Interview – Jacob Cohen : «Le régime marocain n’aura rien à refuser à Israël»
Algeriepatriotique : La désignation de dix ministres d’origine marocaine dans le gouvernement israélien a suscité de nombreuses interrogations. Est-ce la preuve qu’une sorte d’alliance «secrète» a été tissée entre Rabat et Tel-Aviv ?
Jacob Cohen : Les autorités marocaines, à l’instigation d’André Azoulay, conseiller de la monarchie depuis 40 ans et probable agent du Mossad, tentent de maintenir la fiction d’une communauté juive marocaine expatriée, à 99,5% tout de même, restée fidèle à son ancienne patrie. Cela aurait fait un pont supplémentaire entre le Maroc et les Israéliens d’origine marocaine. Or, il n’en est rien. Et cette fiction permet de couvrir les relations souvent clandestines d’une illusion de dialogue historique pour la paix et la coexistence. Dans cette optique, le Maroc s’enorgueillirait d’avoir dix anciens Marocains dans le nouveau gouvernement sioniste – on a les fiertés qu’on peut – dont un ancien chef de Tsahal, dont on peut imaginer la haine vis-à-vis de tous les Arabes. Les autorités marocaines font preuve d’une belle naïveté, accoutumées qu’elles sont aux déclarations creuses et enflammées. Comment répondraient-elles, en effet, lorsqu’Israël exigera concrètement les milliards de dollars en contrepartie des biens prétendument extorqués aux juifs marocains ayant quitté leur pays ?
Des voix s’élèvent au Maroc pour dénoncer un rapprochement insidieux entre le régime monarchique de Mohammed VI et Israël, via des événements culturels, religieux et touristiques déguisés, selon des observateurs au Maroc qui y voient une normalisation qui ne dit pas son nom avec l’entité sioniste. Qu’en est-il ?
De fait, le Maroc de Hassan II a ouvert ses portes au Mossad et à l’agence juive dès 1961 pour permettre à des dizaines de milliers de juifs de quitter le pays pour Israël en se dispensant même d’avoir des documents administratifs. Dès cette date, le Maroc s’est tourné résolument vers la France et l’Amérique, applaudissant secrètement à la défaite de Nasser. Cette alliance incluait nécessairement le régime sioniste. En 1986, à l’instigation d’André Azoulay, Hassan II a reçu ouvertement et chaleureusement Rabin et Pérès qui étaient en train d’écraser l’Intifada. Mais le peuple marocain reste profondément hostile à une normalisation officielle avec le régime sioniste. Alors, on l’habitue progressivement à la présence israélienne par la musique (orchestre andalou israélien) les pèlerinages et la coopération agricole. A ma connaissance, le Maroc est le seul pays arabe qui a accueilli officiellement le Projet Aladin, monté par André Azoulay en 2012, pour «sensibiliser les populations musulmanes au drame de la shoah» ; en fait, pour produire de la sympathie pour Israël et interdire toute critique sous prétexte de résurgence de l’antisémitisme. Oui, des voix s’élèvent contre cette normalisation insidieuse mais, à mon avis, irréversible car le Maroc a besoin de l’Amérique, pour le Sahara notamment, et quand on a besoin de l’Amérique, il faut faire les yeux doux à Israël.
Une nouvelle crise a éclaté entre Alger et Rabat à cause de propos jugés hostiles tenus par le consul du Maroc à Oran, lequel a qualifié l’Algérie de «pays ennemi». Provocation préméditée ou simple lapsus, selon vous ?
Le Maroc et l’Algérie sont-ils condamnés à être des ennemis perpétuels ? C’était mal barré dès 1963 et la Guerre des sables. A l’époque, le monde était divisé en deux camps antagonistes. L’Algérie du côté révolutionnaire et le Maroc fidèle à l’Occident. Des tentatives étaient faites par chaque camp pour déstabiliser l’adversaire, même au sein du monde arabe, soi-disant uni derrière la Palestine. Ces années de guerre idéologique plus que larvée ont planté le décor d’une opposition irréductible suite à l’affaire du Sahara Occidental en 1975, avec les conséquences économiques, commerciales et humaines que l’on sait. Le problème, au fond, est celui d’une concurrence régionale acharnée pour empêcher que le voisin prenne de l’ascendant. A défaut de trouver un arrangement, chaque pays peut trouver son compte dans l’existence d’un ennemi extérieur. Ceci pour revenir aux propos du consul du Maroc à Oran. Un épiphénomène qui répond à la nature des relations en dents de scie, avec des piques, des hauts et des bas, mais sans aller à une solution extrême qu’aucun pays et la communauté internationale ne souhaiteraient.
Les médias marocains ont étrillé l’agence de presse gouvernementale algérienne pour avoir accusé le Makhzen de recourir au lobby sioniste au sein de l’UE pour s’en prendre au pouvoir en Algérie, estimant que le commentaire de l’APS serait «antisémite». Le lobby sioniste a-t-il ainsi trouvé la parade pour éviter toute critique ?
Le Projet Aladin, que je viens d’évoquer, fait partie de cet édifice qui terrorise les critiques en invoquant «l’antisémitisme». L’Amérique et la plupart des pays européens ont adopté la définition de l’antisémitisme fournie gracieusement par un lobby judéo-sioniste et qualifiant d’antisémite toute critique excessive d’Israël. Que des médias marocains recourent à cette arnaque montre à quel point ils sont complices du système et incidemment de la normalisation. Dans cette affaire, on peut supposer que l’intérêt national ou le «patriotisme» les aient poussés à faire feu de tout bois et à reprendre à leur compte les méthodes les plus sournoises des sionistes. C’est pathétique. En tout cas, le lobby sioniste mondial a trouvé une parade extraordinaire avec «l’antisémitisme» pour donner un chèque en blanc à Israël. Figurez-vous que le mouvement BDS est quasiment interdit en Occident parce qu’il serait «antisémite». C’est très grave.
Qu’est-ce que le régime monarchique de Rabat escompte en retour de sa position en demi-teinte vis-à-vis de la question palestinienne ?
On l’a vu, le régime monarchique n’aura rien à refuser à Israël. Mais il y a l’opinion publique nationale et arabe. Ça compte. Alors, on peut faire quelques gestes, en ayant par avance informé les pays amis que c’est juste pour la symbolique. Rappelons tout de même – quelle farce – que Hassan II a créé le comité Al-Qods dès 1969 pour préserver son caractère arabe et musulman. 50 ans après, 250 000 colons sionistes sont fortement installés dans les anciennes régions arabes entourant Al-Qods.
Le roi du Maroc subit-il des pressions à l’intérieur du Makhzen pour aller dans le sens des intérêts d’Israël et des puissances qui le protègent ?
Certainement. Il y a d’abord cette présence d’un banquier juif international d’origine marocaine devenu au début des années 80 – par quel canal ? – conseiller du roi, Hassan II puis Mohammed VI. C’est lui qui impose en interne toutes les manifestations artistiques, religieuses, touristiques, communautaires, pour rendre normale la présence sioniste au Maroc. C’est lui aussi qui est à l’origine du Projet Aladin au Maroc. Mais à l’intérieur du Makhzen, il y a d’autres forces qui poussent le roi dans ce sens. L’ouverture économique à l’international du Maroc, qui n’existait pas sous Hassan II, crée un lobby affairiste puissant favorable à Israël. On ne doit pas oublier que tous les grands milieux internationaux en matière de médias, de banque, de diplomatie, de publicité, de cinéma, sont fortement infiltrés par les sionistes. Tout ce monde possède un levier formidable sur le Makhzen et son roi.
Le Maroc entretient des relations conflictuelles larvées avec l’Algérie, les Emirats arabes unis, l’Arabie Saoudite, le Qatar, etc. Comment expliquez-vous cette attitude antagoniste ?
Je crois qu’on peut séparer l’Algérie des monarchies. Avec la première, c’est le conflit permanent et irréductible. Avec les secondes, cela dépend des périodes et des circonstances. Le Maroc a tout de même été pendant longtemps l’allié indéfectible de ces monarchies. Cela me paraît conjoncturel et peut-être dû aussi à un intérêt accru de la diplomatie marocaine pour l’Afrique subsaharienne.
Interview réalisée par Karim B.
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