Le reportage clandestin de France 5 sur le Hirak provoque un séisme en Algérie
Par Abdelkader S. – Le reportage de la chaîne publique française France 5 sur le mouvement de contestation populaire en Algérie, diffusé ce mardi soir, a provoqué un véritable séisme en Algérie. Et pour cause. Le réalisateur, Mustapha Kessous, s’est complètement emmêlé les pinceaux, trempant les pesanteurs sociétales dans la revendication éminemment politique du Hirak dont il a complètement dévié la trajectoire.
Le reportage, qui semble avoir été filmé quelque temps à peine avant sa suspension pour cause de crise sanitaire mondiale, ne sert pas la révolte de la jeunesse qui y est montrée comme une catégorie dépravée, portée sur l’alcool et les mœurs gotiques extravagantes. On y voit des filles, à peine sorties de l’adolescence, fumant et consommant des boissons alcoolisées à visage découvert, si bien qu’on se demande si les «figurants» qui ont accepté d’apparaître dans ce documentaire n’ont pas été «remerciés» pour leur prestation par un aller sans retour en France.
Il est difficile de croire, en effet, qu’en s’étant ainsi exposés sans floutage, les participants à cette mise en scène grotesque puissent continuer de vivre «normalement» au sein d’une société dont ils critiquent, justement, le caractère rigide, sclérosé, fermé. Or, les millions d’Algériens qui se sont soulevés contre le cinquième mandat de Bouteflika, le 22 février 2019, n’ont aucunement intégré le débat social dans leur démarche concentrée sur l’exigence d’un changement radical de régime.
Animé par Marina Carrère d’Encausse, médecin convertie au journalisme politique, le débat, qui a suivi le reportage très critiqué sur les réseaux sociaux en Algérie, bien qu’il ait quelque peu rectifié le tir par sa pertinence, grâce notamment aux interventions de Madjid Zerrouky, journaliste au quotidien Le Monde, et d’Amel Boubekeur, sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), n’a cependant pas été suffisant pour corriger l’hétérodoxie – voulue ou maladroite – du documentaire dont de nombreux internautes en Algérie estiment qu’il est «contre le Hirak».
Mustapha Kessous, qui admet avoir tourné les images de façon clandestine, a abordé le très sensible thème de la condition féminine en Algérie et des restrictions imposées par une société par trop conservatrice à des jeunes qui veulent briser les lourds tabous qui les étouffent. Si le reportage peint une facette qui existe réellement en Algérie, c’est le contexte de leur révélation qui fait s’interroger les Algériens stupéfaits par la crudité des propos d’un certain nombre de jeunes interviewés, qui contraste avec la pertinence et la sobriété des témoignages d’un jeune avocat, d’une jeune psychiatre, d’un jeune ingénieur au chômage et d’une technicienne de cinéma dont le père a été lâchement assassiné par les terroristes en 1996.
Cette incrustation – inadaptée ou délibérée – a faussé la trame du film documentaire décousu, équivoque et hyperbolique. Un documentaire où on passe du politique au social et vice-versa indistinctement, confondant régime politique antidémocratique et chape de plomb communautaire qui bride la jeunesse empêchée de s’épanouir, c’est-à-dire, dans l’esprit du reportage, de boire de l’alcool librement, de vivre en couple sans mariage ; bref, de s’adonner à une jouissance effrénée sans limites. Pourtant, ce ne sont pas les lois qui interdisent de tels comportements, mais le conservatisme d’une société de plus en plus traditionaliste, voire fondamentaliste.
Il en est ainsi du témoignage de ces femmes «plus surveillées que les hommes», qui ont «moins le droit à l’erreur», «souvent agressées peu importe le milieu», «sous tutelle à vie» et priées de «rentrer chez elles car leur place est dans la cuisine». Une triste réalité que, paradoxalement, le régime politique dénoncé a tenté de combattre mais en vain, en raison d’une résistance farouche des islamistes dont ces mêmes femmes saluent pourtant la présence «à leurs côtés» au sein du Hirak.
Une antilogie parmi de nombreuses autres dans ce travail journalistique qui peine à regarder «Le monde en face» – l’émission s’appelle ainsi – sous un angle libéré des vieux clichés empruntés à l’imposteur Jean-Baptiste Rivoire.
A. S.
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