«Normalisation»
Par Mrizek Sahraoui – Le virus Covid-19 va-t-il tuer la révolution du 22 février 2019 et avec elle l’espoir d’une République nouvelle ? La question a le mérite d’être posée, puisque le brouillard entourant l’après-pandémie n’a eu de cesse qu’il se fût épaissi. Qui plus est, depuis que le confinement a été décidé les nouvelles autorités ne sont pas restées les bras ballants. Alors que le peuple était moins préoccupé par la poursuite de la lutte que d’observer la vitale nécessité de se protéger du péril sanitaire qui faisait, et fait encore, des ravages à travers la planète, les nouveaux décideurs, eux, (re)mirent en branle la machine répressive. Convocations, arrestations et mises sous mandat de dépôt se sont multipliées, accentuant ainsi la logique autoritaire afin de faire taire toute voix discordante – ou qui porte, avec, toutefois, de rares libérations de détenus après qu’ils ont purgé leur peine, des remises en liberté passées sous le signe de démarches d’apaisement.
Dans tout cela, beaucoup s’accordent à y voir un signal fort de la volonté du pouvoir en place de reprendre la main, plus, de retourner au fonctionnement d’avant 22 février, opérant tantôt par la ruse, tantôt maniant alternativement la carotte ou le bâton, comme qui dirait finalement une (re)conquête des pans d’autorité perdus.
Le Covid-19 était arrivé alors que le régime était à court de moyens lui permettant d’éteindre la révolution. Notamment celui pouvant permettre d’acheter la paix sociale, comme ce fut le cas durant les années fastes. En effet, le matelas duveteux, estimé à moins de 60 milliards de dollars en mars dernier, qui a échappé aux prédateurs ayant sévi jusqu’à l’avènement du Hirak, est parti pour se transformer tantôt en paille sèche, conséquence directe des prix du pétrole en chute libre, eux-mêmes fruit d’une crise sanitaire inédite.
Alors, ne reste que la fermeté combinée à une communication, hasardeuse parfois, mais obéissant à une stratégie simple et non moins claire, et qui semble efficace ex post : donner l’illusion d’un changement profond, mais sans rien changer, ni dans la forme, encore moins dans le fond ; autrement dit, le continuum, le paradigme d’avant-22 février paré d’oripeaux démocratiques.
Mais sachant pertinemment que la révolution du 22 février a révolutionné les esprits, dessillé les yeux, et que plus jamais rien ne sera comme avant, alors, outre le renforcement de l’appareil répressif en condamnant à tout-va, le pouvoir a recours aux moyens et aux techniques de rhétoriques couramment utilisés dans la communication politique moderne ainsi définis par les spécialistes en la matière : «Un pouvoir perçu est un pouvoir reconnu», «la stratégie du martèlement», «la disqualification pernicieuse», «la diversion», etc. Voilà une nouvelle façon de faire qui s’inscrit dans le cadre d’une feuille de route claire avec des objectifs tout aussi précis visant la recherche des moyens de la stabilité et de la permanence du régime.
Les rencontres périodiques avec des médias, à n’en point douter sélectionnés selon des critères stricts, comme cela a été le cas le 30 avril dernier avec le confrère El-Watan, autrefois temple des plumes d’or, à présent mastodonte aux caisses vides, pour d’aucuns un butin de la guerre déclarée au peu de presse libre qui reste, sont loin d’être un simple exercice destiné à informer sur l’action présidentielle. L’objectif étant d’amener à penser que l’Algérie est désormais entrée dans une nouvelle ère où la vie politique nationale se gère de manière transparente, contrastant ainsi avec le règne où le président de la République était totalement absent des scènes politique et médiatique.
Après plus d’une année de Hirak enthousiaste, pacifique, salvateur, dont les Algériens s’enorgueillissent de ce que celui-ci a permis : la dignité et la fierté d’être Algérien recouvrées, c’est la «normalisation» qui est en marche.
M. S.
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