Les mensonges de la question identitaire en Algérie
Par Dr Arab Kennouche – Alors que l’Algérie traverse une crise politique sans précédent, de nombreuses plumes interviennent ici et là pour entretenir le feu ardent de la dissension voire de la fitna dans la nation. Au-delà des imprécisions conceptuelles graves et des atteintes à l’histoire de l’Algérie, ces auteurs, sous couvert de nationalisme authentique, invoquent l’exclusivité d’une identité sur une autre, soit celle de l’arabe qui conduit à un arabisme forcené, soit encore l’amazighité, qui débouche sur un berbérisme exclusif de la dimension arabe de l’Algérie. Or, les données historiques, linguistiques, anthropologiques et culturelles démontrent qu’il n’est plus possible de penser la question identitaire en des termes manichéens comme le font nos fameux auteurs qui oublient certains aspects pragmatiques incontournables de la question arabo-berbère en Algérie.
Il n’est, en effet, plus possible de séparer la culture arabe de la culture berbère en Algérie. Nos auteurs encore non totalement conscients de leur intention purificatrice parviennent finalement à travestir la réalité en opposant des «cultures» sur le plan politique et idéologique, alors que ce sont des faits positifs irréfutables d’unité qui se présentent à nos yeux. Quels sont donc ces mythes de la discorde ?
Le premier grand mythe consiste à entretenir l’idée que tous les Algériens ou une grande partie d’entre eux seraient des Berbères arabisés. L’influx arabe serait si faible que, finalement, tous les Arabes sont des Berbères parlant la langue du Golfe. Cette idée est fausse car les données historiques démontrent qu’il y a bien eu des apports de populations arabes par phases successives sur le vaste territoire de l’Afrique du Nord, qui était dépeuplé dans l’Antiquité. De grandes tribus arabes se sont installées durablement, ce qui explique l’arabisation de l’Algérie. L’arabisation est un fait historique et non une campagne idéologique. Ce qui explique pourquoi tant de tribus arabes des hauts-plateaux algériens se reconnaissent dans leurs ancêtres et que l’idiome arabe se soit répandu dans de vastes portions du territoire. Si l’Afrique du Nord a été si profondément arabisée, ce n’était pas au détriment des territoires berbérophones, aussi vastes que les peuples pouvaient cohabiter sans problème majeur. Les Arabes n’ont pas plus envahi la Numidie que les Romains, les Phéniciens, ou les Turcs, ces peuples ayant toujours cohabité avec les Berbères. Dire que nous sommes tous des Berbères arabisés est un mensonge entretenu par le discours berbériste. Ceci voudrait dire qu’il n’y a jamais eu de Romains d’Afrique, de Phéniciens d’Afrique, de Turcs d’Afrique, de Français d’Afrique, d’Arabes d’Afrique. Encore une fois, le concept de Romain d’Afrique n’est pas une vue de l’esprit. Sinon, Albert Camus serait un Berbère francisé.
Le deuxième grand mythe consiste à occulter un fait majeur, l’émiettement des parlers berbères et l’impossibilité d’une intercompréhension entre Amazighs, au point où l’on aurait perdu la trace de la langue mère qu’il faudrait désormais reconstituer. Personne ne peut remettre en question l’origine berbère de l’Afrique du Nord et la parenté indéniable de langues berbères parlées des Îles Canaries jusqu’aux confins de l’Egypte. Mais vouloir reconstituer une langue avec des parlers aussi divers que les Targuis ne comprennent plus les Kabyles, relève encore de l’impossible. Ceux qui clament l’amazighité à tue-tête comme une langue qui va ressusciter sur toute l’Afrique du Nord, tiennent un discours fallacieux et trompeur. Pour prendre un autre exemple, cela reviendrait à vouloir ressusciter le latin vulgaire, pour que les Portugais, les Espagnols, les Italiens, les Français puissent se reparler dans la même langue. Ajouter à cela que le berbère n’a pratiquement aucune ou peu de littérature écrite, comparé au latin, nous voyons toute la dimension du problème. Sans parler encore du problème de la modernisation de la langue non encore définie. Tamazight transnationale est plus une chimère idéologique qu’un projet réalisable. Ceux qui disent le contraire et tablent sur tamazight transafricaine sont tout simplement inconscients des difficultés de l’entreprise.
Enfin, un troisième mythe qui concerne les arabistes purs et durs. Il consiste à lier la langue arabe à l’islamisme plus qu’à l’islam de la prophétie. Ceux qui cesseraient de parler l’arabe porteraient atteinte à l’islam. Or, les déchirements de la scène politique au Proche-Orient ne leur ont pas encore servi de leçon : en tout cas, les morts du Yémen, de Syrie et de Libye n’ont pas eu à désapprendre l’arabe et apprendre tamazight pour mourir. On peut répandre et faire le mal en arabe. Il n’y a pas d’exception. Parlant la même langue pure de la péninsule, les Arabes du Golfe se massacrant les uns les autres donnent peu de relief aux idéologues de l’arabisme en Algérie qui veulent absolument effacer toute trace de berbérité pour ne pas paraître impies devant Dieu. Or, les Algériens ont bien compris cette-fois-ci, depuis le FIS et le clan, que la langue arabe n’est pas un rempart contre le péché et le crime. Surtout, il ne doit pas être le référent identitaire de l’islam bien compris et tolérant, comme le souhaite tous les partis islamistes en Algérie nés de la vulgate d’Ibn Taymiya et d’Abdelwahab.
Dans ce sillage, il faudra dorénavant que les Algériens fassent preuve de bonne disposition d’esprit avant tout, d’intelligence pragmatique et éviter les dérapages. Il faut avant tout penser en termes d’unité nationale, penser la langue comme instrument de l’unité nationale et non pas comme un référent identitaire exogène, qu’il soit historique ou lié à une religion sécularisée, comme l’islam des Al-Saoud. Faire preuve de pragmatisme et de bonne foi et ne plus vendre des chimères au peuple, comme si les Berbères n’avaient jamais existé, ou bien que la présence arabe en Algérie n’est que partielle. Tout le monde a le droit à l’erreur, si celle-ci provient d’une bonne disposition d’esprit, et même Boumediene en avait, lui qui voulait avant tout préserver l’unité nationale. Aujourd’hui, tous les Algériens se reconnaissent dans l’arabe algérien ; c’est la langue qui les unit. Mais une langue n’unit que si les cœurs le veulent bien, car Dieu ne juge que par les intentions et certainement pas par l’usage d’une langue plus que d’une autre.
A. K.
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