France 5 : règlement de comptes entre le passif colonial et la Révolution armée
Par Youcef Benzatat – Le documentaire proposé ce mardi 26 mai par France 5, un média public français, intitulé «Algérie, mon amour» et qui se veut une rétrospective du Hirak, a recueilli la désapprobation unanime des Algériens sur les réseaux sociaux. Pire encore, il a été accueilli comme un coup de poignard dans le dos du Hirak et de l’Algérie en général, que lui aurait affligé l’ancienne puissance coloniale.
Par sa rhétorique simpliste, il avait du mal à dissimuler un discours nostalgique de l’Algérie française, tellement éculé et brandi à chaque crise qui frappe son jardin perdu à la suite d’une longue et rude confrontation à la résistance du peuple algérien pour restituer sa souveraineté nationale.
Le parallèle est vite fait entre la souffrance du peuple algérien sous le régime de l’Algérie française et celui de l’Armée nationale populaire. Confondant sans aucun recul des généraux corrompus dans la haute hiérarchie militaire avec l’ensemble des officiers composant le noyau dur de la structure de cette armée qui est dévouée à la préservation de la paix civile et à la souveraineté nationale avec une conscience patriotique qui n’a rien à envier à l’esprit des combattants de l’ALN. C’est dire que c’est toute l’armée qui est incriminée et non pas ces quelques généraux ripoux, qui sont eux-mêmes pris en otage par l’ancienne puissance coloniale, par sa complicité dans des affaires de corruption d’Etat et de blanchiment d’argent à grande échelle. Censurant une dimension essentielle de la contestation du Hirak, qui est la lutte contre le néocolonialisme et ses agents locaux au sein du pouvoir.
C’était l’occasion aussi pour délégitimer le FLN historique, celui qui a organisé et exécuté l’une des révolutions les plus vertueuse du XXe siècle, qui a changé la face du monde et permis aux peuples asservis d’émerger de la nuit coloniale. Le FLN est, ici, présenté comme une institution qui a libéré le pays pour sitôt le confisquer à son peuple. Confondant là aussi le glorieux FLN de la Guerre de libération nationale avec sa perversion par des usurpateurs qui en ont fait un moyen d’appropriation du pouvoir et de pillage des richesses de la nation. Un FLN bis dans lequel aucun Algérien de bonne foi ne se reconnaît et dont les défenseurs des principes de l’authentique FLN ont été écartés, réprimés, voire éliminés par ces mêmes corrompus qui confisquent l’indépendance nationale.
La rhétorique apparaît d’emblée bien huilée et rien n’a été laissé au hasard. Le mot d’ordre des propagandistes extrémistes, islamistes et identitaires, distillé pendant le Hirak, qui consistait à incriminer l’armée en tant qu’institution, «généraux à la poubelle et l’Algérie aura son indépendance», sera repris sans aucune nuance et confondu sournoisement avec la revendication d’un «Etat civil et non militaire», entonné prudemment et lucidement par le peuple pendant les manifestations. Cette confusion, qui consistait à dupliquer sournoisement les thèses des idéologies extrémistes, religieuses et identitaires, ne visait pas moins qu’une autre confusion, celle de vouloir dire que la «colonisation» du FLN/ALN n’a rien à envier, elle aussi, à la colonisation de l’armée française.
Il en est de même pour l’attribution au pouvoir militaire de la répression des libertés des mœurs, qui est en réalité une répression de la société contre elle-même et que ce dernier instrumentalise pour la maintenir dans une conscience pré-politique. Cette aliénation se caractérise par un état mental propre aux structures sociales patriarcales qui empêche l’émergence d’une citoyenneté potentiellement porteuse de revendications politiques et sociales révolutionnaires. Dans le documentaire, l’échantillonnage du militant type du Hirak est faussement campé par des personnages atypiques à la limite de la marge de la société. Une exagération qui dissimule la lente émancipation de la société algérienne, longtemps maintenue hors de la modernité et de la contemporanéité du monde par plus d’un siècle de marginalisation et d’avilissement par le régime colonial et aggravée par le régime liberticide qui lui a succédé au tournant de l’indépendance nationale.
En réalité, la grande masse du peuple s’est fondue dans le Hirak pour sa souveraineté législatrice, l’indépendance de la justice pour mettre fin à la corruption et au pillage des richesses nationales par le pouvoir et ses complices néo-colonialistes et, notamment, pour une véritable justice sociale. La revendication de la modernité, de la Laïcité et de la liberté des mœurs est une affaire des élites, dont les préoccupations sont loin de celles de la grande masse du peuple.
Par ce dévoiement du Hirak et son orientation vers un règlement de comptes entre le passif colonial et la Révolution pour la libération nationale, l’auteur de ce documentaire et ses commanditaires se rendent coupables de manque de respect pour un peuple qui essaye de se reconstruire après plus d’un siècle de mépris colonial et plus d’un demi-siècle de brimades postcoloniales, et de tentative de semer la confusion et le ressentiment entre ses membres pour la suite de ce mouvement populaire enclenché depuis le 22 février 2019.
Y. B.
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