Discorde cordiale
Par Mrizek Sahraoui – Qui mieux qu’Emmanuel Macron pour secouer et réveiller l’Europe de la torpeur dans laquelle celle-ci est plongée ?
Pour ce faire, le chef de l’Etat français a voulu taper fort, associant à son initiative rien de moins que la chancelière Angela Merkel. Après plusieurs semaines de négociations, a-t-on appris après la conférence de presse par visioconférence, tenue, ce lundi, par les deux dirigeants, le couple franco-allemand a réussi à fignoler un plan d’aide à l’économie européenne de 500 milliards d’euros.
Inscrit pour l’heure dans le registre de la prévision avant d’être soumis aux autres membres pour approbation, ce plan de relance, porté sur les fonts baptismaux par Emmanuel Macron et Angela Merkel, vise à renforcer la solidarité européenne qui n’a pas vraiment été au rendez-vous au moment où le besoin s’en était senti.
Et ça, les Italiens, aussi bien les Espagnols d’ailleurs, les deux peuples à avoir consenti le prix fort en vies humaines à l’occasion de cette crise sanitaire mondiale, ne sont pas près de l’oublier, bien que l’Europe dans son ensemble, qui mit du temps pour se mouvoir, présentât «ses excuses les plus sincères». «Trop peu ont réagi à temps lorsque l’Italie avait besoin d’aide au tout début», avait reconnu la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, au moment où l’Italie enterrait ses morts par centaines.
Quoique lourdement impactée et la récession inéluctable, l’Europe n’a pas encore dressé le bilan induit par la pandémie. Les dégâts sont importants. Certains économistes n’excluent pas une montée fulgurante du chômage, pouvant aller jusqu’à 15% en France, et des faillites en série des petites et moyens entreprises, déjà en difficultés bien avant l’arrivée du Covid-19. «La croissance dans la zone euro pourrait s’établir de -5 à -12% cette année», a déclaré Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne.
Sitôt annoncé, ce plan a suscité les tirs croisés de l’opposition à Emmanuel Macron, «le pape de la promesse non tenue», a raillé un député de gauche. La première salve est venue de la France Insoumise (FI). «L’accord Macron-Merkel porte sur 500 milliards qu’il faudra rembourser dans le cadre des traités. C’est donc la promesse de futures politiques d’austérité comme celles qui ont fragilisé l’hôpital public. L’Europe est à la ramasse, il faut annuler la dette !» a pilonné un député insoumis des Hauts-de-France.
Si les médias ont accueilli avec enthousiasme cet accord franco-allemand provisoire, ce qui n’est pas une surprise en soi, rien ne peut, en revanche, garantir que les autres membres, dont certains ne sont pas sur la même ampleur de la gravité de la double crise sanitaire et économique, vont adhérer à la Weltanschauung du président Macron, soupçonné de préparer son «monde d’après», c’est-à-dire sa réélection à un second mandat, en 2022.
L’apparition du Covid-19 en Europe a mis, pendant quelques semaines, les contestations sociales en veilleuse et, bizarrement, fait taire les voix d’extrême droite et nationalistes, d’ordinaire promptes à réagir avec véhémence. C’est le manque de solidarité envers les pays qui étaient au bord de l’apocalypse qui a pris le dessus et ravivé le sentiment d’hostilité entre les Etats membres de l’Union. En sorte que l’Italie, dont la dette, après la crise du coronavirus, pourrait monter à 150% du PIB, a décidé de rouvrir ses frontières sans concertation avec les voisins et de régulariser les étrangers en situation irrégulière. Des pans entiers de l’économie italienne en dépendent.
Et cette nouvelle incursion velléitaire du président Macron – entrant en réalité dans un continuum bien défini –, que le Landerneau politique européen pourrait assimiler à une volonté d’accaparer indûment le leadership au niveau de l’Union, va probablement exacerber la défiance envers une UE en discorde cordiale, en permanence sur le fil.
M. S.
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