A propos des Etats-Unis et d’autres colosses aux pieds d’argile !
Par Ali Akika – On a l’habitude de dire que la «santé» d’un pays se mesure à la nature de son régime politique, à son niveau de vie, à son école, à la place de la femme. Avec le Covid-19 qui a sidéré le monde, on découvre un facteur négatif qui renseigne sur la mauvaise santé d’un pays. Celle-ci est symbolisée par certains paradoxes. Aux Etats-Unis, pays riche et puissant, le rêve américain se transforme en cauchemar. L’Union européenne, bâtie sur la solidarité, s’avère être le foyer de l’égoïsme national. Enfin, l’Algérie, notre cher pays, voit qu’une richesse de la nature s’est transformée en malédiction pour son peuple.
Ces vérités qui éclatent au grand jour, on les doit au coronavirus dont le seul «mérite» a été de révéler le colosse aux pieds d’argile qui sommeillait derrière la vitrine de la plupart des pays dans le monde. Ainsi, malgré le tsunami qui a balayé tout sur son passage, on voit ici et là les chantres du libéralisme accrochés à leurs certitudes, à leurs dogmes, à leur naïveté nous conter fleurette de la mondialisation qui aurait sorti de la misère plus d’un milliard d’hommes. Les mêmes chantres observent un silence des cimetières et détournent leurs regards du véritable scandale de ladite mondialisation. Les victimes de cette économie «new age», à l’intérieur de chaque pays et sur l’échelle internationale, on leur fait payer la facture au nom d’une sorte de fatalité du monde moderne. Un monde qui déclenche des guerres, attiré par l’odeur alléchante d’un carburant. Des guerres qui se traduisent par des centaines de millions de morts et les rescapés deviennent des réfugiés.
Si, par ailleurs, l’on ajoute les ravages infligés à la nature qui affament et assoiffent les peuples errant sur les routes d’un exil sans retour, que pèsent les miettes de la mondialisation à côté de la tragédie des peuples ? Ceux qui ont la mémoire courte chantent toujours la même chanson de la prospérité, mielleuse dans la forme pour mieux cacher le venin qui empoisonne la vie des gens. Ils ignorent souvent que leur chanson a été écrite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale quand l’Europe dévastée vit une pluie de dollars du plan Marshall lui tomber dessus. L’Europe connut alors sa période dite des Trois Glorieuses.
Période glorieuse qui n’effaça pas la misère, ni les guerres du XXe siècle. Des hommes, des penseurs voyaient sur le tableau des laudateurs une tache noire qu’ils nommèrent paupérisation des classes populaires. Concept vite enterré par la soudaine et relative «prospérité» qui séduisait les enfants du Coca-Cola de l’Oncle Sam. Et ces mêmes enfants se chargèrent ensuite de transformer le mot paupérisation en précarité moins âpre musicalement. Ce langage prépara la venue de Thatcher et Reagan dont l’ultralibéralisme devint la religion des régimes dits libéraux. Les chômeurs sont alors qualifiés par ce nouveau langage de «paresseux» qui ne veulent pas travailler.
Avec le surgissement du volcan silencieux et invisible du coronavirus à l’automne 2020, les petits soldats de la mondialisation ont mis un bémol à leur musique et acceptent du bout des lèvres de revoir leur copie et d’introduire quelques petits aménagements à leur cher système. Ils espèrent ainsi éviter l’apparition d’un autre volcan bruyant et visible différent de celui qui s’attaque aux corps fragiles des humains. Ce volcan est celui de la colère sociale, des femmes et hommes qui veulent ramener à la raison les centres de cet «Etat profond» difficile à localiser et inamovible. Cet Etat prend des décisions politiques et économiques qui impactent la vie des gens et du pays. Puis, peu à peu glisse vers d’autres horizons et devient un colosse aux pieds d’argile. Résultat des courses, les victimes se recrutent parmi les classes populaires (salariés de l’industrie et catégories des classes moyennes).
Colosse aux pieds d’argile, ce paradoxe est une expression biblique qui invite à ne pas se laisser berner par l’apparence des choses. Si l’humanité s’était contentée des apparences des choses, l’esclavage serait encore la norme des sociétés sous la bonne garde des spartiates grecs ou des légions romaines avec la bénédiction des Platon et des Cicéron. Inutile d’énumérer les ingrédients des puissances du monde d’aujourd’hui. Leurs richesses s’étalent chaque jour partout et font de nous des envieux de ces richesses ou bien des enragés lucides devant le spectacle des injustices. J’emprunterai à ce spectacle des images et des anecdotes qui disent souvent plus de vérités sur notre monde. Aux Etats-Unis, contrées du rêve américain, on apprend que les Mac Donald n’arrivent pas à satisfaire leurs clientèles dans leurs réputés restaurants.
La raison ? L’économie est à l’arrêt. Pas assez d’abattage de bovins, nous dit-on, et insuffisance de transport pour approvisionner ces gloutons restaurants. Ainsi, avec le dieu dollar, l’Américain ne peut plus, à cause du coronavirus, s’offrir un sandwich pour soulager sa faim. Lui, citoyen d’un grand pays qui avait l’habitude de bousculer tout obstacle qui se mettrait sur la voie royale du dollar, une monnaie qui permet d’acheter tout, même les âmes. Un vidéaste américain a dû trouver ubuesque cette situation. Alors il a filmé une scène où les clients paient leur hot-dog avec du papier toilettes. Ce vidéaste a eu plus d’imagination que les économistes qui ont inventé l’image de la monnaie de singe quand un pays croule sous l’inflation. La peur de la pénurie du papier hygiénique a rendu dépressifs des gens quand le dollar dont ils sont fiers a été détrôné par le vulgaire papier de toilette, selon les images du taquin cinéaste-amateur.
Il y aura sûrement un(e) psychanalyse qui fera une étude sur cette dépression made in coronavirus, sachant que l’argent est «assimilé» aux matières fécales, selon le bon docteur Freud.(1) Un pays dont la monnaie fait la loi dans le monde entier mais n’assure plus à ses citoyens la garantie de s’offrir leur plat national. Ce genre de paradoxe nous fait dire dans notre for intérieur, mon pauvre monsieur tout fout le camp ! Et ce paradoxe côtoie un autre, celui de la Bourse de Wall Street qui, elle, continue de s’envoler dans les cieux. Pendant que la Bourse fait la fête, l’industrie agroalimentaire fait triste mine.
De quelle nature est-t-il ce spectacle où l’on voit la Bourse danser et rire en se gaussant des pauvres qui font la queue devant les Mac Do ? Quelle est l’énigme de ce lamentable spectacle ? La Bourse jubile car elle sait que les milliards débloqués par le gouvernement fédéral vont échouer dans sa besace par des mécanismes dont elle a le secret. Beaucoup de ces milliards vont se perdre dans les méandres de la spéculation toute «légale». Ensuite, une partie des quelque 20 à 30 millions de chômeurs vont se remettre un jour au boulot et le génie de la finance va guider cet argent, selon la maxime «l’argent va à l’argent» ou bien «on ne prête qu’aux riches». Mais les sorciers de la finance peuvent tomber sur un os. Le Covid-19 a mis la pagaille au cœur même du système et a mis à mal des alliances géopolitiques les plus solides.(2)
Comme le capitalisme ne jure que par le court terme, dixit Keynes, tout le contraire de la nature et de l’art de la guerre, un simple krach boursier peut les envoyer dans le trou sidéral où n’existe ni temps ni lumière. Oui, nos financiers sont l’exacte image de Spinoza qui écrivit : «L’homme est maître de l’espace mais impuissant devant le temps.» Un autre cerveau a justement mis à jour la relation entre l’espace et le temps, appelée théorie de la relativité générale. Ainsi, à vouloir passer outre l’avertissement des deux savants, la finance, en compressant le temps et en se manquant(moquant) des frontières physiques grâce à Internet, risque un jour de le payer cher. L’anecdote/humour du Mac Donald en manque de viande et de transport dans l’espace physique est un avant-goût des futurs déboires de cette mondialisation financiarisée. Et dans cet espace et ce temps de notre monde à nous, l’Homme a découvert un outil pour créer et reproduire de la richesse. Il a pour nom le travail. Et cette richesse avait besoin de la monnaie pour faciliter les échanges physiques des produits. Mais le génie maléfique de nos sorciers a inventé une technique, celle de la bulle où circule de l’argent fictif, laquelle bulle peut exploser la machine boursière au moindre grain de sable.
Pour la majorité des pays, la mondialisation, dont je viens de survoler l’univers, leur échappe. Un pays comme l’Algérie, prisonnier du pétrole/gaz dont la rente fond au «soleil» d’un marché pétrolier de plus en plus erratique, est l’un des pays pétroliers les plus fragilisés. La rente d’un sol riche, ça eut payé quand l’agriculture jadis était la seule et noble activité économique.
Aujourd’hui, ce genre de rente ne pèse pas lourd devant la puissance de la valeur ajoutée du travail. Il ne reste donc au pays que de se lancer dans des productions qui créent de la richesse par le travail concret et le travail abstrait. (3)
A. A.
(1) Article de Freud en 1917 où le père de la psychanalyse étudie le rapport entre l’argent roi (qui n’a pas d’odeur) et la psychanalyse.
(2) Le dollar est déjà attaqué par les pays du Brics. La Chine travaille sur une monnaie électronique basée sur l’or pour ses échanges avec l’extérieur. Rappelons les GAFA de la Silicon Valley pensent aussi à une monnaie électronique. Rappelons aussi que des monnaies locales existent ici et là en France adossées à un réseau coopératif ou associatif. Les financiers de Wall Street n’ont qu’à bien se tenir et les banques créatrices de monnaies s’inquiètent face cet éventuel concurrent invisible et potentiellement redoutable.
(3) Travail concret et travail abstrait. Le travail concret produit une valeur d’usage et qui a une utilité sociale. Le travail abstrait d’un produit, en plus de sa valeur d’usage, acquiert une valeur d’échange sur un marché, et le poids de cette valeur est fonction de la quantité de travail concret contenu dans le produit en question. La valeur d’une voiture se calcule à partir du travail de l’ingénieur et du moindre travail des ouvriers qui sont sur la chaîne de production.
Comment (30)