Règlement de la crise libyenne : le pétard mouillé du Marocain Bourita
Par Slimane Hamzaoui(*) – Profitant de la convocation, à la hussarde, par l’Egypte d’une réunion ministérielle d’urgence de la Ligue arabe sur la crise en Libye, le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a saisi au vol cette occasion pour essayer de conjurer la triste relégation de son pays du processus visant le règlement de cette crise longue de neuf ans.
Encore sous le coup de l’exclusion humiliante de son pays de la Conférence internationale de Berlin sur la Libye (19 janvier 2020) et n’arrivant pas, manifestement, à digérer cet affront qui remise son pays à sa juste et modeste dimension sur les scènes régionale et internationale, le chef de la diplomatie marocaine, intrigant et retors comme à son habitude, a essayé piteusement de se raccrocher au wagon des vraies parties prenantes sur la question libyenne.
En effet, face aux évolutions rapides et dangereuses enregistrées sur le terrain qui rendent encore plus crucial le rôle des voisins immédiats de la Libye, la tactique boiteuse du Maroc révélée par Bourita lors de cette réunion ministérielle s’articule autour de deux éléments spécieux à souhait.
Le premier artifice consiste à «réchauffer» et à recycler la vieille rengaine qui consiste à instrumentaliser le lieu de signature de l’accord politique libyen du 17 décembre 2015, à Skhirat au Maroc, comme principal faire-valoir pour tenter d’entrer par le vasistas alors que la porte de la dynamique régionale en cours lui a été fermée au nez.
Capitalisant sur cette mystification au sujet de l’accord de Skhirat, qui vise à faire accroire que cet accord aurait été obtenu grâce aux bons offices du Maroc, les officiels marocains, passés maîtres en matière de manipulation de l’information, font feu de tout bois pour nier un fait irréfragable et consigné en tant que tel que par le système des Nations unies : cet accord est le fruit de la médiation officielle exclusive des Nations inies sous la conduite de l’émissaire onusien, Léon Bernardino.
Il a été obtenu au bout d’un long processus de négociations dans lequel Alger s’était distinguée pour avoir été la seule capitale ayant pu réunir, dans une même salle (et jusqu’à ce jour d’ailleurs !), tous les protagonistes libyens en vue du paraphe dudit accord. Une prouesse diplomatique rendue possible grâce à sa position équidistante, équilibrée et désintéressée qui avait déjà été à l’origine de la mise sur pied du «Groupe des pays voisins de la Libye», en mai 2014, à Alger, sur une initiative, fort bien inspirée, de l’ancien ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra dont il faut saluer la vision et le sens de l’anticipation, tant il voulait déjà à l’époque prévenir les ingérences extérieures qui poussent aujourd’hui la Libye au bord de la fragmentation.
Contrairement au Maroc, qui cherche à faire de la vente concomitante avec cette supercherie de l’accord de Skhirat, l’Algérie est membre du comité de haut niveau de l’Union africaine tout comme elle fait partie du groupe de contact de l’Union africaine sur la Libye. D’ailleurs, elle a été choisie par l’Egypte et par le Gouvernement d’entente nationale libyen en vue de faire partie du groupe de rédaction chargé de trouver une formulation consensuelle du projet de résolution sanctionnant les travaux de cette réunion ministérielle d’urgence de la Ligue arabe sur la crise en Libye.
Par ailleurs, désemparé par sa cinglante éviction de la Conférence de Berlin, le Maroc observe, avec sidération, que l’accord de Skhirat est dépassé (il ne reste d’actualité que pour donner une assise légitime aux institutions qui en sont issues) en attendant que le nouveau processus structuré de Berlin, endossé par le Conseil de sécurité (résolution 2510 adoptée à l’unanimité le 12 février 2020) poursuive sa «quête d’une solution globale» à la situation en Libye en accordant un «rôle important aux pays voisins», dont l’Algérie qui fait partie du comité international de suivi chargé de poursuivre la coordination dans le cadre du prolongement de la Conférence de Berlin. Encore un fait distinctif qui doit faire outrageusement mal au plus algérophobe des ministres marocains des Affaires étrangères.
Le deuxième subterfuge utilisé par le Maroc pour essayer désespérément de revenir dans le jeu régional d’où il est durablement exclu consiste, selon la déclaration du ministre marocain, à former «un groupe arabe restreint chargé de l’élaboration d’une vision stratégique ouverte sur les parties libyennes pour contribuer à la résolution de la crise en Libye».
Cette proposition frivole et inconséquente pour tout analyste un tantinet sérieux qui suit la polarisation extrême de la scène arabe a fait pschitt. Elle n’a pas été reprise dans la résolution sanctionnant les travaux de cette réunion ministérielle d’urgence tant elle avait les allures d’une galéjade.
Quoi qu’il en soit, depuis que l’Egypte utilise, sans cette «succursale» qu’est devenue la Ligue arabe comme caisse de résonnance pour ses propres intérêts nationaux et ses actions diplomatiques unilatérales et partiales, il ne faut pas attendre grand-chose de cette résolution en termes d’impact sur les développements la crise en Libye. L’essentiel se passera au sein du condominium turco-russe sur la base des compensations à faire valoir par chacun des deux pays.
Le Gouvernement d’entente nationale libyen, la Tunisie, le Qatar et la Somalie ont émis des réserves sur certains paragraphes de cette résolution fourre-tout, ficelée, sans vergogne, par les Egyptiens (paragraphes 7 et 8 notamment) pour «saluer l’initiative du Caire du 6 juin», exiger le retrait des forces étrangères et le démantèlement des milices, geler la ligne de front le long de l’axe Syrte-Al Jouffraa et le croissant pétrolier. Autant dire, tout le décalogue débité par le président Abdelfattah Al-Sissi dans son discours martial du 20 juin.
Les égyptiens se sont même payé le luxe de profiter de cette réunion d’urgence pour faire passer une résolution faisant de la question du partage des eaux du Nil une «question de sécurité nationale arabe» (sic) pour embrigader tous les pays arabes dans son bras de fer avec les autorités éthiopiennes !
S. H.
Politologue
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