas à Alger mais en Mauritanie qu’il a été créé le 10 mai 1973. Plus loin dans l’histoire, c’est le Maroc qui a demandé, en 1963, l’inscription du Sahara espagnol sur la liste des territoires non-autonomes de l’ONU. Bien sûr, avec des visées non-avouables, mais il a reconnu, ce faisant, que ce territoire n’était pas le sien, sinon la logique diplomatique aurait recommandé la revendication de ce territoire «marocain occupé par l’Espagne» et non pas le territoire de Saguia El-Hamra et Rio de Oro occupé par l’Espagne. Plus loin encore dans l’histoire, décidément féconde en faits têtus, précisément d’octobre 1957 à avril 1958, la France et l’Espagne mènent conjointement l’opération militaire «Ecouvillon» pour faire échec aux velléités expansionnistes du Maroc, fraîchement indépendant et déjà animé du fantasme complètement fou d’agrandir le Maroc en rognant un peu de l’Ouest de l’Algérie, en guerre, du Nord-Ouest du Mali, encore occupé, et en avalant carrément la Mauritanie pour rejoindre les rives du fleuve Sénégal, pas moins. Ce sont les livres d’histoire et les historiens français qui l’affirment, pas l’Algérie ou les Algériens.
De plus en plus loin dans l’histoire, en 1900, la France, qui occupe le Maroc, et l’Espagne, qui occupe le Sahara Occidental – Conférence de Berlin de 1885 – signent une convention délimitant les frontières entre le Maroc, l’Algérie et le Sahara Occidental. Ce sont celles-ci que le Maroc a héritées de la France en 1956. Puis, le Maroc réussira à annexer les régions de Tan-Tan et Tarfaya, suite à un accord avec Franco. Ce sont ces mêmes frontières qui sont reconnues par la Cour internationale de justice (CIJ), laquelle a définitivement jugé que le Maroc n’avait aucune souveraineté sur le territoire du Sahara Occidental et que – précision très importante – les tribus sahraouies n’avaient pas prêté allégeance au roi alaouite.
Il n’y a pas que le Sahara Occidental, territoire non-autonome objet du conflit qui oppose le Maroc à la RASD, qui est source de l’animosité marocaine vis-à-vis de l’Algérie. Beaucoup d’actes inamicaux s’y sont rajoutés. Parfois même avec la complicité de mercenaires internationaux, souvent francophiles de la gauche-caviar, amateurs de la dolce vita marrakchie. Un seul suffira à illustrer les objectifs destructeurs que nous nourrissent nos voisins : l’Algérie est volontairement inondée de cannabis marocain. Notre jeunesse est prise pour cible. Comment expliquer que des camions emplis de tonnes de cette drogue marocaine maléfique sillonnent en toute liberté les routes du Maroc, leader mondial du trafic de cannabis, donc rompu en principe à la surveillance de sa production, de son transport et de sa commercialisation ? Ces transporteurs passent les frontières terrestres comme une lettre à la poste. Heureusement que la plupart d’entre eux sont interceptés par notre gendarmerie à la frontière. Les saisies à Tlemcen et sa région sont quasiment quotidiennes.
Pour se rafraîchir la mémoire, les frontières ont été fermées par l’Algérie en réaction à la décision très peu fraternelle des autorités marocaines d’expulser du Maroc tous les Algériens, suite à l’attentat à Marrakech. En ce temps-là, été 1994, l’Algérie était elle-même en proie aux attentats terroristes et n’avait qu’un objectif : rétablir sa sécurité intérieure. Plus tard, l’on apprendra que les auteurs de l’attentat au Maroc étaient des Franco-marocains. Mais le mal était fait ; l’Algérie avait été offerte à la réprobation internationale. C’est tellement facile d’accuser le voisin !
L’Algérie a suffisamment de défis à relever pour ne pas s’encombrer de germes haineux à l’encontre de ses voisins. Depuis toujours, face à l’agressivité de roquets en mal de flagornerie à leur roi, les diplomates algériens tentent gardent leur sang-froid. Et c’est loin d’être facile car notre sang ne fait qu’un tour dès lors que nous sommes confrontés à la mauvaise foi et au déni de justice.
Depuis mes premiers pas en diplomatie, on m’a enseigné que l’Algérie fonde sa politique étrangère sur un «pentateuque» découlant de sa lutte pour la libération nationale : l’attachement à sa souveraineté nationale, le respect des frontières issues de la colonisation, le droit des peuples à l’autodétermination, la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays et le droit au développement, à la paix et à la sécurité pour tous les peuples. C’est notre bréviaire diplomatique.
Les références bibliques soulignent le choix d’œuvrer en conscience pour la paix, la fraternité et le vivre-ensemble, mais pas au mépris des droits des Palestiniens, des Sahraouis, de tous les Hommes victimes de crimes et de violations de leurs droits fondamentaux. Qassaman !
H. H.
Ancienne diplomate
(1) in Radio France Internationale : «Un manifestant marocain a réussi à se hisser, le vendredi 1er novembre, sur le toit du consulat d’Algérie à Casablanca, et en arracher le drapeau. Il a tenté de s’enfuir en l’emportant, mais il a été arrêté à sa descente par la police. Cet incident intervient dans un contexte de crise diplomatique entre les deux pays. Le Maroc a rappelé, le 30 octobre, en consultation son ambassadeur à Alger et la presse marocaine multiplie les attaques contre l’Algérie». L’on remarquera le traitement pro-marocain par anticipation en louant l’intervention louable de la police. Bien-sûr, l’information est délibérément orientée.
(2) Algeriepatriotique explique les fausses velléités de la justice marocaine.
(3) Journal Officiel du royaume du Maroc du 31 janvier 2017.
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