Le Hirak à l’ère du confinement : entre responsabilité et solidarité citoyenne
Par Djamal Limane(*) – La résistance contre le système n’a pas aveuglé les millions d’Algériens qui se rassemblaient tous les mardis et vendredis depuis le 22 février : hors de question de mettre en danger la vie des citoyens ! La vie humaine n’a pas de prix, c’est l’essence même de notre combat pour la dignité et la responsabilité. C’est la position de tous les acteurs du Hirak qui ont appelé – unanimement – à suspendre les rassemblements pendant cette crise sanitaire et favoriser d’autres formes d’expression. Une décision sage, collégiale et soucieuse de la santé publique, qui a été prise à l’unanimité avant même la décision (officielle) du confinement. Les rassemblements sont donc suspendus jusqu’à nouvel ordre.
Pourtant, le Hirak est bel et bien présent sous d’autres aspects. Entre responsabilité et solidarité en ce contexte inédit de pandémie, le Hirak ne s’est jamais arrêté ! Si on le définit comme cette prise de conscience citoyenne irrévocable, il demeure alors présent dans les esprits et les consciences, avant de se manifester sous forme d’actions. Comme cet élan de solidarité à travers le territoire national et auprès de la diaspora pour venir en aide au personnel soignant et aux familles démunies en cette période exceptionnelle de confinement. A ce titre, plusieurs collectifs citoyens se sont mobilisés à travers le lancement de cagnottes en ligne pour contribuer à cette dimension solidaire que revêt le Hirak actuellement. Par ailleurs, le Hirak a continué également sous forme de Webinaires organisés par des experts pour débattre autour des thématiques de transitions économique, politique, environnementale, etc. Tout le monde voulait apporter sa pierre à l’édifice en (re)pensant la nouvelle Algérie.
Enfin, tout au long de cette crise sanitaire, les Algériens sont restés vigilants et ont suivi de très près la situation des militants détenus arbitrairement, et à travers plusieurs communiqués de partis d’opposition et de la société civile dont la coordination Free Algeria, nous avons appelé à leur libération immédiate et sans condition.
Covid-19, atteinte aux libertés et tentative désespérée d’une réforme de la Constitution
Le procès du prisonnier d’opinion Karim Tabbou est un exemple parmi tant d’autres. Militant politique et figure respectée du Hirak, Karim devait sortir de prison au mois de mars, après avoir été condamné injustement à six mois de prison ferme. Lors d’une audience non prévue et sans que sa défense en soit informée, il a écopé d’une peine d’un an de prison ferme !
Les reports successifs des procès, les jugements contradictoires d’un tribunal à un autre, ou la non-information de la défense sont des pratiques qui visent à anéantir la volonté des militants à continuer le combat pacifique pour la transition. Le pouvoir joue la carte de l’intimidation et reste insensible aux différents appels de la société civile pour exiger l’application des lois et traités internationaux, notamment ceux relatifs aux droits civils et politiques. Dans ce sens, Free Algeria, coordination des collectifs citoyens de la diaspora algérienne, a tenu à dénoncer fermement la violence qui s’abat sur le Hirak et demandé à maintes reprises la libération immédiate de tous les détenus d’opinion.
Tout au long de ce confinement, entre répression et promesse d’une nouvelle République, les Algériens ont compris qu’aucun changement n’est envisageable avec les mêmes acteurs du système. Ces derniers, toujours en place, ne peuvent être les acteurs du changement, du renouveau, de l’espoir et de la nouvelle Algérie.
A contre-sens de la volonté populaire, le pouvoir a toujours refusé de s’engager dans un processus transparent conduisant à un vrai changement. Il a décidé d’imposer son agenda électoral, en ordonnant l’organisation de l’élection présidentielle du 12 décembre 2019. Cette fausse solution a été rejetée par la quasi-totalité des citoyens. Pour preuve, la mobilisation populaire et pacifique s’est accentuée davantage après ces élections.
Débattre aujourd’hui des avancées quelconques de ce gouvernement ou du projet de réforme de la Constitution est purement un non-sens. L’expérience des changements de Constitution à l’arrivée de chaque nouveau Président nous a montré les limites de cette méthode pour apporter le moindre changement. Et puis, pourquoi nommer des experts lorsqu’il suffit d’écouter les revendications des Algériens depuis le 22 février pour élaborer une Constitution digne d’une Algérie moderne ?
Concrètement, qui peut croire encore aux promesses d’une «nouvelle République» alors que les médias libres sont muselés, les arrestations arbitraires s’enchaînent et les réunions de l’opposition et de la société civile sont interdites ? Exception faite aux partis proches de l’ancien système qui sont autorisés à tenir leurs congrès, histoire de préparer le terrain pour un retour (dés)espéré sur la scène politique.
Le Hirak, oui mais jusqu’à quand ?
La contradiction entre les discours officiels bénissant la révolution du Hirak et les pratiques répressives du régime est flagrante. C’est pourquoi, la volonté du peuple algérien à poursuivre sa mobilisation pacifique jusqu’à la réalisation des objectifs de la révolution demeure intacte, Dieu merci !
Cependant, la question à laquelle nous devons répondre aujourd’hui est la suivante : comment capitaliser cette révolution exceptionnelle pour construire cette nouvelle Algérie ? Il est clair que l’alternative ne peut commencer sans se défaire des pratiques anciennes héritées du système corrompu. Il revient donc au peuple algérien de se réapproprier le champ politique à travers un projet participatif et inclusif conduisant à un Etat de droit, fort de ses institutions républicaines.
Et comme la nature a horreur du vide, il est nécessaire de se faire confiance pour construire ensemble cette alternative tant attendue, car si notre Hirak se refuse de mettre en avant les femmes et les hommes de bonne volonté qui se sont engagés sincèrement et activement, celles et ceux qui, par leur intégrité et leurs compétences, ont vocation à guider et servir le peuple dans ses revendications légitimes, nous assisterons au retour progressif des anciens symboles du système mafieux qui n’hésiteraient pas à occuper la place qui ne leur revient pas (légitimement) !
Enfin, je pense qu’il est grand temps de mettre nos différences idéologiques de côté et d’assumer ce devoir national, en portant un projet commun issu d’un dialogue et d’un consensus national. La nation devra se construire à l’avantage général et sous la surveillance du peuple.
Pour conclure sur la question : le Hirak, jusqu’à quand ? La réponse est que le Hirak ne s’arrêtera jamais puisqu’il s’agit d’une prise de conscience citoyenne irrévocable. Il existera toujours dans nos esprits et nos consciences. A nous de le faire vivre dans nos rues, nos quartiers, nos villes, dans nos écoles, nos administrations et nos hôpitaux. Le Hirak continue.
D. L.
(*) Enseignant Université Côte d’Azur, membre de la coordination Free Algeria
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