Développer les lieux de mémoire et rendre hommage aux personnages historiques
Par Nouredine Benferhat – Une société peut-elle vivre sans mémoire ? Assurément non. La mémoire participe à la construction de l’identité de la société. La responsabilité de l’histoire n’en est que plus grande. En même temps, l’histoire demeure avant tout une discipline scientifique avec ses exigences… Comment accorder ces deux exigences ?
Toute mémoire est, par définition, sélective. Elle choisit et, par conséquent, elle élimine ce qui est plat, ce qui paraît sans intérêt, mais qui, peut-être, dix ans, vingt ans, cinquante ans plus tard, prendra au contraire du relief. Tout cela peut être dit de la mémoire individuelle. Mais qu’est-ce que la mémoire collective nationale ? C’est une notion, comme dit Maurice Halbwachs, qui permet d’analyser la manière dont les groupes sociaux interprètent le passé en fonction des besoins présents, et qui peut jouer un rôle important dans notre existence, celui de découvrir des valeurs nous permettant de transcender notre groupe d’appartenance pour atteindre l’universel. La mémoire collective se construit autour des commémorations, des symboles et lieux de mémoire.
Commémorer, c’est célébrer les épopées et événements de notre histoire, développer les lieux de mémoire et rendre hommage aux personnages historiques qui, à différentes époques, ont forgé la nation.
Pour illustrer l’importance de la commémoration dans la construction de la mémoire collective, je vous citerai l’exemple américain, parmi les multiples commémorations que cette nation célèbre, je prendrai le cas de la bataille de Gettysburg (victoire des Nordistes pendant la guerre de Sécession), qui est chaque année commémorée avec les uniformes et les armes de l’époque. Quelles sont les actions ou les batailles que nous célébrons chez nous ? A ma connaissance, très peu, pour ne pas dire pas du tout.
Un article dans le journal La Tribune du 9 avril 1997 parlant de l’histoire évoquait la bataille de Fort l’empereur et faisait remarquer, à juste titre, que la villa où a été torturé Larbi Ben M’hidi et qui se trouve à proximité de ce site, est habitée par un particulier qui a ouvert des magasins alors qu’elle aurait mérité de devenir un musée, lieu de pèlerinage historique et de recueillement, c’est-à-dire un lieu symbolique.
L’anniversaire de notre Guerre de libération tend de plus en plus à passer inaperçu. Un évènement de cette importance aurait dû, parce que nous vivons une situation de crise, résonner à travers tout le territoire, dans notre cœur et notre esprit par des manifestations dignes du sacrifice de nos martyrs et de notre peuple.
Il s’agit là de débats essentiels pour se situer non seulement dans I’histoire, mais également par rapport aux grands enjeux sociaux, politiques, moraux du moment car, en fait, la tentative d’appropriation de la Révolution de Novembre, par des forces rétrogrades qui veulent la vider de ses valeurs universelles est un affrontement aussi bien politico-moral que scientifique.
A partir de là, dans le processus de construction de la mémoire que l’historien est appelé à opérer par rapport à la société et à la conscience que cette société a d’elle-même. Deux exigences fondamentales doivent être énoncées : primo l’exigence de liberté ; secundo, le respect scrupuleux et minutieux de la vérité.
Il est bien connu que, de tout temps, le pouvoir a été tenté de mettre la main sur la production historique mais, réciproquement, les historiens disposent d’un pouvoir d’accréditer, de légitimer et de transmettre telle ou telle mémoire.
Une diatribe immortelle contre le despotisme est contenue dans l’apostrophe adressée par Chateaubriand à Napoléon : «Lorsque dans le silence de l’abjection l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur, lorsque tout tremble devant le tyran et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, tacite est déjà né dans l’Empire.» Sous nos propres yeux, ne voyons-nous pas de nos jours bien des échines souples ?
N. B.
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